Gabriel Shipton, John Shipton, Stella Moris et la mère de Stella (WSWS Media)

Par Thomas Scripps

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, s’est marié mercredi avec sa fiancée Stella Moris.

La cérémonie a eu lieu à la prison de haute sécurité de Belmarsh, en Grande-Bretagne, où Assange est détenu depuis trois ans. Il lutte contre l’extradition vers les États-Unis sous des accusations d’espionnage, passibles d’une peine de prison à vie, pour avoir démasqué des crimes de guerre et des violations des droits de l’homme perpétrés par le gouvernement américain et ses alliés.

Des partisans se sont rassemblés devant l’entrée de la prison dès le début de l’après-midi pour accueillir Stella Moris. Elle est sortie peu après 16h, accompagnée de ses fils Max (3 ans) et Gabriel (4 ans), de sa mère, de son beau-père John Shipton et de son beau-frère Gabriel.

Moris, dans sa robe de mariée et son voile, tenant un bouquet de fleurs, faisait face à une rangée de policiers. Les photographes se sont bousculés pour capturer des images de la petite fête de mariage alors que les policiers retenaient les partisans et les médias rassemblés.

La mariée s’est jointe à ses proches, s’arrêtant pour couper un gâteau de mariage à étages fourni par des militants de longue date d’Assange. Une fois que les deux heures allouées pour une visite familiale ont été écoulées, dans ce qui a dû être un départ déchirant, les remarques de Moris ont été brèves, mais sincères, démontrant le courage et la dignité caractéristiques de Moris dans l’adversité.

Le gâteau de mariage à étages fourni par des militants de longue date d’Assange (WSWS Media)

«Je vous remercie. Je ne sais pas quoi dire. Je suis très heureuse et très triste. J’aime Julian de tout mon cœur, et j’aimerais qu’il soit là. Ce que nous vivons est cruel, inhumain. L’amour que nous avons l’un pour l’autre nous porte à travers cette situation et toutes les autres qui viendront. C’est la personne la plus incroyable au monde, il est merveilleux et il devrait être libre».

L’événement était un acte de défi. Comme l’a expliqué Moris dans un commentaire publié dans le Guardian la veille, «c’est une déclaration d’amour et de résilience malgré les murs de la prison, malgré les poursuites politiques, malgré la détention arbitraire, malgré le mal et le harcèlement infligés à Julian et à notre famille».

En organisant et en rendant public leur mariage, a déclaré Moris, ils se défendent contre les efforts de l’État britannique pour garder Assange «invisible au public à tout prix», pour le faire «disparaître de la conscience publique».

Stella Moris devant la prison de Belmarsh après le mariage (WSWS Media)

Des moyens extraordinaires et cruels ont été mis en œuvre pour isoler Assange de l’immense compassion populaire suscitée par WikiLeaks qui dénonce sans détour les crimes du gouvernement. Il a été détenu au secret au cours de ses derniers mois d’asile en 2019, à l’ambassade d’Équateur à Londres, avant d’être emmené à Belmarsh, et n’a pu assister qu’à titre symbolique à ses propres audiences. De multiples demandes de libération sous caution, même dans des conditions strictes d’assignation à résidence, ont été refusées.

L’année dernière, les autorités pénitentiaires ont tenté d’empêcher la tenue du mariage. Une demande officielle de mariage a été envoyée à Belmarsh le 7 octobre, après que le couple se soit renseigné, et quelques jours plus tard, les avocats d’Assange ont demandé la permission à Moris et à un officier d’état civil de se rendre à la prison pour prendre les dispositions nécessaires. Pendant des semaines, ils n’ont eu aucune réponse. La directrice de la prison, Jenny Louis, a finalement écrit que la demande avait été transmise au Crown Prosecution Service, qui représente le gouvernement américain dans cette affaire.

Moris a commenté: «Il est exaspérant que l’agence qui représente le pays qui a comploté pour tuer Julian, qui le torture psychologiquement et le traque, soit celle qui décide si nous pouvons nous marier».

Assange et Moris ont finalement dû menacer d’intenter une action en justice contre Louis et le ministre de la Justice Dominic Raab pour avoir enfreint leurs droits en créant une «barrière totale et indéfinie non seulement pour se marier, mais même pour commencer le processus statutaire pour se marier». Le couple a obtenu la permission peu avant l’expiration du délai de préavis de leur action en justice.

WSWS Media

Gabriel Shipton, John Shipton, Stella Moris, la mère de Stella, et les enfants Max et Gabriel quittent la prison de Belmarsh et se dirigent vers les partisans et les sympathisants après le mariage (WSWS Media)

De l’avis général, la cérémonie de mercredi était étroitement contrôlée. Les autorités ont autorisé seules six témoins à assister à l’événement. Moris a expliqué plus en détail dans son commentaire du Guardian: «En coulisses, nous sommes pris dans un conflit avec le ministère de la Justice et les autorités pénitentiaires, qui ont refusé les témoins que nous avions proposés parce qu’ils sont journalistes, et qui ont refusé le photographe que nous avions proposé parce qu’il travaille également comme photographe de presse, même s’ils étaient tous présents à titre privé».

Selon la prison, ces personnes auraient représenté un «risque pour la sécurité». Moris note de manière prononcée que «Belmarsh autorise régulièrement la photographie. Tommy Robinson [le leader fasciste britannique] et d’autres détenus condamnés ont été autorisés à être interviewés devant une caméra lorsque ITV a filmé l’intérieur de la prison».

L’un des témoins refusés était le journaliste écossais et ancien ambassadeur du Royaume-Uni, Craig Murray. Il a rejoint l’événement à l’extérieur de la prison.

Craig Murray (WSWS Media)

S’adressant aux journalistes, Craig Murray a déclaré à propos de son exclusion de dernière minute: «Cela fait partie de la torture mentale permanente que, même en ce jour le plus heureux, ils rayent au dernier moment des invités de sa liste, juste pour l’embrouiller. C’est juste pour essayer de rendre les choses aussi désagréables qu’ils le peuvent».

Il a décrit le mariage d’Assange avec Moris comme «un véritable triomphe d’espoir et d’amour dans des circonstances extrêmes. C’est un homme qui est confronté à la perspective de ne jamais pouvoir vivre avec sa femme et sa famille…»

«Je pense que c’est une véritable victoire pour Julian. Il a dû se battre pour faire valoir son droit de se marier, alors qu’il a manifestement ce droit».

Murray a commenté le fait qu’on n’a pas autorisé un photographe de presse à figurer sur la liste des invités de Julian Assange, bien qu’il ait clairement indiqué qu’il y assistait à titre personnel. Murray a dit: «L’ensemble du mariage va bien entendu être photographié et surveillé à chaque instant et probablement sous plusieurs angles différents, mais en secret par l’État et non par un photographe de mariage».

À la question de savoir pourquoi les autorités ont trop peur d’autoriser ne serait-ce qu’une photo d’Assange le jour de son mariage, Murray a répondu: «Elles ne veulent pas qu’il bénéficie d’une couverture médiatique positive. C’est pourquoi ils ont peur d’une photo de mariage et du fait que j’écrive simplement un compte rendu de ce que j’ai ressenti en étant là».

Le mariage a eu lieu moins de deux semaines après que la Cour suprême du Royaume-Uni a refusé d’entendre un appel des avocats d’Assange contre une décision antérieure de la Haute Cour qui ordonnait son extradition vers les États-Unis. Il conserve le droit de faire plusieurs autres appels, mais rien ne garantit que les tribunaux concernés accepteront de les entendre. S’ils refusent, son extradition pourrait avoir lieu dans quelques mois.

Face à cette campagne acharnée, Assange et sa famille continuent de faire preuve d’un immense courage. Leur force d’âme donne à leurs partisans toutes les chances de mettre sur pied une campagne qui vise à obtenir sa liberté.

Des partisans de Julian Assange et Stella Moris devant la prison de Belmarsh au moment du mariage (WSWS Media)

Cette campagne doit de toute urgence trouver un soutien massif. Elle ne peut pas le faire en faisant appel aux médias bourgeois, qui sont eux-mêmes les premiers responsables de l’isolement du fondateur de WikiLeaks par la diffamation et le silence. Ce n’est pas possible non plus d’obtenir un soutien populaire par le biais des syndicats et de «la gauche» du Parti travailliste. Aucun de ces derniers n’était présent mercredi. De toute façon, ils ne représentent aucune force significative en dehors d’une mince couche de la classe moyenne et de la bureaucratie syndicale.

La campagne en faveur de la libération d’Assange doit au contraire s’adresser directement à la classe ouvrière internationale qui entre en lutte contre ses gouvernements face à l’effondrement du niveau de vie, aux réductions des dépenses sociales, à l’autoritarisme et au danger croissant de la guerre. Ce n’est qu’en reconnectant Assange à un mouvement de masse des travailleurs et des masses opprimées dans le monde entier contre la dictature et l’impérialisme, qu’on pourra mettre fin à sa persécution et traduire ses tortionnaires en justice.

(Article paru en anglais le 24 mars 2022)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…

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