Un colon israélien en train de prier près de la colonie de Keidar en avril, sur le passage d’un camion de livraison d’une entreprise alimentaire palestino-jordanienne. Photo : Hadas Parush

Par Gideon Levy

Gideon Levy, Haaretz, 24/4/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les événements qui se déroulent depuis quelques semaines dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 semblent sortis de la Bible. Tout est immergé dans la religion et le fondamentalisme – le Mont du Temple, le Tombeau de Joseph, la yeshiva de Homesh, les pèlerins, les adorateurs, le Ramadan, l’agneau sacrificiel, le Temple. Une guerre de religion tout droit sortie des récits bibliques.

Malgré cela, ne vous y trompez pas, la religion n’est qu’un accessoire de théâtre. Le motif qui pousse les colons et leurs partisans reste l’ultranationalisme, alimenté par des considérations immobilières, y compris le mal, la violence et le sadisme qui en découlent, employés par les colons et les autorités qui les soutiennent.

Les aspirations palestiniennes ont toujours été et restent des aspirations nationales : droits, indépendance, retrait de l’occupant. C’est ce qui sous-tend l’agitation violente exprimée par des jeunes Palestiniens débridés. La religion n’est utilisée par les deux parties que comme une excuse. Malgré toutes les apparences, il ne s’agit pas d’une guerre de religion, même si elle pourrait bien le devenir.

La droite israélienne a longtemps présenté la guerre pour la terre et la souveraineté en Israël-Palestine comme une guerre de religion entre musulmans et juifs. Il est beaucoup plus commode pour les ultra-nationalistes de la présenter comme telle, plutôt que comme une guerre entre les colonialistes et les dépossédés, ce qu’elle est réellement. Dans les guerres de religion, il n’y a pas de place pour le compromis. C’est nous ou eux.

Et si c’est le cas, c’est une bataille eschatologique de la fin des temps. Soit ils nous jettent à la mer, soit nous les expulsons dans le désert. Il n’y a pas de troisième voie. Et si c’est le cas, non seulement tout est permis, mais tous les moyens sont essentiels, y compris la dépossession, les meurtres, la destruction et l’oppression.

Dans une guerre de religion, tout est permis, puisqu’elle n’a pas d’autre issue que totale et violente. Ainsi, on peut dépeindre une nation qui se bat pour ce qu’elle mérite comme une nation qui tente d’imposer sa religion. Les Palestiniens comme l’État islamique. Dans ce cas, Israël mène une guerre pour son existence même, et la justice est exclusivement de son côté. Il s’agit bien sûr d’une propagande mensongère. La plupart des Palestiniens ne veulent pas vivre dans un califat, ils veulent la liberté et la dignité nationale.

S’il s’agit d’une bataille pour la liberté, d’une autre lutte anticoloniale semblable à celles qui l’ont précédée, le colonialisme doit respecter les droits nationaux de la nation occupée afin de résoudre le problème. Qu’est-ce qu’Israël a à voir avec tout cela ? Les colons sont bien loin d’un tel état d’esprit, car cela reviendrait à inyerdire à Israël de faire tout ce qui lui plaît, et les Palestiniens mériteraient les mêmes droits nationaux que les Juifs, Dieu nous en préserve.

Ces dernières années, les deux nations ont connu un processus de religiosité et d’extrémisme accrus. Ce processus a embringué les Palestiniens, qui étaient autrefois parmi les plus laïques des nations arabes, et les Juifs israéliens, dont la plupart se considéraient comme laïques, même si cela a toujours été discutable. Le désespoir palestinien a poussé de nombreux jeunes vers la religion. La mosquée est dans la plupart de leurs communautés le seul lieu de rassemblement, et Al Aqsa est le seul endroit dans les territoires occupés où ils peuvent avoir un certain sentiment de souveraineté et d’indépendance.

En ce qui concerne les Juifs, la croissance naturelle de la communauté ultra-orthodoxe et la construction d’immenses villes haredi dans les territoires, ainsi qu’un nouvel essor de l’establishment des colons, ont contribué à donner le sentiment que la lutte pour les territoires est une lutte religieuse. Mais les dés ne sont pas jetés. La lutte était et reste une lutte nationale.

Les colons, pour la plupart religieux, ont utilisé la religion pour leurs besoins dès le début. Le Park Hotel à Hébron se trouvait sur le territoire de nos ancêtres, qui en ont fait leur propriété. Le Caveau des Patriarches n’appartient qu’à eux, tout comme chaque motte de terre palestinienne en Cisjordanie.

Il ne s’agit pas d’une guerre de religion mais d’une guerre de domination sous un manteau religieux. Leur bataille pour expulser les Palestiniens des territoires – qui est leur véritable objectif – est une bataille territoriale et nationale. Ils veulent tout simplement le pays tout entier pour eux. Tout comme ils ont fait un usage cynique et malhonnête de la sécurité comme motif de leur implantation, ils se racontent et racontent aux autres des histoires bibliques afin de prouver leur souveraineté. Il ne s’agit pas d’une guerre de religion.

Les Palestiniens qui se battent pour Al Aqsa ou Gaza ne le font pas au nom de l’imposition de leur religion. Il existe des éléments de ce type parmi eux, qui se renforcent en l’absence d’un sauveur alternatif, mais la plupart d’entre eux aspirent toujours à ce que toutes les autres nations laïques souhaitent pour elles-mêmes – l’égalité des droits nationaux ou un État qui leur soit propre.

Un réfugié de Jénine ne veut pas d’un État islamique. Il veut un État libre. Il peut encore changer sa préférence. Israël fera très probablement tout ce qu’il peut pour le pousser dans cette direction.

Source : TLAXCALA
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