Le journaliste d’Al Jazeera Wael Dahdouh tient la main de son fils Hamza, qui travaillait également pour Al Jazeera et qui a été tué lors d’une frappe aérienne israélienne ciblée à Rafah, dans la bande de Gaza, dimanche 7 janvier 2024. Dahdouh avait perdu sa femme, deux autres enfants et un petit-fils au début de la guerre et a failli être tué lui-même dans un autre crime de guerre israélien.

Par Andre Damon

Dimanche, les Forces de défense israéliennes (FDI) ont assassiné deux reporters d‘Al Jazeera, Hamza al-Dahdouh et Mustafa Thuraya, lors d’une frappe aérienne ciblée sur leur véhicule alors qu’ils rentraient d’une mission de reportage.

Hamza était le fils aîné du chef du bureau d’Al Jazeera à Gaza, Wael al-Dahdouh, dont la femme, les deux autres enfants et le petit-fils en bas âge ont été tués lors d’une frappe aérienne des FDI sur leur maison en octobre. En décembre, une autre frappe ciblée de drone a blessé Wael et tué son cameraman près de la ville de Khan Younis, dans le sud de Gaza.

Le massacre systématique et délibéré de la famille d’Al-Dahdouh et les efforts répétés pour le tuer font partie d’une politique israélienne délibérée d’assassinat de journalistes. Dimanche, le nombre de journalistes tués par Israël au cours des trois derniers mois s’élevait à 109, chiffre qui est passé à 111 lundi avec l’assassinat de deux autres journalistes, Abdullah Breis et Mohammad Abu Dayer.

L’objectif d’Israël est d’empêcher le monde d’apprendre les crimes qu’il inflige chaque jour au peuple palestinien en assassinant et en intimidant systématiquement la presse. Les journalistes présents à Gaza ont largement documenté la campagne de génocide menée par Israël, qui a tué plus de 30 000 personnes en trois mois seulement, déplacé 90 pour cent de la population de Gaza et détruit 70 pour cent de ses infrastructures civiles.

Israël fonctionne comme un régime criminel, en marge du droit international, comme une sorte de Murder Incorporated. Ses crimes sanglants sont rendus possibles grâce aux armes, au financement et au soutien politique fournis par les États-Unis et d’autres puissances impérialistes.

L’assassinat de journalistes s’accompagne du meurtre délibéré de ceux qui critiquent le génocide, notamment Refaat Alareer, écrivain, poète, professeur et militant palestinien, qui a été tué lors d’un bombardement ciblé par l’armée israélienne le 7 décembre, après avoir reçu des menaces de mort pendant des semaines.

L’impudence de la politique israélienne d’assassinat de journalistes est telle qu’après l’assassinat d’Al-Dahdouh et de Thuraya, les FDI ont publié un communiqué les qualifiant de « suspects » et affirmant que leur voiture avait été prise pour cible parce que le photojournaliste Hazem Rajab était un « agent terroriste ».

Le jour de l’assassinat de Hamza, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a été interrogé sur la question de savoir si l’administration Biden condamnait la politique israélienne consistant à prendre délibérément pour cible des journalistes.

Blinken a refusé de condamner cette politique et s’est contenté d’affirmer qu’il était « désolé » pour cet assassinat : « Je suis profondément, profondément désolé pour la perte presque inimaginable subie par votre collègue Wael al-Dahdouh. Je suis moi-même parent. Je ne peux pas imaginer l’horreur qu’il a vécue, non pas une, mais deux fois. C’est une tragédie inimaginable».

Non, le meurtre de Hamza et des autres membres de la famille de Wael al-Dahdouh n’est pas seulement une immense « tragédie » personnelle, c’est le résultat d’un massacre criminel de sang-froid dont Blinken et l’administration Biden portent l’entière responsabilité. L’administration Biden a affirmé publiquement qu’il n’y avait pas de « lignes rouges » pour les crimes qu’Israël serait autorisé à commettre. En fait, il est vraisemblable que les États-Unis, qui coordonnent largement avec Israël les cibles des frappes aériennes, ont directement collaboré avec Israël dans le choix des journalistes à assassiner.

Le 25 octobre, le site web Axios a rapporté que Blinken avait demandé au premier ministre du Qatar de « baisser le volume de la couverture d’Al Jazeera parce qu’elle est pleine d’incitation anti-israélienne ».

Israël a réagi à ces commentaires en assassinant systématiquement les correspondants d’Al Jazeera et leurs familles à Gaza. Trois jours seulement après qu’Axios eut rapporté la déclaration de Blinken, le 28 octobre, Israël a effectué une frappe sur la maison de al-Dahdouh, tuant sa femme, ses deux enfants et son petit-fils en bas âge.

La question se pose immédiatement: Où mène la collaboration de Washington à l’assassinat de journalistes par Israël? Si les États-Unis déclarent qu’il n’y a « aucune ligne rouge » pour les crimes d’Israël, autoriseront-ils le régime israélien à tuer ses opposants politiques et des journalistes critiques sur son propre territoire ? Et si les États-Unis approuvent ces actes de la part d’Israël, qu’est-ce qui empêchera le gouvernement et l’armée américains de s’en prendre à leurs propres opposants politiques ?

Tout au long des 50 dernières années, les actions de l’État d’Israël ont créé un précédent pour la politique américaine. L’exemple le plus significatif est la doctrine des « assassinats ciblés », ou assassinats organisés par l’État.

En novembre 2000, Israël est devenu le premier État au monde à reconnaître ouvertement une politique d’assassinat ciblé. Deux ans plus tard, cette politique a été adoptée par les États-Unis, qui ont effectué leur première frappe de drone connue en dehors d’une zone de guerre, au Yémen, en 2002. En l’espace de dix ans, les États-Unis utilisaient la doctrine de l’«assassinat ciblé » pour tuer l’un de leurs propres citoyens.

En d’autres termes, ce qu’Israël fait aujourd’hui, ses partisans impérialistes le feront dans un avenir proche.

Les gouvernements des États-Unis et de l’Europe occidentale ont déjà mené de vastes attaques contre les droits démocratiques, en interdisant les manifestations contre le génocide et en lançant des campagnes visant à éliminer les opposants au génocide des campus universitaires. En octobre, le Sénat américain a adopté une résolution accusant les participants aux manifestations de masse contre le génocide de Gaza d’«exprimer leur solidarité avec les terroristes ».

Suivant cette logique, les participants aux manifestations contre le génocide ne pourraient-ils pas être soumis au même traitement que les journalistes à Gaza ?

Le génocide de Gaza marque une nouvelle étape dans la criminalité des États-Unis et d’autres gouvernements impérialistes du monde, qui embrassent le génocide et le meurtre de masse en tant que politique d’État. Ces crimes créeront un nouveau précédent pour des attaques encore plus radicales contre les droits sociaux et démocratiques de la classe ouvrière.

Un rôle particulièrement méprisable est joué dans ce processus par les grands médias. À quelques exceptions près, ils ont occulté les crimes génocidaires commis dans la guerre américano-israélienne contre la population de Gaza et les manifestations sans précédent ayant lieu dans le monde entier pour s’y opposer. Dans leur tentative de normaliser ces crimes, les grands groupes de presse ont également couvert le massacre de journalistes, y compris, dans un certain nombre de cas, de correspondants qui leur avaient fourni des reportages, des photographies et des vidéos.

L’approbation du génocide et des meurtres de masse perpétrés par Israël par les gouvernements impérialistes du monde entier doit servir d’avertissement. La ligne de démarcation entre gouvernements capitalistes « démocratiques » et « fascistes » est en train de s’effacer. Tous les crimes, du génocide au meurtre de masse en passant par la répression politique, sont matériellement soutenus et légitimés par les oligarchies criminelles qui détiennent le pouvoir.

C’est pourquoi la lutte contre le génocide israélien à Gaza doit prendre la forme d’une lutte politique de la classe ouvrière contre les gouvernements qui le permettent et qui chercheront à utiliser ce génocide pour créer un précédent pour des crimes encore plus grands contre les travailleurs du monde entier.

(Article paru d’abord en anglais le 9 janvier 2024)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…