Par René Naba

Le conflit du Haut Karabah, nouveau point de jonction stratégique entre la Turquie et Israël.

1 – Vers une possible réactivation de la relation Turquie-Israël

Le président Recep Tayyip Erdoğan a laissé entendre, fin décembre 2020, qu’il envisageait de renouer avec Israël, en vue de sortir de son isolement diplomatique, alors que la Turquie se trouve en phase de délitement de ses relations avec l’Otan; en concurrence directe avec la Russie tant en Syrie que dans le Caucase; en conflit frontal avec la France en Méditerranée; Et, sur le plan interne, en rupture avec ses anciens compagnons de route.

Mais une éventuelle reprise des relations diplomatiques entre Israël et la Turquie, la principale puissance sunnite régionale, placerait les Frères Musulmans devant un véritable défi de leur crédibilité dans leur engagement dans la défense de la cause palestinienne en ce que la Turquie néo ottomane islamiste constitue le principal parrain de la confrérie, avec le Qatar.

Sans retard, Israël a coupé court à toutes ses supputations en posant une condition dirimante à toute éventuelle réactivation des relations israélo-turques: La rupture des liens entre Ankara et le Hamas. Si une telle condition était satisfaite, elle pourrait saborder la crédibilité de diplomatie néo islamiste de la Turquie.

Contrairement à l’Égypte, qui a fait la paix avec Israël, après avoir mené 4 guerres contre l’État Hébreu, détruit la ligne de défense Bar Lev sur le Canal de Suez et récupéré le Sinaï, les pétromonarchies se sont, elles, acharnées à détruire la Syrie, sans jamais tiré le moindre coup de feu contre Israël, concentrant leur répression contre leurs propres peuples. Il en a été de même de la Turquie, l’ancien allié stratégique d’Israël du temps de la guerre froide soviéto-américaine (1945-1990).

La Turquie a reconnu Israël dès la proclamation unilatérale d’indépendance de l’État Hébreu en 1949.

L’alliance de l’unique pays musulman de l’OTAN avec Israël avait été présentée par les propagandistes occidentaux comme «l’alliance des grandes démocraties du Moyen Orient» pour masquer en fait l’alliance contre nature entre le premier état génocideur du XX me siècle (Turquie-Arméniens) et les descendants du génocide hitlérien (Israël). Et justifier une alliance de revers contre la Syrie, l’ultime pays du champ de bataille avec le Liban à ne pas souscrire à la pax americana sous égide israélienne dans la zone.

En dépit de l’attaque par la marine israélienne du bateau humanitaire turc Navy Marmara, en 2010, qui avait fait dix morts parmi les activistes pro-palestiniens, les relations israélo turques n’avaient jamais cessé, particulièrement dans le domaine du renseignement.

Israël a été un gros pourvoyeur d’armes à la Turquie, notamment lors de l’invasion turque du nord de Chypre et l’espace aérien turc a longtemps servi de terrain d’entraînement à l’aviation militaire israélienne. Avant la rupture, Turkish Airways assurait 60 vols hebdomadaires à destination de Tel Aviv et le volume des échanges économiques s’est élevé à 10 milliards de dollars en 2019.

L’État hébreu disposait en outre d’un poste d’écoute en Turquie et les deux pays travaillaient main dans la main pour espionner leur ennemi commun, la Syrie. La Turquie a parfois reçu l’assistance du Mossad dans sa bataille contre les Kurdes turcs. La livraison du matériel israélien portait essentiellement sur du matériel de renseignement, des missiles, de l’avionique ainsi que des chars et avions de pointe.

Par un curieuse ironie du sort, parmi les systèmes vendus à la Turquie figuraient des drones et technologies conçus par Israel Aerospace Industries (IAI), qui ont aidé Ankara à développer son propre secteur. Les drones turcs Bayraktar sont désormais utilisés sur les champs de bataille du Haut-Karabakh ainsi qu’en Irak, en Syrie et en Libye.

Certes, M. Erdogan n’a pas hésité à traiter Israël d’ «état voyou et criminel» et accordé son plein soutien au Hamas, au point que les Frères Musulmans considéraient la Turquie comme un exemple.

La donne a changé à l’automne 2020, avec la guerre du Haut Karabagh, la normalisation collective arabe avec Israël (Bahreïn, Émirats Arabes Unis, Maroc, Soudan) et l’arrivée de Joe Biden au pouvoir aux États Unis.

2 – Le conflit du Haut Karabagh, nouveau point de jonction stratégique entre la Turquie et Israël.

La Turquie et Israël ont opéré leur nouvelle jonction stratégique à l’occasion du conflit du Haut Karabagh où les deux pseudo démocrates du Moyen Orient se sont acharnés sur l’enclave arménienne en soutien du président Ilham Alief, un autocrate ayant accédé à la présidence de l’Azerbaïdjan par hérédité en digne successeur de son paternel autocrate.

Israël, qui se considère comme le rempart contre un nouvel Holocauste, refuse de reconnaître le génocide des Arméniens lors de la Première Guerre mondiale sous prétexte de ne pas contrarier la Turquie, au nom de la «centralité d’Israël».

À la recherche d’un nouveau marché pour ses armements militaires et d’un nouvel allié musulman dans la région, Israël est tombé sur l’Azerbaïdjan. Depuis 2010 en particulier, les deux pays ont formé une alliance stratégique, soutenus par les États-Unis, contre leur ennemi mutuel l’Iran. Ce volume s’est accru et est estimé aujourd’hui à 7 milliards de dollars.

Toutes les grandes entreprises de sécurité et militaires israéliennes tirent profit de la volonté de l’Azerbaïdjan de s’armer jusqu’aux dents. La quasi-totalité des sociétés israéliennes qui produisent des drones, y compris les drones d’attaque ou les «drones suicide» qui s’autodétruisent, ont vendu leur matériel à l’armée azérie.

Pour couvrir et équilibrer le coût en hausse des armements, Israël achète du pétrole à l’Azerbaïdjan.

3 – Ilham Aliev, Monsieur Bons offices du rapprochement Israël- Turquie, en toile de fond du soutien de Joe Biden aux Kurdes et l’instrumentalisation du dossier Fethullah Gulen.

La nouvelle convergence israélo-turque a été initiée par le Président Ilham Alief en vue concilier ses deux alliés. Le président Erdogan cherche à atténuer les rigueurs de la politique occidentale à son égard, notamment avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, connu pour son soutien aux Kurdes, en vue de neutraliser toute éventuelle instrumentalisation du dossier Fethullah Gûlen. Cet Intellectuel musulman turc est l’inspirateur du mouvement Gülen, aussi appelé le mouvement Hizme. Apatride vivant aux États Unis, il est accusé par M. Erdogan, dont il est le rival idéologique, d’avoir fomenté un coup d’état contre lui en 2015.
Par ce rapprochement avec Israël, le président turc espère compter sur le soutien du lobby juif en Europe et aux États Unis en vue de neutraliser les effets des sanctions économiques de l’Union européenne et des États Unis.

Jusqu’en 1999, la Turquie a été le troisième pays bénéficiaire de l’aide militaire américaine après Israël et l’Égypte. Rien qu’en 1997 l’aide américaine à la Turquie en guerre contre les autonomistes Kurdes a dépassé celle que ce pays a obtenue pendant la totalité de la période 1950-1983 de la guerre froide. cf. «Les États-Unis entre hyper puissance et hyper hégémonie, le terrorisme, l’arme des puissants» Noam Chomsky-Le Monde Diplomatique Décembre 2001.
Au delà, la normalisation israélo-turque devrait, dans l’esprit d’Ankara, favoriser une normalisation entre la Turquie et les pétromonarchies du Golfe, notamment l’Arabie saoudite auquel un vif contentieux oppose à propos de l’équarrissage du journaliste Jamal Kashoggi au consulat saoudien à Istanbul, en octobre 2018, ainsi que l’Égypte, en guerre larvée avec la Turquie depuis la destitution du président néo islamiste Mohamad Morsi.

Il n’est pas indifférent de noter à ce propos que la Turquie, habituellement en pointe dans la défense des Palestiniens, n’a pas pipé mot lors de la normalisation entre Israël et le Maroc.

4 – Les Frères Musulmans ; Un phénomène de scissiparité en perspective.

Les Frères Musulmans ont considéré jusqu’à présent la Turquie comme un guide, un exemple, un rempart à toute normalisation avec Israël.
La réactivation des relations entre la Turquie et Israël paraît devoir mettre à rude épreuve la cohésion des Frères Musulmans… dans un remake comparable au débat qui a agité la confrérie lors de la conclusion des accords égypto-israéliens de Camp David, qui ont débouché sur le Traité de Washington en Mars 1979.

A cette époque, les Frères musulmans avaient été secoués par un phénomène de scissiparité, enregistrant plusieurs scissions dans leurs rangs donnant naissance notamment au mouvement du Jihad islamique égyptien et au «Takfir wa Hojra». Fondé dans la décennie 1970, ce mouvement «Anathème et Exil» prône une idéologie violente. Le terme takfiri signifie littéralement «excommunication. Les takfiristes considèrent les musulmans ne partageant pas leur point de vue comme étant des apostats, donc des cibles légitimes pour leurs attaques.

Par radicalisation successive, ces groupements ont rejoint, dans la décennie 1980 la grande centrale d’Al Qaida, dont la branche égyptienne constituait le volet politique (Aymane Al Zawahiri) et la branche syrienne, la branche militaire (Mohamad Al Joulani).

5- Une désertion du leadership sunnite du champ de bataille contre Israël.

Rétrospectivement, la confrérie des Frères Musulmans apparaît comme la roue dentée de la stratégie atlantiste dans la sphère arabo-musulmane. D’abord contre les républiques progressistes arabes (Égypte-Syrie), à l’apogée du nassérisme, dans les décennies 1950-1970, puis comme mercenaires des pétro monarchies dans l’implosion de l’Union soviétique, lors de la guerre d’Afghanistan, dans la décennie 1980;
Enfin comme «chairs à canon» dans la destruction des régimes arabes à structure républicaine (Libye, Syrie, Égypte, Yémen), dans la séquence dite du «printemps arabe»……avant d’être criminalisé par l’Arabie saoudite, leur premier incubateur, pour solde de tout compte des turpitudes wahhabites. Renvoyer tel de vulgaires laquais.

Un parfait contre exemple d’un mouvement de libération national qui signe dans l’ordre subliminal la désertion du leadership sunnite du champ de bataille contre Israël , à la notable exception de l’Algérie, de la Tunisie et du Koweît, au profit des chiites: l’Iran, le Hezbollah libanais, le Hached As Chaabi, la milice chiite irakienne et les Houthistes du Yémen. Et naturellement le Liban, seul pays au monde à voir abrogé un traité de paix avec Israël par un soulèvement populaire de la frange progressiste de la population de Beyrouth, en 1983, fait unique dans les annales diplomatiques internationales.
Épilogue: A propos de l’Islamisme, en guise de théologie de Libération

La fable selon laquelle l’islamisme est la version musulmane de la théologie de libération du Monde occidentale est une imposture

La théologie de la Libération chez les Catholiques a été une «alliance de classe». Une «alliance horizontale», c’est à dire une alliance des paysans ouvriers, croyants ou non croyants, chrétiens ou non chrétiens, des civils et des prêtres contre la hiérarchie religieuse, la hiérarchie militaire, la junte au pouvoir en Amérique Latine, de même que les capitalistes.

Quiconque ne participait pas à au combat de libération était contourné, mis de côté. Pas de viols, ni de profanation encore moins la destruction des symboles religieux à l’instar des Bouddhas de Bamyan ou des stèles de Tombouctou de l’Islam noir. L’objectif était la Libération du peuple de toute forme d’oppression.

L’Islamisme, présentée comme étant la théologie de libération dans l’Islam, est une «alliance verticale». Une «alliance sectaire» regroupant EXCLUSIVEMENT BIEN EXCLUSIVEMENT des musulmans sunnites de la mouvance salafiste takfiriste.
L’objectif est le primat sunnite de rite wahhabite et sa soumission à l’imperium américain, le principal protecteur d’Israël, et non le renversement de l’ordre social. Quiconque ne relevait de l’Islam sunnite wahhabite subissait le contrecoup, décapitation ou conversion forcée au wahhabisme
La théologie de Libération en Amérique s’est appuyée sur le peuple pour lutter à la libération du peuple.

L’Islamisme s’est appuyé sur les ennemis du peuple arabe et musulman pour faite triompher leurs anciens colonisateurs; Youssef al Qaradawi, le Mufti du Qatar et de l’Otan, qui supplie l’Otan de bombarder la Syrie, un pays qui a mené 4 guerres contre Israël demeurera une souillure morale indélébile.
Ce milliardaire polygame avait lancé son appel depuis Doha où il était à l’abri d’une attaque israélienne protégé par l’imposante base d’Aydid, la plus importante base américaine du tiers monde, dont le rayon d’action couvre une zone s’étendant de l’Afghanistan au Maroc.

Au terme d’une lutte quasi centenaire, l’objectif initial des Frères Musulmans, la restauration du Califat en vue d’impulser une renaissance de la nation islamique (Oumma) se fracasse sur les dures réalités d’une balkanisation du monde arabe, foyer historique de l’Islam, sous les fourches caudines israélo-américaines. Drôle de «frérots». Des charlots plutôt

Pour le locuteur arabophone, la réactivation des relations Turquie-Israël sur ce lien:

A lire :
Traduction de la légende de l’illustration

«La folie des grandeurs d’Erdogan et les prémisses de la faillite des Frères Musulmans» de Mohamad Mathlouti, écrivain tunisien.

Reçu de René Naba pour publication
Source : Madaniya
https://www.madaniya.info/…