Par Karine Bechet-Golovko

Les chaînes russes RT étaient dans le colimateur des politiciens du monde atlantiste, déjà avant l’activation du conflit en Ukraine, mais surtout depuis le déclenchement de l’opération militaire russe. L’enjeu est simple : aucune voix ne doit remettre l’intervention russe dans le contexte géopolitique, à savoir d’une réponse suite à une instrumentalisation de l’armée ukrainienne par les Etats-Unis conduisant la coexistence pacifique du monde atlantiste avec la Russie dans une impasse. Chuttt, silence, on tourne la nouvelle production hollywoodienne. Or, RT ne joue pas le jeu, donc c’est de la propagande. Un monde, un discours, aucune tête ne dépasse. Et surtout que personne ne dise que cette guerre est le résultat du désastre de la politique mondiale atlantiste depuis la chute de l’URSS.

L’Allemagne, la première, a purement et simplement interdit RT de diffusion début février. Suite à cela, la Russie a fait fermer les bureaux de DW. Depuis l’activation de la crise en Ukraine, d’autres pays se lancent dans la guerre au monopole du discours. La Grande-Bretagne, par la voix de Johnson, avait annoncé la possible fermeture de RT dans le pays, mais après la menace de la Russie d’une réponse immédiate et symétrique, le ton a baissé, même si la volonté reste. Désormais, le régulateur garde les yeux fixés sur RT … et attend la faute. 

La France entre tristement dans le bal, le président de la Commission culture du Sénat demande rien moins que la fermeture immédiate de RT France, même si cela n’est pas aussi simple. Le discours diffusé par RT pose un sérieux problème dans un monde global, car il n’est pas suffisamment aligné. Et cela est clairement formulé :

« Laurent Lafon estime qu’il est « urgent de nous interroger sur la menace que fait peser cet organe de communication gouvernemental russe sur nos valeurs démocratiques à l’aune de la situation nouvelle créée par le déclenchement des opérations militaires en Ukraine». »

Il y a une véritable « menace », non pas pour la pluralité, ni pour la diversité, mais à l’inverse pour l’unicité du discours. Car s’il y a des morts civils dans le Donbass, si l’armée ukrainienne touche le sol russe, si cela fait 8 ans que les tuteurs atlantistes de l’Ukraine font échouer les accords de Minsk, si les bataillons nazis ukrainiens existent et commettent des crimes de guerre, pourquoi la France et « le monde libre » sont-ils légitimes à les soutenir, à les armer et à les financer ?

Or, ce qui est tue n’existe pas. Silence !

La guerre pour le discours est manifestement en cours et, dans ces conditions, le choix qui se pose à RT est extrêmement difficile : soit multiplier les interventions d’experts parlant de « l’agression » russe, garder ainsi sa licence et perdre sa raison d’être suite à un alignement forcé du discours ; garder un pluralisme dans les interventions et donc son discours propre, avec des experts qui n’entrent pas dans la ligne main stream, mais risquer de perdre sa licence. Dans les deux cas, le risque d’une disparition existe.

Nous voyons à cette occasion la disparition des ondes de certaines « stars », osant en appeler au patriotisme français, pour péniblement cacher leur pleutrerie. C’est justement dans les situations difficiles, que la France a besoin d’esprits libres – qui sinon nous, peut faire contre-poids à la folie des gouvernants ? C’est ça le patriotisme et non pas reculer confortablement à l’abri, en attendant de voir qui sera le vainqueur pour applaudir. A moins que leur véritable Patrie ne soit celle du monde atlantiste.

Même si j’y interviens parfois, je ne suis pas rémunérée par la chaîne et garde en tout ma liberté. C’est donc en toute liberté que j’appelle à les soutenir, simplement parce que la liberté d’expression est une des valeurs européennes fondamentales, l’une de celles qui est la plus bafouée aujourd’hui. Mais également, parce qu’en période de conflit, il est essentiel pour notre liberté de pensée d’avoir plusieurs sons de cloches. 

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