Scène après un bombardement israélien sur l’hôpital Al-Shifa à Gaza, le 3 novembre 2023

Par Andre Damon

Mardi soir, après deux semaines de bombardements incessants qui ont tué des dizaines de médecins, de patients et de réfugiés, les forces israéliennes sont entrées dans l’hôpital Al-Shifa et y ont hissé le drapeau israélien.

Quelques heures auparavant, la secrétaire de presse de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre, affirmait que «le Hamas et le Jihad islamique palestinien utilisent certains hôpitaux de la bande de Gaza, dont Al-Shifa, et les tunnels situés en dessous pour dissimuler et soutenir leurs opérations militaires et pour détenir des otages».

Les médias américains sont allés encore plus loin, Fox News décrivant Al-Shifa comme un «hôpital utilisé comme QG terroriste souterrain du Hamas».

Ces affirmations se sont révélées être un pur mensonge. Les forces de défense israéliennes (FDI) n’ont trouvé ni otages ni bunkers souterrains. Après avoir fouillé un vaste complexe hospitalier qui, à un moment donné, abritait 60.000 personnes au milieu d’une zone de guerre active, les FDI n’ont pu présenter que quelques fusils d’assaut et deux gilets pare-balles en guise de «preuves».

La véritable raison pour laquelle Al-Shifa a été attaquée est symbolique. Le personnel médical de l’hôpital, soumis à des bombardements continus et à des tirs embusqués, a défié les ordres des FDI de partir, déclarant qu’il préférait mourir plutôt que d’abandonner ses patients. Leur courage et leur défi face au génocide israélien ont suscité la solidarité et le soutien de millions de personnes dans le monde entier.

Les première et deuxième conventions de Genève de 1949 stipulent que les hôpitaux et autres unités médicales ne doivent pas être attaqués et doivent être protégés en permanence. Cela comprend les hôpitaux civils et militaires. L’attaque des hôpitaux et du personnel médical constitue un crime de guerre en vertu du droit pénal international.

Face aux déclarations catégoriques des Nations unies, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’innombrables organisations de défense des droits de l’homme, selon lesquelles les hôpitaux ne sont pas des cibles, Israël et ses maitres impérialistes envoient un message différent: oui, ils le sont.

Même si les États-Unis ont attaqué des hôpitaux à plusieurs reprises pendant la «guerre contre le terrorisme», ils tentaient de présenter ces actions comme des accidents. En octobre 2015, une frappe aérienne américaine a tué au moins 22 personnes dans un hôpital de Médecins sans frontières (MSF) à Kunduz, en Afghanistan. À l’époque, le président américain Barack Obama a présenté des excuses, affirmant que la frappe était une «erreur».

Aujourd’hui, cependant, les États-Unis soutiennent les attaques contre les hôpitaux et d’autres crimes de guerre comme des actes légitimes d’«autodéfense». Les responsables américains ont déclaré à plusieurs reprises, en réponse aux massacres israéliens dans les hôpitaux de Gaza, qu’il n’y avait pas de «ligne rouge».

Depuis le début de l’assaut israélien contre Gaza, l’Organisation mondiale de la santé a recensé au moins 137 attaques contre des établissements de santé, qui ont fait 521 morts et 686 blessés, dont 16 morts et 38 blessés parmi le personnel de santé.

Ces statistiques n’incluent pas l’attaque la plus horrible contre un hôpital, l’attentat à la bombe du 17 octobre 2023 contre l’hôpital arabe Al-Ahli, qui a tué entre 250 et 471 personnes, mais dont Israël et les États-Unis, citant des preuves rapidement réfutées, ont affirmé qu’il était le résultat d’une roquette tirée depuis la bande de Gaza.

La guerre d’Israël contre les hôpitaux fait partie d’une campagne systématique de génocide. Le choix délibéré des FDI de s’attaquer à des populations civiles, des enfants, du personnel médical et des travailleurs humanitaires est érigé en principe directeur.

Ces crimes de guerre ont été perpétrés dans le cadre de déclarations publiques d’intention génocidaire, le ministre israélien de l’Agriculture proclamant «la Nakba 2023» et son ministre de l’Intérieur proposant l’expulsion du peuple palestinien de l’enclave.

Les actions d’Israël à Gaza sont un «cas d’école de génocide», a écrit Craig Mokhiber, ancien directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, dans une lettre de démission datée du 28 octobre. «Les déclarations explicites d’intention des dirigeants du gouvernement et de l’armée israéliens ne laissent aucune place au doute ou au débat», a-t-il écrit.

Alors que les États-Unis violent systématiquement le droit international depuis des décennies, le fait qu’ils soutiennent ouvertement les actions d’Israël contre la population de Gaza dans des conditions où les responsables israéliens déclarent sans ambages leur intention de commettre des crimes de guerre et un génocide marque une nouvelle étape importante dans la normalisation des crimes de guerre.

Au cours des 50 dernières années, les actions de l’État d’Israël ont servi de précédent à la politique américaine. L’exemple le plus significatif est la doctrine de l’«assassinat ciblé», c’est-à-dire l’assassinat sanctionné par l’État. «Israël a eu recours à l’assassinat et à l’assassinat ciblé plus que tout autre pays occidental», a noté le journaliste d’investigation israélien Ronen Bergman en 2018.

Le 17 septembre 1948, un groupe de terroristes sionistes a tendu une embuscade au médiateur suédois des Nations unies, le comte Folke Bernadotte, et l’a tué à Jérusalem. Yitzhak Shamir, qui allait devenir plus tard Premier ministre d’Israël, a joué un rôle dans l’approbation et la planification de l’assassinat de Bernadotte.

En novembre 2000, Israël est devenu le premier État au monde à «reconnaître ouvertement qu’il menait une politique d’assassinats ciblés», a écrit Nils Meltzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, en 2009. Peu après, les États-Unis ont «adopté ouvertement la méthode de l’assassinat ciblé».

«L’expression “assassinat ciblé”, écrit Meltzer, désigne l’utilisation de la force létale attribuable à un sujet de droit international avec l’intention, la préméditation et la décision délibérée de tuer des personnes sélectionnées individuellement qui ne sont pas sous la garde physique de ceux qui les ciblent.»

Les États-Unis ont effectué leur première attaque de drone connue en dehors d’une zone de guerre, au Yémen, en 2002. En 2011, le religieux d’origine américaine Anwar al-Awlaki et son fils, tous deux citoyens américains, ont été tués lors de frappes de drones distinctes au Yémen. En 2020, une frappe de drone américain en Irak a tué Qasem Soleimani, un haut responsable militaire iranien, alors qu’il était en visite officielle en Irak.

Comme pour l’adoption de l’«assassinat ciblé», les crimes de guerre actuellement commis par Israël deviendront la nouvelle base de référence pour des crimes encore plus graves commis par les États-Unis et d’autres puissances impérialistes. C’est la signification de leur acceptation ouverte du génocide et des crimes de guerre d’Israël.

Les États-Unis sont engagés dans une escalade de la guerre mondiale – une guerre qui s’intensifie contre la Russie et des préparatifs de guerre contre l’Iran et la Chine – qui nécessitera une violence d’une ampleur sans précédent. Les crimes perpétrés par Israël, y compris le meurtre de masse et le déplacement forcé d’une population entière, créent un précédent pour l’utilisation de la violence meurtrière, y compris l’utilisation d’armes nucléaires. Les classes dirigeantes cherchent à désensibiliser la population à la perspective de centaines de milliers, voire de millions de morts.

Mais la guerre à l’étranger est une guerre à l’intérieur. Face à un mouvement de grève croissant et à des manifestations de masse contre le massacre à Gaza, la classe dirigeante américaine utilisera de plus en plus les outils de terreur de masse contre les populations urbaines, qui ont été mis au point à Gaza, contre une opposition interne montante.

Les événements de Gaza sont un avertissement: les classes dirigeantes impérialistes, désespérées et acculées au pied du mur, ne reculeront devant rien pour garantir leurs intérêts mondiaux, y compris le meurtre de masse. L’avenir de l’humanité exige de briser la mainmise de l’oligarchie financière sur la société, ce qui nécessite la construction d’un mouvement socialiste de masse de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 16 novembre 2023)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…