Par Bruno Guigue

Lorsqu’il proclame pour la première fois le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, en 1914, Lénine met le feu aux poudres du système colonial. L’onde de choc du bolchevisme ébranle les fondements de la domination européenne. Évincée du théâtre occidental, la dynamique révolutionnaire va rebondir sous des latitudes plus favorables. Après le coup d’envoi de Petrograd en 1917, l’offensive principale du prolétariat devait se dérouler à l’Ouest. Puisque l’agonie des révolutions allemande et hongroise en a dissipé le mirage, elle aura lieu au Sud : « On continue à considérer le mouvement dans les pays coloniaux, remarque Lénine, comme un mouvement national insignifiant et parfaitement pacifique. Il n’en est rien. Dès le début du XXe siècle, de profonds changements se sont produits, des centaines de millions d’hommes, en fait l’immense majorité de la population du globe, agissent à présent comme des facteurs révolutionnaires actifs et indépendants. Il est bien évident que lors des batailles décisives imminentes de la révolution mondiale, le mouvement de la majorité de la population terrestre, orienté au départ vers la libération nationale, se tournera contre le capitalisme et l’impérialisme, et jouera peut-être un rôle révolutionnaire beaucoup plus important que nous ne le pensions ».

Joignant les actes aux paroles, l’Internationale communiste fondée en mars 1919 a immédiatement lancé l’appel à la révolte des peuples colonisés. Dès septembre 1920, son comité exécutif réunit à Bakou le « Congrès des peuples de l’Orient ». Des centaines de délégués turcs, persans, géorgiens, arméniens, indiens et chinois participent à cette rencontre sans précédent. Représentant l’exécutif du Komintern, Zinoviev y définit la doctrine du mouvement communiste international : « Nous disons qu’il n’y a pas seulement au monde des hommes de race blanche. Outre les Européens, des centaines de millions d’hommes d’autres races peuplent l’Asie et l’Afrique. Nous voulons en finir avec la domination du capital dans le monde entier. Nous sommes convaincus que nous ne pourrons abolir définitivement l’exploitation de l’homme par l’homme, que si nous allumons l’incendie révolutionnaire, non seulement en Europe et en Amérique mais dans le monde entier, si nous sommes suivis par cette portion de l’humanité qui peuple l’Asie et l’Afrique ».

Le combat pour la libération des peuples opprimés, bien sûr, fait partie des exigences fixées pour l’adhésion à l’Internationale communiste : « Tout parti appartenant à la IIIe Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de ses impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais en fait, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimées, et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux ».

Fondée à Moscou en 1921, l’Université communiste des travailleurs d’Orient est destinée à former les cadres communistes des mouvements de libération. Déployant une activité fébrile, l’Internationale communiste fédère des mouvements anticolonialistes et antiracistes qui s’ignoraient jusqu’alors, notamment au sein de la « Ligue contre l’impérialisme et pour l’indépendance nationale », créée à l’instigation du patriote communiste indien Manabendra Nath Roy. Au Maghreb, le communiste Messali Hadj crée l’Étoile Nord-africaine et revendique l’indépendance de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc. Originaire de l’ouest algérien, il participe à la campagne contre la guerre du Rif, dénonce le colonialisme français et joue un rôle important dans l’adoption d’une ligne anticoloniale par le PCF.

L’Internationale communiste se dote aussi d’un « Bureau nègre », créé à Moscou en 1930, qui appuie la mise en place de réseaux panafricanistes. Arrivé en France en 1923, l’ancien tirailleur sénégalais Lamine Senghor milite pour « l’autosuffisance de la communauté noire ». Il poursuit son action au sein de la « Ligue de défense de la race nègre » soutenue par les communistes et animée par le militant malien Tiemoko Garan Kouyaté. Ancien instituteur, ce dernier défend l’idée d’un État continental africain à caractère socialiste, libéré de la tutelle coloniale européenne. Il participe aux travaux du Bureau nègre de l’Internationale communiste et du Comité intersyndical des ouvriers noirs. Résolument anticolonial, le mouvement communiste international se saisit de la question raciale : aux États-Unis, en 1931, les militants anti-impérialistes lancent une campagne en faveur de neuf jeunes Afro-Américains accusés à tort d’avoir violé deux femmes blanches. La révolution chinoise rencontre également un écho grandissant auprès du mouvement d’émancipation des Noirs. Sa popularité est telle qu’en 1940, à New-York, le chanteur Paul Robeson termine son récital avec la « Marche des Volontaires ». Avant que ce chant ne devienne l’hymne officiel de la République populaire de Chine, l’artiste afro-américain l’a ainsi immortalisé, comme le rapporte Nkolo Foé (1).

Pour le communisme international, l’échec de la révolution européenne ne ruine pas l’espoir d’une conflagration mondiale, mais il en reporte l’échéance et en déplace le théâtre. Si l’intuition du « maillon faible » a fondé la stratégie d’Octobre, c’est la certitude du réveil de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, à son tour, qui fonde l’espérance d’une révolution universelle. Car le cataclysme de la guerre mondiale a sorti les peuples coloniaux de leur torpeur séculaire. En mettant à nu les rivalités entre puissances occidentales, la guerre impérialiste a sapé les fondements de leur domination. La guerre ayant fait table rase des valeurs bourgeoises, rien n’arrêtera le mouvement de libération dont la crise mondiale a donné le signal : « La guerre impérialiste a aidé la révolution : la bourgeoisie a tiré des colonies, des pays arriérés, de l’isolement où ils étaient, des soldats qu’elle a lancés dans cette guerre impérialiste. Elle a fait entrer les peuples dépendants dans l’histoire du monde ». Le legs politique de Lénine à ses épigones orientaux, c’est cette vision prophétique d’une subversion mondiale dont le sort est lié à l’insurrection des peuples colonisés : « Les bases d’un mouvement soviétique sont maintenant jetées dans tout l’Orient, dans toute l’Asie, parmi tous les peuples coloniaux ». Cet héritage, la révolution afro-asiatique du XXe siècle saura le faire fructifier. Le congrès de Bakou marque ainsi le commencement d’un processus de libération qui connaîtra bien des péripéties mais qui sera irrésistible, et qui trouvera dans la conférence de Bandœng réunissant les dirigeants du Tiers Monde, trente-six ans plus tard, son accomplissement politique.

Mais aux révolutionnaires des pays colonisés, Lénine lègue beaucoup plus qu’une vision prophétique. Il leur transmet aussi le bénéfice d’une innovation stratégique : l’alliance ouvrière et paysanne. Balayant les préjugés de la tradition socialiste européenne, elle a fait merveille en Octobre. Le soldat-paysan révolutionnaire fut le bras armé du bolchevisme. Il sera aussi le fourrier de la révolution anticoloniale. L’alliance ouvrière et paysanne est d’une redoutable efficacité révolutionnaire en Chine, au Vietnam, à Cuba : les hiérarchies de l’Empire céleste, l’ordre colonial français et la domination nord-américaine n’y résisteront pas. L’alliance stratégique des ouvriers et des paysans, chez le fondateur du bolchevisme, est une arme à double détente. Elle ne résout pas seulement le problème d’un prolétariat industriel minoritaire en « pays arriéré », mais elle élargit aux dimensions de la planète les perspectives du communisme. Elle dilate les possibilités de la contagion révolutionnaire : non plus le champ clos de l’Occident développé, mais les immensités rurales de l’Orient. Non plus l’Europe occidentale et les États-Unis, cercle restreint des nations avancées, mais l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine. En mettant en mouvement les innombrables masses paysannes, la stratégie léniniste acquiert une vocation planétaire. Si elle brouille l’itinéraire classique de la révolution, c’est pour garantir à l’entreprise révolutionnaire un succès qui ne peut être que mondial.

« Il est impossible, déclare Lénine, que 70% des habitants du globe acceptent de vivre dans les conditions d’asservissement qu’entend leur imposer le capitalisme avancé ». A défaut d’un embrasement européen dont la perspective s’est évanouie, le communisme international va privilégier, dans la propagation de l’incendie révolutionnaire, la combustion lente des immensités asiatiques. Car « de nombreux matériaux inflammables se sont accumulés dans les colonies et les semi-colonies, qui étaient considérées jusqu’ici comme des OBJETS et non comme des SUJETS de l’histoire. Et « la Russie, l’Inde et la Chine formant l’immense majorité de la population du globe,  il ne saurait y avoir une ombre de doute quant à l’issue finale de la lutte à l’échelle mondiale ». Est-ce un hasard si l’orateur mentionne la Chine ? Deux mois après la fondation de la IIIe Internationale, en mai 1919, le pays le plus peuplé de la planète est à son tour ébranlé par un puissant mouvement de contestation dans lequel se fond aussitôt le parti communiste naissant. Après avoir essuyé un douloureux échec en milieu urbain, ce parti adoptera bientôt une stratégie paysanne dans le droit fil des idées de Lénine sur la mobilisation des masses paysannes. En accomplissant la plus grande révolution agraire de l’histoire, le parti de Mao Zedong s’inspire largement de l’expérience bolchevique. Il voit dans la stratégie léniniste le germe d’une révolution qui bouleversera le sort du quart de l’humanité. Il ne lui emprunte pas seulement sa conception du parti révolutionnaire, centralisé et discipliné, mais sa conception de la révolution, ancrée dans la réalité sociale et nationale. Le maoïsme aurait-il vu le jour sans le léninisme ?

C’est le fondateur du bolchevisme qui a proclamé, dans les années d’avant-guerre, la nécessité en Russie d’une « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie ». C’est lui, encore, qui reprend le programme socialiste-révolutionnaire de distribution des terres en octobre 1917, ralliant les paysans pauvres à la révolution socialiste. Lui, enfin, qui signe le « décret sur la terre » le jour même de la prise du pouvoir, et impose dès la fin de la guerre civile une « nouvelle politique économique » (NEP) favorable à la petite propriété paysanne. Ce faisant, il n’a pas seulement cherché à préserver l’avenir en ménageant la composante majoritaire de la population russe. En appelant à la révolte les masses rurales des pays coloniaux, en incitant la nouvelle Internationale à y créer des soviets de paysans, il a aussi jeté les bases d’un communisme asiatique dont le sort a voulu qu’il survive à la Russie soviétique. Adossés au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les héritiers de Lénine ont triomphé de leurs ennemis les plus acharnés : les armées blanches lors de la guerre civile russe, la machine de guerre hitlérienne durant la Grande guerre patriotique, les forces nationalistes de Chiang Kaï Chek en Chine, les colonialistes français et les envahisseurs nord-américains au Vietnam, les troupes du dictateur Batista et la CIA lors de la révolution cubaine. Si Lénine s’est fait des illusions sur la propagation internationale du bolchevisme, il a vu juste sur son onde de choc anti-coloniale. Avec le mouvement pour l’émancipation des peuples coloniaux, il a fourni à la révolution russe victime de son isolement un exutoire inespéré.

Prophète de la décolonisation, Lénine a discerné, dans l’affrontement inéluctable entre le Nord et le Sud, le futur théâtre des convulsions du siècle. Sans doute a-t-il péché par excès d’optimisme en croyant voir, dans la révolte des nations soumises au joug colonial, l’accomplissement ultime de la promesse révolutionnaire : « L’impérialisme mondial ne pourra que s’écrouler, dit-il devant les délégués de l’Internationale, quand l’offensive révolutionnaire des ouvriers exploités et opprimés au sein de chaque pays fera la jonction avec l’offensive révolutionnaire des centaines de millions d’hommes qui, jusqu’à présent, étaient en dehors de l’histoire et considérés comme des objets ». Assurément, cette perspective d’une révolution mondiale simultanément victorieuse au Nord et au Sud a subi un cruel démenti. Mais il n’empêche que son pronostic d’une révolte généralisée des peuples coloniaux est d’une remarquable exactitude. Inspiré par Lénine, l’anticolonialisme de l’Internationale communiste renoue alors avec le meilleur de la tradition libertaire, quand on lisait sous la plume d’Émile Pouget en 1909 : « Y a des types qui sont fiers d’être français. C’est pas moi, nom de Dieu ! Quand je vois les crimes que nous, le populo de France, nous laissons commettre par la sale bande de capitalistes et de gouvernants qui nous grugent — eh bien, là franchement, ça me coupe tout orgueil ! Au Tonkin par exemple, dans ce bondieu de pays qu’on fume avec les carcasses de nos pauvres troubades, il se passe des atrocités. Chacun sait que les Français sont allés là-bas pour civiliser les Tonkinois : les pauvres types se seraient bougrement bien passés de notre visite ! En réalité, on y est allé histoire de permettre à quelques gros bandits de la finance de barboter des millions, et à Constans de chiper la ceinture du roi Norodom. Ah nom de dieu, il est chouette le système qu’emploient les Français pour civiliser des peuples qui ne nous ont jamais cherché des poux dans la tête ! ».

Le Manifeste du parti communiste (1848) et l’Adresse inaugurale de l’Association internationale des travailleurs (1864) avaient adopté comme mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Après le congrès des peuples de l’Orient réuni à Bakou en 1920, le mouvement communiste international ajoute aux travailleurs en lutte les « peuples opprimés » et lance un nouveau mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, et peuples opprimés du monde entier, unissez-vous ! ». La propagation du séisme révolutionnaire d’Octobre va ébranler les fondements de la domination occidentale. Elle va infliger à l’ordre colonial une secousse dont il ne se remettra pas. « Les races supérieures, disait Jules Ferry en 1885, ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Mais les peuples colonisés vont secouer le joug et contraindre les puissances européennes à lâcher prise.

Témoins stupéfaits de cette révolution qui s’annonce, les apologistes de la suprématie blanche ne vont pas s’y tromper. Aux États-Unis où règne la ségrégation, Lothrop Stoddard accuse le communisme de « stimuler la marée montante des peuples de couleur » en s’alliant avec eux contre la civilisation occidentale. A ses yeux, le bolchevik n’est qu’« un traître, un renégat prêt à vendre la citadelle », il est « l’ennemi mortel de la civilisation et de la race ». L’Allemand Oswald Spengler dénonce à son tour « la haine enflammée contre l’Europe et l’humanité blanche » qui animerait le bolchevisme. Dans leur hostilité pathologique, ces idéologues racistes ont vu juste : le communisme international est l’adversaire le plus résolu d’une domination coloniale dont il a juré la perte. Revanche posthume d’une révolution isolée, l’onde de choc d’Octobre va balayer bien des forteresses qui se croyaient imprenables.

En Chine, Mao Zedong va restaurer la souveraineté chinoise, unifier le pays, amorcer l’industrialisation et vaincre l’analphabétisme. Mais ce n’est pas la seule révolution qui triomphe en Asie. Le Vietnam va également voir son destin bouleversé par l’irruption du communisme. Mao Zedong proclame la République populaire de Chine le 1er octobre 1949. Mais le 2 septembre 1945, à Hanoi, Hô Chi Minh a proclamé l’indépendance du Vietnam. Un geste inouï qui va ébranler l’Empire français, l’incitant à déclencher une guerre dont il sortira vaincu. Si la déclaration d’indépendance fait l’effet d’un coup de tonnerre, c’est parce qu’elle a quelque chose d’inouï dans une colonie européenne. Conduite par un communiste de la première heure, la jeune République vietnamienne ouvre la voie. Elle brise le tabou colonial, et les autres mouvements s’engouffreront dans la brèche. Lorsque l’occupant japonais destitue les autorités françaises, le 9 mars 1945, la puissance coloniale est discréditée par son humiliante défaite. On voit alors déferler une vague humaine : partout, dans les villes et les villages, flotte le drapeau rouge à l’étoile d’or du Viet Minh, le mouvement national vietnamien. De son vrai nom Nguyen Ai Quôc, son chef Hô Chi Minh fait partie de la IIIe Internationale depuis les années vingt. Partisan de la lutte anti-coloniale, il a la conviction que la paysannerie est la force motrice de la révolution dans les pays asiatiques : coïncidence frappante avec la démarche de Mao qui, en 1927, invite les communistes chinois à prendre la tête de la révolution paysanne.

En 1930, Hô Chi Minh fonde un Parti communiste indochinois dont l’agenda mêle libération nationale et révolution sociale : « Partant d’une analyse concrète de la société coloniale et semi-féodale vietnamienne, le programme politique du parti considérait que la révolution vietnamienne était dans son essence une révolution démocratique bourgeoise, mais dirigée par la classe ouvrière et devant évoluer directement vers la révolution socialiste, brûlant l’étape du développement capitaliste. Elle devait dans une première étape assumer deux tâches essentielles : 1. Lutter contre l’impérialisme français, reconquérir l’indépendance nationale. 2. Lutter contre le féodalisme, donner la terre aux paysans ». Au même moment, sur le modèle du Guomindang, se forme au Vietnam un parti nationaliste, le Viet-Nam Quoc Dan Dang, ou Parti national du peuple.  Ce mouvement gagne rapidement en influence, mais il est brutalement éliminé de la vie politique, en 1930, quand l’insurrection organisée autour de la ville de Yenbay est réprimée par les autorités coloniales. Tirant la leçon des événements, Hô Chi Minh attire alors les nationalistes dans une organisation commune, et cette stratégie du « front uni » est couronnée de succès : la libération nationale sera le préalable à la révolution sociale.

« Ce qui est remarquable dans le cas du Vietnam, observe Jean Chesneaux, ce qui donne tout son poids à l’expérience révolutionnaire vietnamienne, c’est que le communisme, limité initialement à quelques cercles d’intellectuels et d’ouvriers, à Hanoi et à Saigon, est venu relayer les mouvements nationalistes traditionnels. Au Vietnam comme en Chine, s’est réalisée pleinement l’équation entre mouvement national et mouvement communiste, et ce fait est capital, pour comprendre de quelle autorité disposent au Vietnam Hô Chi Minh, ses compagnons, et tout le parti communiste vietnamien ». Une hégémonie communiste au sein du mouvement national qui a plusieurs raisons : la dépendance des autres composantes à l’égard des puissances étrangères, l’incapacité des autorités coloniales à faire émerger des interlocuteurs plus dociles, la brutalité de la répression qui frappe l’ensemble du mouvement national, et surtout la capacité des communistes à y échapper grâce à leur sens de l’organisation et à leur implantation populaire. L’équation entre mouvement national vietnamien et mouvement communiste, au demeurant, ne s’est pas établie d’un coup : dans la décennie qui suit sa fondation en 1930, le parti communiste s’appelle « indochinois », et non pas vietnamien. Car la lutte révolutionnaire s’attaque à la domination coloniale française, en tant qu’expression locale de « l’impérialisme » en général. Elle s’inscrit dans le cadre instauré par l’occupant, la « Fédération indochinoise » qui regroupe les territoires français du Laos, du Cambodge et des trois pays vietnamiens (Tonkin, Annam, Cochinchine).

C’est avec l’occupation japonaise, en 1941, que l’action des communistes vietnamiens devient spécifiquement vietnamienne, et qu’ils fondent la Ligue pour la libération du Vietnam, le Viet Minh. Ils adoptent alors le drapeau rouge à la grande étoile d’or, qui deviendra en 1945 celui de la République démocratique du Vietnam. Introducteur du marxisme au Vietnam dans les années vingt, Hô Chi Minh joue un rôle prépondérant dans la fondation du Viet Minh en 1941 après avoir fondé le Parti communiste indochinois en 1930. Appliquant la stratégie du « front uni » définie par le Komintern en 1935, cet agent dévoué de l’Internationale communiste est devenu le principal stratège du mouvement national vietnamien. C’est son parti, le PCI, devenu Lao-dong Vietnam ou Parti des travailleurs du Vietnam à partir de 1951, qui va diriger le mouvement de libération nationale aux heures les plus critiques. Il conduit la Révolution d’août 1945 qui aboutit à la proclamation de la République démocratique du Vietnam le 2 septembre. Il fait la preuve de son autorité en signant avec la France, le 6 mars 1946, un accord qui a le caractère d’un compromis, puisqu’il parle de « liberté » dans l’Union française et non d’indépendance. Puis il dirige la résistance nationale entre 1946 et 1954, et c’est sa profonde popularité qui met en échec les concurrents que les autorités françaises ont tenté de lui opposer.

Au cours de ce long combat, le parti vietnamien n’est pas coupé du monde extérieur : il demeure lié au mouvement communiste international, et ses relations sont étroites avec les partis communistes soviétique, chinois et français.

A ses yeux, Moscou est la capitale du communisme, et de jeunes révolutionnaires vietnamiens, dès 1928, ont été envoyés à l’Université des cadres révolutionnaires de l’Orient. Les relations avec les communistes français sont également d’une importance cruciale. Membre fondateur du PCF, le futur Hô Chi Minh tient dans les colonnes de L’Humanité une chronique anticoloniale. C’est à Paris, dans les années vingt, qu’il forme les premiers groupes communistes vietnamiens. Lorsque la répression coloniale frappe durement le mouvement national, vers 1930, les prisonniers politiques du bagne de Poulo-Condore, dans le golfe du Siam, ont pour seul contact avec le monde extérieur les marins des bateaux qui ravitaillent le pénitencier. La cellule communiste du personnel navigant français les approvisionne secrètement en livres, assure les liaisons avec le Komintern, les sauve de l’isolement politique.

La victoire électorale du Front Populaire en 1936 a d’immenses répercussions au Vietnam. Les prisonniers politiques sont libérés, et l’action politique légale redevient possible. Lorsque Hô Chi Minh vient en 1946 à Fontainebleau pour discuter avec le gouvernement français, il reprend contact avec le Parti communiste français. En dépit de divergences tactiques, les relations se resserrent à partir de 1950, et les communistes français prennent une part déterminante à la campagne contre la guerre d’Indochine, la « sale guerre ». Les communistes Henri Martin et Raymonde Dien, emprisonnés pour leur action contre la guerre, sont considérés comme des héros dans les maquis vietnamiens. Les relations entre communistes vietnamiens et chinois, enfin, ne sont pas moins  étroites. Une communauté millénaire de culture s’est transférée, au XXe siècle, à la lutte pour l’émancipation nationale. La célèbre « Longue Marche » (1934-35) compte dans ses rangs des Vietnamiens, et son prestige est tel que l’un des principaux dirigeants du PCI adopte cette expression comme pseudonyme.

Quand les troupes de Mao Zedong arrivent en 1950 sur la frontière du Tonkin, la guerre avec la France entre dans une phase nouvelle. Les Vietnamiens savent qu’ils sont désormais adossés à un puissant État socialiste, et cet avantage stratégique galvanise la résistance. Après 1954, dans la période de construction socialiste du Nord-Vietnam, la Chine joue un rôle essentiel dans l’aide au développement économique du pays. L’équipement lourd est fourni par l’Union soviétique, mais les Chinois vont garantir certains approvisionnements. La proximité des conditions géographiques, la similitude des problèmes liés au sous-développement, la parenté des problèmes technologiques sont autant de facteurs qui rapprochent la République démocratique du Vietnam et la République populaire de Chine.

Tout en menant le combat pour la libération nationale, les communistes vietnamiens ont conscience d’appartenir à un mouvement révolutionnaire au-delà des frontières. Aucune contradiction, à leurs yeux, entre lutte nationale et lutte internationale. En accomplissant leur devoir de patriotes vietnamiens, ils remplissent aussi leurs obligations internationalistes. Face au schisme sino-soviétique qui éclate en 1960, les Vietnamiens adoptent une attitude unitaire : après quelques flottements, ils maintiennent de bonnes relations avec Pékin comme avec Moscou. Une attitude neutraliste qui répond d’abord à des nécessités tactiques : au moment de l’escalade militaire de Washington contre le Nord-Vietnam, Hanoi a besoin à la fois de l’aide soviétique et de l’aide chinoise. Mais ce n’est pas la seule raison. Depuis un quart de siècle, les communistes vietnamiens sont convaincus que les deux pôles du communisme mondial, malgré leurs différends, contribuent également à l’émancipation des peuples. Si les Vietnamiens ont su résister à la gigantesque armada des États-Unis, c’est en raison d’une expérience considérable, mais aussi parce qu’ils ont su s’inspirer des révolutions russe et chinoise. Ce double héritage, national et international, confère une densité exceptionnelle à un mouvement de libération qui parviendra à vaincre militairement les agresseurs étrangers.

Face à la France, puis aux États-Unis, le peuple vietnamien a su mener jusqu’au bout la lutte anti-coloniale, arracher son indépendance et conquérir son unité. En remportant deux victoires consécutives, le communisme vietnamien a prouvé qu’on pouvait vaincre une puissante armée occidentale en s’appuyant sur les masses. La défaite de Dien Bien Phu en 1954 est au colonialisme français ce que la débandade de Saïgon en 1975 est à l’impérialisme des États-Unis. Inutile de dire que le prix à payer pour cette émancipation fut extrêmement lourd. La victoire finale a été arrachée au prix d’efforts surhumains et de sacrifices gigantesques. La guerre d’Indochine (1946-1954) s’est achevée par la défaite française, mais les hostilités reprennent dès la fin des années cinquante. Avec quatre millions de morts, la guerre qui s’abat sur la péninsule jusqu’en 1975 est le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale.

Cette effroyable boucherie a été délibérément provoquée par les États-Unis. A deux  reprises, ils choisissent l’affrontement avec des communistes vietnamiens qu’ils espèrent écraser militairement à défaut de l’emporter sur le plan politique. En installant à Saïgon la dictature de Ngo Dinh Diem, ils ont frappé de caducité les accords de Genève qui venaient à peine d’être signés. Car ces derniers ne créaient pas deux États, mais deux zones territoriales destinées à être réunifiées à l’issue d’élections libres prévues dans un délai de deux ans, soit en 1956 au plus tard. L’administration Eisenhower a traité le Sud comme une entité séparée et y a promu un régime fantoche qui a aussitôt interdit le déroulement du scrutin. Si Washington a choisi la guerre, c’est donc pour éviter un raz-de-marée communiste aux élections. Mais l’endiguement du communisme exigeait de franchir une étape supplémentaire. En août 1964, Johnson saisit le faux prétexte d’un incident naval au large des côtes nord-vietnamiennes pour faire avaliser par le Congrès une désastreuse escalade militaire. Le bombardement systématique des villes, des ports et des digues du Nord-Vietnam, jusqu’en 1972, va donner une ampleur inédite à un  conflit plus dévastateur que jamais. Succédant à la guerre de Corée, la guerre du Vietnam s’inscrit à son tour dans une stratégie de refoulement du péril rouge qui justifie, aux yeux des défenseurs du « monde libre », le déchaînement d’une guerre à outrance.

Guerre emblématique du XXe siècle, la guerre du Vietnam oppose la superpuissance du monde capitaliste à un petit État socialiste du Tiers Monde. Mais elle offre la victoire finale à un belligérant sur lequel personne n’aurait parié au début du conflit. En un sens, la guerre a accompli la prophétie de Lénine : ceux qui étaient considérés comme des objets de l’histoire en sont devenus les sujets, au point de triompher de leurs oppresseurs. Entraînés dans une escalade mortifère, les États-Unis ont consacré à ce conflit des moyens colossaux. Ils ont utilisé des technologies mortifères comme le napalm et l’« agent orange ». L’agression militaire des États-Unis contre le Nord-Vietnam et l’emballement de la machine militaire à partir de l’été 1964 ont tenté d’enrayer la poussée du Front national de libération du Sud-Vienam, tout en bombardant frénétiquement la République démocratique du Vietnam : une stratégie vouée à l’échec, qui n’a fait que souder face à l’ennemi les forces du Nord et du Sud. Du début à la fin du conflit, les présidents successifs des États-Unis ont tenté de l’emporter sans jamais avoir la certitude d’y parvenir.

Vaincu au Vietnam, l’impérialisme n’en a pas moins a pris le relai, partout dans le monde, du vieux colonialisme européen rayé de la carte par les nationalismes révolutionnaires du Tiers Monde. A son tour, il rencontre sur sa route les nations rebelles d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Il se heurte, parmi ces nations, à des communistes qui ont pris la direction du mouvement de libération nationale ou en constituent l’aile prolétarienne. De l’Égypte à la Syrie, du Vietnam à l’Indonésie, de Cuba au Nicaragua, de l’Irak à l’Afghanistan, du Venezuela à la Bolivie, la résistance des peuples qui aspirent à la liberté et à la souveraineté s’organise. En dépit des échecs qui jalonnent ce vaste mouvement d’émancipation, l’impérialisme doit lâcher prise. Lentement, mais sûrement, il perd du terrain. Parfois, il tente de récupérer le trophée de la lutte anti-coloniale, et Barack Obama va verser des larmes à Robben Island. Il n’empêche : ceux qui l’accueillent savent bien que la CIA a livré Nelson Mandela au régime raciste de Pretoria en 1962.

Le futur fondateur de la « République Arc-en-ciel » a d’ailleurs su trouver son inspiration aux meilleures sources. Dès 1944, il rejoint l’African National Congress (ANC) et entame la lutte contre l’apartheid. C’est au cours de cette période qu’il lit Étoile rouge sur la Chine d’Edgar Snow sur la recommandation d’un dirigeant communiste sud-africain. A propos de cette remarquable narration de la révolution chinoise, Mandela dira : « La révolution en Chine était un chef-d’œuvre, un véritable chef-d’œuvre. Si vous lisez comment ils ont combattu pour cette révolution, vous croyez à l’impossible. C’est juste miraculeux ». Militant communiste durant sa jeunesse, Nelson Mandela conservera toujours un lien privilégié avec le parti communiste sud-africain (SACP), qui participera à la lutte contre l’apartheid aux côtés de l’ANC et de la centrale syndicale COSATU. Arrêté en 1962, il est condamné à la réclusion à perpétuité pour « complot visant à renverser l’État par la violence. » Il passe 27 ans en prison avant d’être libéré en 1990. Dans sa cellule de Robben Island, il dévore les Œuvres choisies de Mao Zedong envoyées par sa femme Winnie. Il dira un jour que ces livres ont été une véritable source d’inspiration. Il y a « appris qu’un vrai révolutionnaire, une fois son objectif fixé, doit travailler sans relâche pour cet objectif, être préparé à l’adversité et être capable de survivre même dans les situations les plus difficiles ».

Si la longue marche du peuple chinois a inspiré les Sud-Africains, ils savent aussi sur quels alliés ils ont pu compter durant la lutte. A peine libéré de prison, Nelson Mandela consacre son premier voyage hors du continent africain à La Havane, où il vient remercier le peuple cubain de son aide fraternelle durant la lutte armée contre le régime d’apartheid. Les Sud-Africains savent que des dizaines de milliers de volontaires cubains sont venus prêter main forte aux mouvements de libération nationale en Angola et en Namibie, et que cette aide généreuse a contribué à la chute de l’apartheid. Car les bases arrière de l’ANC se trouvaient dans ces pays riverains, et sans leur concours, le mouvement de Nelson Mandela aurait été écrasé militairement. Les Sud-Africains savent aussi qu’en 1988 les volontaires cubains, épaulant l’armée angolaise à Cuito Cuanavale, ont repoussé une offensive des forces de Pretoria qui prétendaient anéantir la résistance dans toute la région. Ils savent aussi que sans les armes livrées par l’Union soviétique, cette riposte angolaise et cubaine à l’attaque d’une armée moderne équipée par les États-Unis et Israël aurait été vouée à l’échec. A la fin de l’année 1988, le gouvernement sud-africain doit concéder l’indépendance de la Namibie et retirer ses troupes d’Angola. Le régime d’apartheid ne se relèvera jamais de sa défaite militaire face aux Cubains.

C’est une constante historique : partout où le colonialisme a exercé ses méfaits, il s’est heurté à l’action des communistes. De 1921 à 1926, la région montagneuse du Nord marocain, le Rif, est secouée par une insurrection conduite par Abdelkrim. Pour l’écraser, les gouvernements espagnol et français mobilisent des moyens colossaux. Fidèle aux orientations anticolonialistes et antimilitaristes de la IIIe Internationale, le PCF prend la tête d’un vaste mouvement de protestation. Le parti réclame l’évacuation du Maroc par les troupes françaises, il prône la fraternisation du prolétariat français avec les rebelles. La réponse du gouvernement ne se fait pas attendre : « Le communisme, voilà l’ennemi ! » déclare le ministre de l’Intérieur Albert Sarraut. La répression policière s’abat sur les militants engagés dans le combat anticolonialiste. Les dirigeants du parti sont inculpés pour « atteinte à la sûreté de l’État ».

Le secrétaire général, Pierre Semard, est emprisonné en 1927. Ceux qui échappent aux coups de filet policier se réfugient dans la clandestinité. Maurice Thorez est arrêté en 1929 lors d’une réunion secrète : il passera un an en prison. Au total, une centaine de dirigeants communistes sont incarcérés. Des milliers de militants subissent arrestations, perquisitions ou saisies pour leur implication présumée dans un « complot contre la sûreté de l’État ». Le fait de crier « A bas la guerre ! » ou de chanter l’Internationale entraîne des représailles. Journées d’action, bals populaires et manifestations sportives sont interdits afin de limiter l’influence communiste. Cette répression est la plus importante jamais subie par un parti politique sur le territoire métropolitain sous la IIIe République..

Cet engagement anticolonialiste, toutefois, ne va pas toujours de soi. Sur la question algérienne, la position du PCF fut particulièrement fluctuante. Compte tenu de la présence d’un important prolétariat européen, les premiers communistes algériens défendent une politique assimilationniste, et ils combattent les tendances nationalistes au sein des populations indigènes. Cette attitude est critiquée par l’Internationale communiste, mais aussi au sein du PCF. En novembre 1932, un rapport de l’IC dénonce « le mépris intolérable du travail colonial » par le parti français. Au début des années trente, ce dernier tente alors une ouverture en direction des organisations musulmanes en revendiquant ouvertement l’indépendance algérienne et l’abolition du statut de l’indigénat. Mais le Front Populaire et la lutte antifasciste le poussent à mettre en sourdine son discours anticolonial, la priorité étant donnée à la « défense des intérêts de la France ». Alors que le parti était à la pointe du combat contre la guerre du Rif et qu’il soutiendra sans hésitation le Viet Minh, il se démarque de l’Étoile nord-africaine, mouvement nationaliste dirigé par le communiste algérien Messali Hadj. Première force politique à réclamer l’abolition de l’indigénat et l’indépendance de l’Algérie, le parti fait marche arrière au nom de « l’union du peuple algérien avec la France dans la lutte antifasciste ».

Au lendemain de la Libération, le parti a clairement renoncé à la revendication d’indépendance. Lors de l’insurrection du 1er novembre 1954, il stigmatise des « actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes ». En mars 1956, il vote les pleins pouvoirs au socialiste Guy Mollet qui annonce vouloir rétablir « la paix en Algérie ». Lorsque la politique du nouveau président du conseil s’oriente vers la guerre à outrance contre le FLN, le PCF retrouve alors sa combativité anticoloniale, mais sans adhérer pour autant aux thèses du mouvement national algérien. Sur place, de nombreux militants le rejoignent pourtant à titre individuel. Des communistes d’origine européenne passent à la résistance, comme l’aspirant Henri Maillot et l’ouvrier Fernand Iveton, qui seront arrêtés, torturés et exécutés. La mort de Maurice Audin sous la torture et le témoignage d’Henri Alleg  sur cette même pratique contribuent à éveiller les consciences. Appelés du contingent qui refusent de partir combattre en Algérie, les « soldats du refus » sont pour la plupart de jeunes communistes. Mais le parti hésite à glorifier une action jugée inefficace, et il peine à contrer l’influence des partisans de l’Algérie française : lorsqu’il fustige les exactions des militaires en Algérie, on l’accuse aussitôt de trahir l’intérêt national. Comme toujours, la force des choses finit par l’emporter : longtemps focalisé sur le mot d’ordre « Paix en Algérie », le PCF agrée enfin la revendication d’indépendance à l’automne 1959.

Ce détour par l’exemple algérien montre que la lutte anti-coloniale, pour les militants communistes des pays colonisateurs, n’est pas toujours une mince affaire. En faisant la part des fluctuations stratégiques, des erreurs tactiques et des errements individuels, on peut néanmoins dresser ce constat : le communisme est le seul mouvement politique du XXe siècle à s’être jeté massivement dans la lutte contre le colonialisme. Faisant voler en éclats le vieux monde colonial, les bolcheviks ont affirmé le droit à l’auto-détermination nationale pour tous les peuples opprimés. Avant-garde des mouvements de libération nationale, les communistes chinois ont débarrassé leur pays des prédateurs étrangers et aboli toute discrimination envers les minorités ethniques. Les communistes vietnamiens ont infligé une cuisante défaite à la puissance coloniale française avant de vaincre à son tour la gigantesque machine de guerre impérialiste.

Au Maghreb, les nationalistes algériens d’obédience communiste ont jeté les bases de la lutte pour l’indépendance. Dans les Caraïbes, les communistes cubains ont chassé les Yankees, puis ils ont aidé leurs frères africains à se débarrasser du colonialisme européen. Appuyés par les Cubains et l’URSS, les communistes sud-africains ont joué un rôle majeur dans le combat contre l’apartheid. Partout, le communisme international a été la principale force, au côté des mouvements de libération nationale, à avoir combattu sans relâche le colonialisme et le racisme d’État qui l’accompagne.

Peut-on en dire autant des autres forces politiques en Occident ? Il suffit de prendre l’exemple de la France des deux derniers siècles pour constater à quel point le tableau est édifiant. Focalisée sur le personnage de Jules Ferry, l’idée que « le colonialisme est de gauche » est une idée parfaitement fausse. Au pays de Napoléon, Charles X et Louis-Philippe, bonapartistes, conservateurs et libéraux ont été les principaux fourriers de l’empire colonial. Adeptes de l’inégalité des races comme Renan ou défenseurs d’un humanisme hypocrite, comme Tocqueville, ils ont cautionné les pires horreurs de la conquête coloniale. Ultérieurement, les radicaux-socialistes et les démocrates-chrétiens ont-ils sauvé l’honneur ? Assurément non. A l’exception de quelques personnalités, ils ont fourni son ossature au parti colonial sous les IIIe et IVe Républiques. Les plus acharnés rejoindront même les nostalgiques de l’Algérie française et se fondront avec l’extrême-droite au sein de l’OAS.

De leur côté, les gaullistes soutiennent d’abord la guerre d’Indochine, puis ils se résignent à la décolonisation. Revenu au pouvoir, le général de Gaulle finit par reconnaître l’Algérie algérienne, non sans avoir tenté de vaincre militairement le FLN. Il accepte l’accession de l’Afrique sub-saharienne à l’indépendance, tout en prenant soin de préserver le « pré carré » africain de la France. Quant aux socialistes, la charité interdit de s’étendre sur leur rôle durant les guerres coloniales : ce sont les pires de tous. De Marius Moutet qui orchestre la guerre d’Indochine à Maurice Naegelen qui sabote le nouveau statut départemental en bourrant les urnes algériennes, de Guy Mollet qui autorise la torture en Algérie à François Mitterrand qui fait exécuter les patriotes du FLN : la liste est longue des responsabilités de cette fraction dégénérée du mouvement ouvrier dans le crime colonial.

(1) Nkolo Foé, « 100 ans du PCC : le monde noir et la lutte d’émancipation en Chine », Chine-Magazine, 20 juillet 2021.

Source : la page FB de l’auteur
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