Néo-nazis de la milice ukrainienne Azoz, armée jusque là par Israël et plus récemment également par l’OTAN – Lors d’une parade à Kyiv en mai 2016 – Photo : via rferl.org

Par Timo Al-Farooq

Nous assistons, une fois de plus, à une démonstration de solidarité sélective soutenue par un discours quasi totalitaire.

À la suite de l’opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine, la médiathèque (sociale) occidentale s’est immédiatement enflammée de compassion inconditionnelle pour un pays que la plupart des Occidentaux ne pourraient vous dire où il situé sur une carte et encore moins vous donner un aperçu même sommaire du conflit qui y fait rage depuis 2014.

Des titres “Priez pour l’Ukraine” en caractères gras sur le bleu et le jaune qui sont les couleurs nationales du pays sont apparus sur mon fil d’actualité le premier jour de l’attaque, étonnamment même de la part de followers de couleur que je ne croyais pas capables de s’abaisser au jeu des hashtag, ni de prendre de parti dans un conflit interne entre deux peuples blancs.

D’autres ont dénoncé le deux poids deux mesures flagrant des médias occidentaux dans la couverture des conflits du Nord et du Sud. Le média américain Mondoweiss a critiqué l’hypocrisie des médias occidentaux qui encensent la “noblesse de la résistance ukrainienne” et condamnent une “résistance palestinienne illégitime”.

Un certain Hassan Yazdi s’est étendu sur le sujet dans un tweet largement partagé, déclarant qu’il trouvait “intéressant de voir comment les partisans du nettoyage ethnique de la Palestine, de la balkanisation de la Syrie et de la Libye, du génocide du Yémen et de l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan se sont soudainement transformés en bastions du droit international, des droits de l’homme et de l’intégrité territoriale”.

De nombreux messages de ce type ont été publiés, mais il est rapidement apparu que la politique de deux poids, deux mesures dans la couverture occidentale de cette guerre était encore plus profonde.

Dès les premiers jours, il était devenu indéniable que la guerre russo-ukrainienne fournissait une étude de cas exemplaire de l’hypocrisie occidentale, du storytelling hégémonique et du discours libéral de suprématie blanche.

Casus belli : l’expansionnisme de l’OTAN

L’un de ces récits fictifs, propagé par la machine à fabriquer des mythes occidentale depuis des décennies et que la guerre a catapulté au centre du débat, est que l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est une alliance militaire “strictement défensive”.

Pourtant, si l’on se penche sur les endroits où s’est déployée l’activité de l’OTAN, après la chute de l’Union soviétique, on se rend vite compte qu’elle est tout le contraire, comme lorsqu’elle a bombardé la Yougoslavie en 1999 en violation flagrante du droit international.

Comme on ne pouvait pas invoquer la clause de défense collective inscrite à l’article 5 du traité de Washington(1), du fait que la Yougoslavie n’avait jamais attaqué un État membre de l’OTAN, la campagne de bombardement de deux mois et demi de cette dernière a été présentée comme une mission humanitaire.

Mais, seulement deux ans plus tard, l’OTAN n’a eu aucun scrupule à invoquer l’article 5 dans les 24 heures qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001 afin de légitimer la “guerre contre le terrorisme” menée par les États-Unis dans les pays musulmans.

Si l’expansion rampante de l’OTAN vers l’Est, considérée par la Russie comme une menace pour sa sécurité, est conforme à la politique de “porte ouverte” de l’organisation, elle soulève des questions quant à ses arrière-pensées, et il devient de plus en plus difficile de soutenir que l’OTAN est une alliance défensive qui n’est pas uniquement axée sur la Russie lorsque l’on examine sa croissance en termes de calendrier, de rapidité et de direction : la moitié de ses 30 États membres ont été ajoutés après la fin de la guerre froide, parmi lesquels tous les anciens États membres du Pacte de Varsovie, véritablement défensif, créé en 1955 en réaction à la ligne rouge franchie par l’Allemagne de l’Ouest en rejoignant l’OTAN.

En fait, de nombreux analystes, tant libéraux que conservateurs, désignent l’expansionnisme obsessionnel de l’OTAN comme la cause première de la guerre actuelle en Ukraine.

Pourtant, l’Occident continue de le nier, omettant commodément que depuis que les États baltes d’Estonie, de Lettonie et de Lituanie ont rejoint l’OTAN en 2004, la Russie tolère des troupes adverses à sa frontière, y compris des troupes américaines.

Le président russe Vladimir Poutine, dépeint par l’Occident comme l’agresseur, s’est montré extrêmement patient, malgré ce qui, du point de vue russe, ne peut être considéré que comme un affront permanent et un effort concerté pour provoquer un pays dont la taille est supérieure de 75 % à celle des États-Unis et qui a fait le gros du travail pour libérer du fascisme une Europe ingrate.

S’exprimant lors de la Conférence sur la sécurité de Munich (CSM) en 2007, Poutine, que le journal libéral britannique i Paper a qualifié de “tyran”, a déclaré :

“L’OTAN […] représente une grave provocation qui réduit le niveau de confiance mutuelle. Et nous sommes en droit de demander : contre qui cette expansion est-elle destinée ? Et qu’est-il advenu des promesses que nous ont faîtes nos partenaires occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ?”

S’agit-il là des paroles et du comportement d’un tyran ? Si des troupes russes étaient un jour stationnées à la frontière sud des États-Unis, au Mexique, Je mets ma main à couper que le président américain Joe Biden ne ferait pas preuve de la même retenue que celle dont Poutine fait preuve depuis des années.

Et nous savons tous ce qui s’est passé la dernière fois que la Russie a installé quelques-uns de ses missiles balistiques dans un pays souverain situé dans ce que les Américains considèrent comme leur “arrière-cour” : la réaction des États-Unis à la crise des missiles de Cuba en 1962 a été d’amener le monde au bord d’une guerre nucléaire.

La fabrication d’un choc des civilisations et la renaissance clandestine du militarisme allemand

i Paper mentionné plus haut, mon quotidien préféré lorsque je vivais à Londres en raison de la forte proportion d’articles antiracistes et de collaborateurs de couleur qu’il comptait, s’est révélé être un véritable pot-pourri d’expressions anti-russes : dès le 17 février, la version en ligne du journal n’offrait pas moins de 13 grands titres (oui, 13 !) révélant la position résolument pro-ukrainienne de ce média “indépendant”.

Pendant ce temps, dans la capitale allemande Berlin, au quatrième jour de l’opération militaire russe, des dizaines de milliers de personnes sont descendues sur le boulevard central Unter den Linden de la ville pour manifester contre la guerre, sur l’avenue même où se dresse un monument commémorant l’héroïsme soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale.

Alors que ce rassemblement pro-ukrainien, déguisé en manifestation pour la paix, battait son plein, à quelques pas de là, dans le bâtiment du Reichstag, le chancelier Olaf Scholz annonçait au Parlement allemand la décision de son pays d’augmenter les dépenses militaires et de fournir des armes létales aux combattants ukrainiens, ce qui constitue une rupture historique avec la politique de non-interventionnisme menée par le gouvernement depuis des lustres.

Pendant que les Allemands manifestaient pour la paix, leur propre gouvernement annonçait sa volonté de s’engager dans la guerre. Quelle ironie !

Qui plus est, les Allemands continuent de nier l’existence du nazisme au sein des forces armées ukrainiennes.

Cela n’a rien de surprenant, car l’armée allemande, la Bundeswehr, a elle-même un grave problème de nazisme : en avril 2017, le service de contre-espionnage militaire allemand (MAD) enquêtait sur 275 cas présumés d’extrémisme de droite dans ses propres rangs.

Aussi, lorsque le chancelier Olaf Scholz a exposé sa décision d’affecter 100 milliards d’euros (!) à un fonds spécial au sein de la Bundeswehr (le descendant légal de la Wehrmacht d’Hitler et que Foreign Policy a décrit par le passé comme étant “fétichiste de la Wehrmacht”) et de fournir directement des armes létales à l’Ukraine, qu’un article paru en 2019 dans la publication américaine The Nation décrivait comme “la seule nation au monde à avoir une formation néonazie dans ses forces armées”, il s’agissait non seulement d’un changement de politique allemand gigantesque, mais aussi, si l’on peut dire, d’une situation où des nazis originels se portent au secours de leurs imitateurs.

Alors qu’il est de notoriété publique que le bataillon Azov, qui fait partie de la garde nationale ukrainienne, est une organisation néonazie irréductible dont les membres arborent des insignes nazis sur leur treillis militaire, l’un des sites d’information les plus populaires d’Allemagne, tagesschau.de (une version en ligne de l’émission d’information phare du radiodiffuseur public ARD), a publié un article intitulé “La dénazification comme prétexte”, dans lequel il accusait en substance Poutine de fabriquer l’image d’une “Ukraine nazie”.

Comme ce mensonge est transparent ! En 2014, c’est justement le deuxième radiodiffuseur public allemand ZDF qui a montré à son audience nationale des images de combattants du bataillon Azov avec des croix gammées et des runes SS sur leurs casques.

La propagande occidentale est-elle si incohérente qu’une de ses mains fait exactement le contraire de l’autre, au point qu’il n’est même pas besoin de la réfuter tant elle se désagrège d’elle-même ?

La décision de Meta, la société mère de Facebook, de “faire une petite exception pour l’éloge du bataillon d’Azov” qui, en 2019, avait été interdit et placé dans la catégorie 1 de Facebook, un honneur réservé à des groupes comme ISIL et le KKK, est l’exemple le plus flagrant de l’approche opportuniste et hypocrite de l’Occident à l’égard du nazisme dans le contexte de ce conflit.

Un discours occidental qui prend des accents de suprématisme blanc

Comme si le discours anti-russe de ces dernières semaines n’était pas assez raciste, la couverture occidentale de la guerre a pris un tour encore plus xénophobe.

La croyance en la suprématie de la race blanche n’a jamais été l’exclusivité de la droite, comme l’a montré Charlie D’Agatha, correspondant de CBS à Kiev, qui, le deuxième jour de l’opération militaire russe, a craché ces pépites de bile orientaliste qui l’ont catapulté à des niveaux d’infamie dignes du pire des médias sociaux :

“Ce n’est pas un endroit, avec tout le respect que je vous dois, comme l’Irak ou l’Afghanistan, où les conflits font rage depuis des décennies. Il s’agit d’une ville relativement civilisée, relativement européenne – je dois aussi choisir ces mots avec soin – où l’on ne croit ni n’espère que cela pourrait se produire”.

Il y a tellement de choses qui clochent dans cette déclaration que je ne sais même pas par où commencer : en une seule phrase, ce “journaliste” a réussi à insulter les Irakiens, les Afghans et les Ukrainiens et à les décrire comme non civilisés, en omettant commodément le fait que si “des conflits se déchaînent depuis des décennies” en Irak et en Afghanistan c’est parce que son propre pays y a déclenché la guerre.

Ce “journaliste” dénie à l’Ukraine sa place géographique et culturelle en Europe et admet indirectement que les Occidentaux/les Blancs, comme en témoigne le pronom générique “vous” qu’il a utilisé lorsqu’il s’est adressé au public de la télévision américaine, pensent secrètement que ce qui se passe en Ukraine ne devrait arriver qu’à des endroits comme l’Irak et l’Afghanistan

Peter Dobbie d’Al Jazeera English a dit la même chose presque mot pour mot. En fait, la liste des “journalistes” blancs exprimant leur suprématie blanche devant la caméra avec un naturel confondant, quelques jours seulement après le début de la guerre, est si longue que Keeanga-Yamahtta Taylor, professeur à l’université de Princeton et collaborateur du New Yorker, a écrit que le racisme “coulait aussi librement que l’eau !”

Aucun de ces suprémacistes blancs, qui ont font leur coming out à l’occasion de la guerre en Ukraine, n’a jugé utile de mentionner que de nombreux résidents africains fuyant l’Ukraine n’ont pas été autorisés à monter dans les bus et les trains, certains étant même contraints de céder leur place à des Ukrainiens blancs, comme au temps des lois Jim Crow (2) et de l’apartheid.

Sans vouloir paraître cynique, ce conflit a été une véritable mine d’informations fascinantes sur le concept d’hégémonie et le fonctionnement pathologique des occidentaux (libéraux), qui ne sont jamais vraiment sortis de la guerre froide.

Dans le contexte de cette guerre, la précieuse leçon à tirer est qu’après un siècle de construction minutieuse de la figure mythologique du croquemitaine russe, la propagande anti-russe émanant des classes dirigeantes peut toujours miser sur la crédulité moutonnière d’un public mal informé et sur une xénophobie si profondément ancrée au cœur des occidentaux les plus libéraux qu’elle se réactive au moindre signal.

Il faut reconnaître en toute justice que dans ce domaine les bellicistes de l’Axe d’agression USA-UE-UK-OTAN ont fait du sacré bon boulot.

Notes :

1. L’article 5 stipule que si un pays de l’OTAN est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres et prendra les mesures qu’il jugera nécessaires pour venir en aide au pays attaqué.
2. Les lois Jim Crow sont des lois nationales et locales issues des Black Codes1,2 et promulguées par les législatures des États du Sud de 1877 à 1964. Ces lois ont été mises en place pour entraver l’exercice des droits constitutionnels des Afro-Américains acquis au lendemain de la guerre de Sécession.

Auteur : Timo Al-Farooq

* Timo Al-Farooq est journaliste indépendant et commentateur politique basé à Berlin, Allemagne.
Son compte Instagram.


8 mars 2022 – Al-Mayadeen – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…

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