Les Palestiniens bédouins font face à une discrimination systématique
depuis la fondation de l’État d’Israël – Photo: Activestills

Par Jonathan Cook

Il serait extrêmement naïf d’imaginer que la décision des Émirats arabes unis et du Bahreïn de signer les accords dits d’Abraham en septembre dernier – pour normaliser les relations avec Israël – n’est pas basée sur la réciprocité. Comme pour la plupart des accords entre États, le principe directeur est “tu me grattes le dos et je te gratte le tien”. Les deux camps veulent recevoir autant qu’ils donnent.

Ce que les Émirats gagnent est clair. D’abord, ils auront accès aux armes et aux renseignements des États-Unis et d’Israël qui leur ont longtemps été refusés en vertu d’une doctrine assurant à Israël un “avantage militaire qualitatif” régional.

Pour avoir aidé un allié précieux des États-Unis, les responsables émiratis peuvent s’attendre à être encore mieux écoutés à Washington. Les futures administrations américaines seront sans doute encore plus disposées à fermer les yeux sur les violations des droits de l’homme aux Émirats arabes unis, et à faire de leurs monarchies autocratiques des phares de la réforme et du progrès arabes.

Mais si les avantages sont clairs, qu’est-ce que la normalisation a coûté exactement aux EAU ? Qu’est-ce qu’Israël va y gagner ? La plupart des bénéfices mentionnés jusqu’à présent sont relativement modestes. Israël et les Etats du Golfe coopèrent depuis longtemps en secret contre l’Iran, il n’y a donc pas de gain stratégique significatif pour Israël de ce côté-là.

Les EAU aideront à blanchir de l’argent, par le biais de l’Abraham Fund, pour payer les infrastructures d’oppression d’Israël contre les Palestiniens sous occupation, y compris la modernisation des points de contrôle.

Cela permettra de soulager davantage Israël du fardeau financier de l’occupation. Mais il s’agit néanmoins d’un avantage mineur, – du moins à court terme – au regard de la renonciation israélienne à l’annexion officielle de certaines parties de la Cisjordanie.

Les accords devraient également ouvrir de nouveaux marchés dans le monde arabe. Mais là encore, cela semble être une avancée relativement insignifiante puisqu’il existe des marchés beaucoup plus importants pour Israël en Europe, en Inde et en Chine. Par contre, l’accord avec les Émirats arabes unis pourrait ouvrir la voie à une normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël, et ça ce serait le gros lot.

Lire également : Normalisation avec Israël : imposer une défaite psychologique aux Palestiniens

Mais Israël ne bénéficiera vraiment de son association avec les pays du Golfe que si elle conduit à l’éradication de la cause palestinienne dans les capitales arabes. Dans le cas contraire, les accords ne seront qu’un exercice de relations publiques pour Israël. C’est ce point qui doit retenir notre attention.

L’objectif immédiat d’Israël est d’invalider officiellement l’engagement des États arabes envers l’initiative de paix arabe dirigée par l’Arabie saoudite en 2002, qui promettait une normalisation avec Israël à la seule condition que l’État hébreu accepte la création d’un État palestinien viable.

La normalisation selon les termes convenus par les EAU – c’est-à-dire sans aucun engagement israélien à l’égard de l’État palestinien – fait de ceux qui la signent des collaborateurs notoires de l’occupation. En fait, elle fait au monde arabe ce qu’Israël a fait auparavant aux dirigeants palestiniens par le biais des accords d’Oslo.

Aujourd’hui, l’Autorité palestinienne (AP), le gouvernement intérimaire permanent des Palestiniens dirigé par Mahmoud Abbas, sert principalement de sous-traitant sécuritaire à Israël. Le devoir “sacré” des forces de sécurité palestiniennes est de maintenir la sécurité d’Israël, de veiller à ce que les Palestiniens respectent les règles et ne résistent pas à l’occupation.

Désormais, les États arabes qui ont signé les accords d’Abraham devront agir de la même manière, c’est-à-dire comme des sous-traitants régionaux d’Israël. Ils utiliseront leur influence pour faire en sorte que l’Autorité palestinienne respecte les accords et pour l’empêcher d’opposer une résistance diplomatique qui menacerait le pacte de normalisation, laissant ainsi les mains libres à Israël.

Et comme les réfugiés sont une question régionale, les États du Golfe sont en bonne position pour aider à résoudre la question en faveur d’Israël, en mettant fin au droit du retour.

Ce ne sera pas nécessairement facile. Pour l’instant, la Jordanie, le Liban et la Syrie n’ont aucune envie de naturaliser le grand nombre de réfugiés palestiniens qu’ils accueillent. Beyrouth et Damas, en particulier, craignent depuis longtemps d’alimenter davantage les tensions ethniques et sectaires en absorbant des centaines de milliers de réfugiés palestiniens.

D’ailleurs, fin décembre, la Ligue arabe a publié une déclaration pour dire que la crise des finances de l’UNRWA avait pris “une tournure dangereuse”, et pour appeler les donateurs à honorer leurs promesses de contributions.

Selon des chiffres récents, quelque 90 % des ménages de réfugiés palestiniens en Syrie vivent dans la pauvreté absolue, et une proportion similaire au Liban a désespérément besoin d’une aide humanitaire régulière.

Lire également : Une dictature moyenâgeuse travestie en État fait acte d’allégeance au sionisme

L’UNRWA a récemment félicité la Jordanie pour son gros travail de collecte de fonds pour l’agence. Mais de plus en plus, les États arabes semblent divisés sur l’avenir de l’UNRWA et les coupes budgétaires sauvages des États du Golfe suggèrent qu’ils pourraient emprunter une voie différente, celle souhaitée par Israël.

En janvier, le personnel de l’UNRWA à Gaza a menacé d’organiser des manifestations, après avoir appris que l’agence ne serait pas en mesure de payer, avec 2 mois de retard, les salaires de novembre dus à ses 28 000 employés palestiniens. Abdul Aziz Abu Sweireh, un dirigeant syndical de Gaza, a accusé certains pays qu’il n’a pas nommés, de vouloir “liquider” l’UNRWA.

Contrairement aux trois États arabes qui accueillent une grande partie des réfugiés, le Golfe jouit d’une vaste richesse pétrolière qui, comme l’espère Israël, pourrait être utilisée pour consolider un nouveau consensus régional et international sur l’avenir des réfugiés.

L’UNRWA pourrait ainsi être progressivement étranglée par un manque continuel de financement, pendant que les donateurs du Golfe resserrent les rangs et que les États-Unis et l’Europe – qui subissent les conséquences économiques de la pandémie – ont de plus en plus de réticence à financer indéfiniment l’agence.

Si Israël obtient ce qu’il veut, le renouvellement du mandat de l’UNRWA en 2023 pourrait décider du sort de l’agence. La crise pourrait même éclater plus tôt, puisque les donateurs doivent se réunir dans les semaines à venir pour parler de leurs prochaines contributions.

Dans un nouvel article paru dans Middle East Quarterly, le journal interne de la droite pro-israélienne américaine alliée à Netanyahu, deux universitaires affirment que le “moment de vérité” est arrivé pour l’UNRWA. Ils exhortent les donateurs de l’agence à commander des audits, pour voir si leur argent est bien utilisé dans le but de “réformer” le système des réfugiés, étant donné que les Etats arabes “semblent moins enclins que jamais à accepter que leurs intérêts nationaux soit à la merci des caprices des dirigeants palestiniens”.

Ils concluent : “L’UNRWA doit prendre des mesures réelles en vue de la réinstallation finale des réfugiés dans les pays d’accueil… afin qu’ils cessent d’être des bénéficiaires passifs de l’aide sociale et qu’ils deviennent des citoyens productifs et entreprenants des sociétés dans lesquelles ils vivent.”

Lire également : Cruauté et cynisme : les raisons de la guerre des États-Unis et d’Israël contre l’UNRWA

De même, dans un article paru en janvier dans le quotidien Israel Hayom, largement considéré comme le porte-parole de Netanyahu, David Weinberg de l’Institut de Jérusalem pour la stratégie et la sécurité exhortait les dirigeants du Golfe à utiliser leur influence pour pousser les dirigeants palestiniens vers plus de “modération et de maturité”. Et il conseillait de “remplacer l’UNRWA par d’autres modes de financements humanitaires”.

Israël ne parviendra à ses fins que s’il réussit à faire pression sur la nouvelle administration Biden pour qu’elle poursuive sur la voie tracée par le président Donald Trump. Fin novembre, Ron Prosor, ancien ambassadeur israélien aux Nations unies et diplomate chevronné, a appelé Joe Biden à poursuivre la politique hostile à l’égard de l’UNRWA initiée par Trump.

Comme le suggère le rapport du Monde, le soutien des États du Golfe sera déterminant pour qu’Israël réussisse à détruire l’UNRWA et à abolir les droits des réfugiés palestiniens.

Netanyahu n’a laissé aucun doute sur son approche des relations internationales. Dans un tweet de 2018, il a partagé sa philosophie de la vie : “Les faibles ne tiennent pas le coup, ils sont massacrés et effacés de l’histoire tandis que les forts, pour le meilleur ou pour le pire, survivent. Les forts sont respectés, c’est avec eux qu’on s’allie et, à la fin, c’est avec eux qu’on fait la paix”.

La seule force des réfugiés palestiniens est l’agence des Nations unies qui a protégé leurs droits pendant plus de sept décennies. Balayez-la, et la voie sera libre pour effacer les réfugiés de l’histoire.

* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel ad the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.

10 Février 2020 – www.wrmea.org – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet

Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…