Photo : Mohammed Zaanoun / Activestills

Par Gideon Levy

Gideon Levy, Haaretz, 19/10/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Ce bain de sang doit être arrêté immédiatement ; il ne mène à rien de bon. On peut répondre aux massacres par des massacres, mais même un terrible massacre comme celui perpétré dans le sud d’Israël ne peut justifier ce qui le suit, sans aucune limite.

Un terrible massacre pourrait même justifier un autre terrible massacre s’il a un but autre que la punition et la vengeance, et si ce but est à la fois légitime et réalisable. Mais ce n’est pas le cas de la guerre dans la bande de Gaza, qui n’a pas d’objectif clair et réaliste et qui n’a certainement pas de réponse à la question de savoir ce qui se passera le lendemain.

Mais même si elle avait un objectif clair, il faudrait limiter la dévastation. Le bain de sang qui se déroule actuellement à Gaza, et qui ne fait que commencer, montre qu’il n’y a pas de limites. Face à cela, il est impossible de rester silencieux. Cela ne peut être justifié.

Il est impossible de rester silencieux face aux terribles images de l’hôpital Al Ahli de Gaza Ville – des dizaines de corps alignés les uns après les autres, dont beaucoup d’enfants aux corps lacérés et aux membres manquants – tout comme il est impossible de rester silencieux face aux images de mort et de destruction qui se sont produites ici. Des centaines de Palestiniens désespérés ont été tués lundi après avoir tenté de s’abriter en plein air près de l’hôpital, croyant à tort qu’ils y seraient en sécurité même pendant cette guerre maudite.

Il n’est pas encore possible de déterminer qui est responsable de ce désastre, mais pour les victimes, cela n’a plus d’importance. L’identité du coupable ne doit pas non plus changer la suite de la campagne – elle doit cesser immédiatement. Le désastre de l’hôpital doit devenir le tournant de la guerre, tout comme le désastre de Kafr Kana lors de l’opération “Raisins de la colère” au Liban en 1996 est devenu le tournant qui a mis fin à cette opération.

Israël est actuellement poussé par une tempête d’émotions justifiée et compréhensible, et il est encouragé par la sympathie du monde. Mais celle-ci sera rapidement remplacée par une demande d’arrêt des tirs compte tenu des désastres causés par la guerre. La tragédie de l’hôpital a déjà changé l’état d’esprit de certains membres de la grande bande de pom-pom girls d’Israël.

Même avant ce désastre, les rapports en provenance de Gaza, dont la grande majorité ne parvient jamais aux Israéliens, menaçaient de faire basculer le monde contre la poursuite de la guerre. Environ 1 000 enfants morts, avant même de compter les enfants morts à l’hôpital – c’est une statistique qu’il est impossible d’ignorer, et il n’y a aucun moyen de la justifier. Un siège total sur 2 millions d’êtres humains et l’évacuation d’un million de personnes de leurs maisons en l’espace d’une journée sont également inacceptables, quelles que soient les circonstances.

Cette semaine, j’ai visité le kibboutz Be’eri, qui a été détruit, et je répète ce que j’ai dit alors : je n’ai jamais vu de ma vie des images aussi difficiles. Il est impossible de les laisser passer sans régler les comptes avec tous les responsables. Aucun pays ne se priverait de le faire. Mais il y a un vaste espace intermédiaire entre l’inaction et un bain de sang massif qui n’a ni raison d’être ni but.

Les images de Gaza sont bouleversantes et devraient briser le cœur de chacun : un convoi ininterrompu d’ambulances aux sirènes hurlantes et des parents terrifiés portant leurs enfants blessés ; des pères pleurant sur les corps de leurs enfants, placés à même le sol de l’hôpital faute de lits. J’ai également vu cinq enfants blessés dans un seul lit et des patients gémissant sans personne pour les soigner.

Tuer des milliers de personnes, en mutiler des dizaines de milliers et les laisser sans rien ne fera avancer aucun intérêt israélien, même si l’on met de côté les questions de droit et de morale. Cela ne fera qu’engendrer une haine et une vengeance que même Satan n’aurait pas pu inventer, avec ou sans le Hamas.

Alors que les enfants de Gaza sont tués, les Israéliens se plaignent que l’armée “fait du surplace”. Le sentiment israélien dominant veut une opération terrestre et la fin du Hamas. Cette demande est justifiable, mais probablement irréaliste. En tout cas, elle ne peut se faire à n’importe quel prix, y compris celui de la destruction de la bande de Gaza.

Ce qui s’est passé le 7 octobre a ébranlé Israël au-delà de toute reconnaissance, en particulier la gauche et le centre. Mais même dans le feu de notre colère et de notre frustration, nous ne devons pas perdre ce qui reste de notre conscience et de notre sens moral. Nous ne devons pas laisser tout Israël devenir le Hamas.

Source : TLAXCALA
https://tlaxcala-int.blogspot.com/…

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