Standing ovation pour Waters à Francfort, Allemagne

Par David Walsh

Les calomnies lancées contre Roger Waters ont le débit des chutes du Niagara. Le musicien-activiste est attaqué en raison de son opposition à la guerre menée par les États-Unis en Ukraine, de sa critique du traitement des Palestiniens par le gouvernement israélien et de ses opinions politiques résolument anti-establishment dans leur ensemble. Les élites dirigeantes, par le biais de leurs médias corrompus, tentent de détruire Waters et d’intimider d’autres artistes, interprètes et intellectuels pour qu’ils ne s’expriment pas. Il s’agit d’une attaque désespérée et systématique contre la liberté d’expression et d’expression artistique.

Le gouvernement Biden s’en est mêlé mardi. Le département d’État américain a affirmé dans un courriel non-signé que Waters avait « une longue histoire d’utilisation de clichés antisémites » et qu’un concert récent en Allemagne « contenait des images qui blessent cruellement les Juifs et banalisent l’Holocauste ».

Ce courriel faisait suite aux questions directes soulevées lundi lors d’un briefing du département d’État. Un journaliste avait demandé à un porte-parole du département d’État confus et non préparé si le gouvernement Biden était d’accord avec la « distorsion incroyable » contenue dans les commentaires faits à propos de Waters par Deborah Lipstadt, l’envoyée spéciale des États-Unis pour combattre l’antisémitisme.

Lipstadt avait pour sa part exprimé son accord avec la remarque de Katharina von Schnurbein de la Commission européenne, qui affirmait qu’il n’y avait rien « de plus antisémite que d’utiliser Anne Frank comme accessoire sur une scène allemande tout en se pavanant dans un uniforme nazi pour attaquer les Juifs ». Lipstadt a condamné par ignorance Waters « et sa méprisable déformation de l’Holocauste ».

Bien entendu, comme le sait toute personne honnête – ou toute personne désireuse de savoir – Waters interprète une version de son œuvre anti-autoritaire The Wall depuis 40 ans y compris une partie où il se fait passer pour un type fasciste qui attaque les « homos », les « rouges » et les « juifs » et menace de les tuer tous. L’œuvre théâtrale est une attaque féroce et satirique contre le sectarisme, le racisme, l’antisémitisme et l’anticommunisme.

Dans cette tentative de détruire Waters, aucune déformation ou mensonge n’est cependant trop bas ni trop absurde.

La calomnie remplit une fonction politique importante et doit être examinée et combattue.

Le département d’État américain, avec toutes ses vastes ressources et son pouvoir meurtrier, a maintenant donné sa bénédiction aux allégations d’antisémitisme lancées contre Waters. Ceci est un avertissement des plus sérieux. L’exemple de Julian Assange ne doit échapper à personne.

L’hypocrisie pue ici à plein nez. Il est impossible de présenter ici toute l’histoire de cette agence de l’exécutif et de ses relations amicales avec les dictatures militaires, les régimes fascistes et semi-fascistes, dont beaucoup officiellement associés à l’antisémitisme ou au racisme, comme celui de Franco en Espagne et de Salazar au Portugal ; l’apartheid en Afrique du Sud, les gouvernements de « terreur blanche » à Taïwan et en Corée du Sud, les innombrables régimes meurtriers d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale – la liste est bien trop longue.

Pour ne parler que du présent, le gouvernement Biden finance et dirige une guerre contre la Russie en alliance avec un État et une armée ukrainiens infestés de fascistes. Il n’est même pas tout à fait approprié de parler de « néo-nazis », car dans de nombreux cas ce sont des gens qui revendiquent une ligne de continuité ininterrompue entre eux et les complices nazis de l’OUN (Organisation des nationalistes ukrainiens) de Stepan Bandera et ses semblables.

Lipstadt a obtenu respect et renommée en s’opposant aux négationnistes de l’Holocauste tels que David Irving, battant son procès en diffamation devant un tribunal anglais en 2000. De plus, elle a condamné l’historien allemand et apologiste d’Hitler Ernst Nolte, qui a le premier tenté de réhabiliter le nazisme dans les années 1980, affirmant que ses crimes historiques étaient une réponse compréhensible à la barbarie du bolchevisme en URSS.

Mais aujourd’hui, Lipstadt est une fervente partisane de la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie.

Son évolution illustre l’immonde trahison par toute une couche sociale de son érudition et de ses principes antérieurs. Elle se livre tout entière à la banalisation et à la légitimation des fascistes qui ont perpétré l’Holocauste.

Lipstadt se retrouve dans une alliance avec des gens qui défendent la guerre en Ukraine, à laquelle Waters s’oppose, qui utilisent les arguments de Nolte, formulés un peu plus prudemment. Paul Krugman du New York Times par exemple, qui comme l’a dit avant-hier le WSWS, soutient à présent que « tout ce que l’OUN a fait pendant la Seconde Guerre mondiale était la réponse tout à fait compréhensible des combattants de la liberté ukrainiens à l’oppression soviétique ». Krugman « ressuscite les falsifications historiques des apologistes de droite du nazisme allemand ».

La logique s’envole par la fenêtre car, comme l’a soutenu Léon Trotsky, «quand des hommes, surtout armés du pouvoir, persévèrent à chercher, ils trouvent toujours quelque chose à la fin des fins […] Quand il s’agit d’intérêts matériels menacés, les classes instruites mettent en mouvement tous les préjugés et les erreurs que l’humanité traîne dans son convoi ».

Roger Waters est devenu la victime d’un lynchage médiatique car son hostilité envers les pouvoirs en place trouve un écho auprès de millions de personnes, en particulier les jeunes. Il est l’un des rares de sa génération à ne pas avoir trahi, selon les mots du leader trotskyste américain James P. Cannon, « le devoir sacré de l’artiste de tenir le miroir à la vie et de le refléter véritablement ».

Waters fait référence dans une récente déclaration vidéo à la « racaille » qui tente de faire interdire ses prochains concerts en Grande-Bretagne. « C’est démentiel », explique Waters. « Si nous crions le mensonge assez fort, ‘Roger Waters est un antisémite’, tout ira bien. Nous amènerons les gens à y croire. Le vilipender, le détruire […] Répétez votre mensonge, cela reste un mensonge malveillant ». Le musicien reconnaît cependant qu’il est « vraiment affecté […] au-delà de toute mesure » par les diffamations, qui sont « profondément, profondément insultantes ».

Il note que ces attaques, « pas seulement d’un point de vue personnel », sont « un scandale ». Elles nient tout ce que la société britannique prétend être, la démocratie, le « fair-play ». Il se hérisse, comme il se doit, à « l’idée qu’[il] ne devrait pas être autorisé à parler ».

Le célèbre musicien décrit comment il se réfère dans tous ses concerts aux victimes de l’oppression dans la localité donnée. Ainsi, en Amérique, il a pointé du doigt des victimes de meurtres policiers comme George Floyd. En Allemagne, il rend hommage à Anne Frank, jeune victime des nazis, ainsi qu’à Sophie et Hans Scholl, guillotinés en 1943 par le régime hitlérien pour leur activité antifasciste.

Comme nous l’avons noté en juillet 2022, lors de la tournée nord-américaine de Waters, la grande majorité des artistes de son âge « ont perdu leur colère il y a des décennies. Ils ont fait leur paix sociale et artistique avec la société. Ils se voient obligés de recycler leur matériel original car ils n’ont rien de nouveau ni d’important à dire. Pire que tout, ils peuvent même avoir droit à un Kennedy Center Honor, ce ‘‘large ruban arc-en-ciel’’ de la honte, accroché autour du cou par des présidents américains aux mains pleines de sang ».

Waters « reste un artiste actif, travailleur et réfléchi. Il est toujours engagé, va toujours de l’avant. Son travail est la réponse d’un artiste sérieux aux conditions de son temps ».

Cette campagne de diffamation contre un seul musicien reflète l’intense nervosité du gouvernement américain et de ses alliés. La classe dirigeante est terrifiée à l’idée que les opinions anti-guerres puissent s’imposer, devenir contagieuses. La tournée de concerts de Waters a été suivie par des centaines de milliers de personnes et ses condamnations du système actuel et de ses crimes ont été acclamées, y compris en Allemagne où les autorités ont cherché en vain à interdire ses concerts.

Waters compte des millions de supporters. Et si d’autres artistes et intellectuels emboîtaient le pas ? L’establishment sent le sol se dérober sous ses pieds. Bien sûr, il se déchaîne, essaie de piétiner dans le sang et la crasse tout ce qui est progressiste dans la société.

Le récit officiel est déjà remis en question et contesté par des masses de travailleurs du monde entier. Le soutien à la guerre est concentré dans une mince couche sociale de la classe moyenne supérieure, dont la haine féroce de la Russie a ses racines historiques dans l’anticommunisme de la Guerre froide. Malgré la restauration du capitalisme, on ne pardonnera pas à la Russie son association historique avec la Révolution d’octobre, le bolchevisme et le socialisme.

La calomnie politique de ce type finit par saper et perdre le calomniateur. C’est une épée à double tranchant. Les travailleurs et les jeunes commenceront à se demander : quel sens cela a que les affirmations sur Waters viennent des sources mêmes qui nous sont les plus hostiles et les plus odieuses ? Des gouvernements qui supervisent la pauvreté et les inégalités sociales, qui permettent à une pandémie de tuer des millions de gens, qui mènent des guerres sans fin, qui menacent de détruire tous les droits démocratiques. Des médias qui attaquent les travailleurs et les traitent de paresseux, les jeunes d’irresponsables, les grévistes de dangereux pour l’économie, et disent des pauvres qu’ils sont responsables de leur propre misère.

Waters est un adversaire courageux, ayant des principes, de la guerre et de l’oppression impérialistes. C’est la tâche de la classe ouvrière, et seule la classe ouvrière peut le faire, de l’adopter comme son allié et de le défendre.

(Article paru en anglais le 8 juin 2023)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…