Une femme passe devant une clôture à l’extérieur du cimetière Green-Wood de Brooklyn,
ornée d’hommages aux victimes de la COVID-19 (AP Photo/Mark Lennihan)

Par Andre Damon

Hier à 17 h, les cloches de la cathédrale nationale américaine ont sonné 900 fois, pour commémorer les 900.000 décès américains dus à la COVID-19.

Cela fait seulement 55 jours – moins de deux mois – que les cloches de la cathédrale avaient sonné pour commémorer 800.000 morts.

Et au rythme actuel de 2.700 morts par jour, il ne faudra plus que 37 jours pour que les États-Unis enregistrent un million de morts.

Cette étape, source de douleur pour des millions de personnes qui ont perdu leurs amis et leurs proches, a été accueillie avec indifférence par les médias.

Lorsque les États-Unis ont atteint le chiffre de 100.000 décès dus à la COVID-19 en mai 2020, le New York Times a consacré toute sa première page à la liste des morts. Mais avec un chiffre neuf fois supérieur, le Times n’a publié qu’un minuscule texte en bas de sa une, intitulé «900.000 morts, mais beaucoup d’Américains passent à autre chose».

Quelle insensibilité sans nom! Que signifie «passer à autre chose»? C’est une expression que l’on peut utiliser pour décrire la décision de changer de travail. Les morts ne peuvent pas «passer à autre chose». Et pour les survivants qui doivent faire face au décès d’un membre de la famille ou d’un ami, ils vivent avec l’expérience de la perte pour le reste de leur vie, et d’autant plus lorsque le décès a été soudain et inattendu, n’ayant eu peu ou pas de temps pour se préparer et faire ses adieux. Et pour ajouter à la tragédie de la douleur persistante des survivants, des milliers de personnes sont mortes seules, dans des unités de soins intensifs, sans pouvoir être réconfortées par leurs proches.

Lorsque le Timesparle de «passer à autre chose», il ne s’agit pas d’individus accablés par le chagrin. Les rédacteurs du Times décrivent la classe capitaliste pour laquelle ils s’expriment.

Ce que «passer à autre chose» signifie pour les décideurs politiques du gouvernement, l’élite financière et patronale et ses apologistes médiatiques est d’agir comme si la pandémie était terminée. Les gouvernements fédéraux et des États mettent fin aux restrictions sur la propagation de la maladie. Il ne faudra pas longtemps avant que le nombre de morts dépasse le million.

Alors que la mort est normalisée, les reportages sont réduits à néant dans le cadre d’une vaste opération de camouflage. Les États, l’un après l’autre, réduisent la fréquence des rapports sur les cas et les décès, ferment leurs tableaux de bord COVID-19 et éliminent les programmes de recherche des contacts. Au début du mois, le ministère américain de la Santé et des Services sociaux a mis fin à ses mesures quotidiennes de déclaration des décès dans les hôpitaux, dans le cadre d’un effort international qui vise à mettre fin à la déclaration des cas et des décès.

Les efforts croissants pour dissimuler la pandémie et «passer à autre chose» coïncident avec la réalité de plus en plus horrible à laquelle est confrontée la société américaine.

Chaque jour de la semaine dernière, plus de 3.000 personnes sont mortes de la COVID-19 aux États-Unis, selon la BNO. Un nombre stupéfiant de 18.578 personnes ont perdu la vie au cours de la seule semaine dernière.

Plus de 60.000 Américains sont morts en janvier. Il s’agit du mois le plus meurtrier depuis février 2021, alors que le nombre de personnes entièrement vaccinées était en deçà de 10%. Si le rythme actuel des décès se poursuit, le mois de février sera encore pire que janvier, ce qui en fera le troisième pire de l’histoire de la pandémie.

Depuis le début de la pandémie, un Américain sur 366 a perdu la vie à cause de la COVID-19, dont un Américain sur 31 âgé de plus de 85 ans. Au cours de la première année de la pandémie, en 2020, 351.000 Américains sont morts. 475.000 autres sont morts en 2021. Jusqu’à présent, plus de 75.000 sont morts cette année. Si le taux de mortalité de janvier se maintient en 2022, le nombre de décès au cours de la troisième année de la pandémie sera le plus élevé à ce jour, soit 720.000.

Il est presque impossible de décrire l’ampleur des décès qui se sont déjà produits. Le nombre de victimes de la COVID-19 aux États-Unis est quatre à six fois supérieur au nombre de personnes tuées lors des attaques à la bombe atomique sur Hiroshima et Nagasaki. Il équivaut à peu près à la population totale de l’État du Delaware et est supérieur aux populations des villes de Detroit, Washington DC, Las Vegas ou Seattle.

Le nombre de décès dus à la COVID-19 est plus important, et de loin, que le nombre de morts au combat de toutes les guerres que les États-Unis ont combattues.

Mais même les chiffres officiels sont une sous-estimation massive des pertes en vies humaines causées par la pandémie, l’Economist estimant que le nombre réel de décès excédentaires aux États-Unis s’élève à 1,2 million.

Parmi les morts figurent 1.244 enfants et, selon les chiffres des Centres de contrôle et de prévention des maladies, sept enfants en moyenne meurent actuellement chaque jour.

Le nombre de morts ne rend toutefois pas compte de l’impact considérable de la pandémie sur la société américaine. Le Dr Charles Nelson, co-auteur d’une étude publiée en octobre dernier sur les «orphelins de la COVID», a déclaré à Newsweek la semaine dernière que le nombre d’enfants ayant perdu un parent ou la personne qui s’occupe d’eux à cause de la COVID-19 a désormais dépassé les 200.000. Le niveau de traumatisme qui a été infligé à une génération entière est incalculable.

Selon l’étude, «la vie des enfants est définitivement bouleversée par la perte d’une mère, d’un père ou d’un des grands-parents qui leur fournissait un toit, des besoins fondamentaux et des soins. La perte d’un parent fait partie des expériences négatives de l’enfance (ACE) liées aux problèmes de santé mentale».

«Nous tous – en particulier nos enfants – ressentirons les graves répercussions immédiates et à long terme de ce problème pour les générations à venir», conclut l’étude.

Parallèlement au nombre croissant de décès, des millions d’Américains souffrent aujourd’hui de COVID longue durée, qui comprend une série de symptômes débilitants pouvant affecter presque toutes les parties du corps, y compris le cerveau, le cœur, les poumons et d’autres organes vitaux.

Alors que les médias et l’establishment politique cherchent à dissimuler le nombre croissant de morts et refusent de mettre en place une réponse sérieuse pour arrêter la pandémie, ils hurlent à la guerre contre la Russie et la Chine. Après avoir tué plus de 900.000 Américains, ils se livrent à des provocations irresponsables qui menacent de dégénérer en un conflit nucléaire susceptible de détruire la civilisation.

Dimanche, le New York Times a proclamé avec enthousiasme dans son article principal, et NBC Nightly News dans son segment principal, que 50.000 civils mourraient dans une invasion russe de l’Ukraine, ignorant le fait que plus que ce nombre d’Américains étaient morts d’une maladie évitable le mois précédent.

La classe dirigeante n’a pas l’intention de mettre fin à la pandémie. Les 10 hommes les plus riches du monde ont doublé leur valeur nette au cours des deux dernières années. L’indice S&P 500 a bondi de plus de 40 pour cent, et la valeur de toutes les formes de propriété financière et immobilière a explosé.

La classe ouvrière internationale est la force sociale qui peut et doit arrêter la pandémie. À l’échelle mondiale, les travailleurs entrent en lutte de manière toujours plus consciente dans ce but. Aux États-Unis et en Europe, les éducateurs et les étudiants ont mené des dizaines de grèves et de débrayages pour exiger le passage à l’apprentissage à distance. En Allemagne, plus de 100.000 étudiants, parents et travailleurs ont signé une pétition s’opposant à la politique irresponsable du gouvernement en matière de réouverture des écoles.

Ce mouvement croissant de la classe ouvrière doit être armé d’une compréhension à la fois scientifique et politique de la pandémie. La mort inutile de plus de 900.000 Américains constitue un crime social massif qui doit faire l’objet d’une enquête et être méticuleusement documenté. En novembre dernier, le World Socialist Web Site a lancé l’Enquête ouvrière mondiale sur la pandémie de COVID-19 afin de jeter la lumière sur les responsables de la pandémie.

La pandémie a révélé devant des masses de gens le véritable caractère du capitalisme américain: un ordre social consacré à l’enrichissement égoïste de l’oligarchie financière, également indifférent au sort de la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde entier.

C’est une leçon cruelle, mais qui doit être prise au sérieux. Le capitalisme est fondamentalement incompatible avec les besoins de la société moderne. La lutte pour mettre fin à la pandémie est inséparable de la lutte pour abolir cet ordre social et le remplacer par le socialisme.

(Article paru en anglais le 7 février 2022)

Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…

Notre dossier États-Unis
Notre dossier Santé