Emily Wilder – Angel Mendoza

Par Tasneem Nashrulla

Emily Wilder s’est entretenue avec BuzzFeed News après avoir été renvoyée de l’Associated Press lorsque des conservateurs ont partagé ses anciens messages sur les réseaux sociaux et ont fait mention de son activisme pro-palestinien à l’université.

Source : BuzzFeedNews
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Une diplômée de Stanford âgée de 22 ans a été licenciée par l’Associated Press mercredi, après ce qu’elle a décrit comme une « chasse aux sorcières » menée par des conservateurs, qui ont fait ressurgir ses anciens messages crtiquant Israël sur les réseaux sociaux, ainsi que son activisme pro-palestinien lorsqu’elle était à l’université.

« J’ai vraiment eu l’impression d’avoir été traînée dans la boue » , a déclaré Emily Wilder, qui a été licenciée seulement trois semaines après avoir rejoint l’AP en tant que collaboratrice aux services d’information de Phoenix. Il ne s’agissait pas d’un poste de reporter et il n’était pas question de couvrir l’actualité internationale.

Un porte-parole d’AP a déclaré à BuzzFeed News que Mme Wilder avait été congédiée pour avoir enfreint la politique de l’entreprise en matière de réseaux sociaux « pendant qu’elle travaillait pour AP ».« Nous avons mis en place cette politique afin que les propos d’une personne ne puissent pas mettre en danger nos journalistes qui couvrent le sujet », a déclaré le porte-parole.

Cependant, Wilder a déclaré à BuzzFeed News que ses rédacteurs en chef à l’AP ont refusé de lui dire lesquels de ses tweets ou posts avaient transgressé la politique de l’agence de presse. Le porte-parole d’AP n’a lui non plus pas précisé quels étaient les messages incriminés.Vendredi, plusieurs journalistes ont contesté la décision de l’AP de licencier Wilder, soulignant la réaction disproportionnée à l’encontre de leurs confrères qui affichent publiquement des opinions pro-palestiniennes. D’autres ont critiqué le fait de renvoyer des journalistes pour des anciens tweets de l’université ou du lycée.

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Il est étonnant de voir à quelle vitesse la carrière d’une jeune journaliste talentueuse peut être étouffée par une foule sur Twitter qui a décidé de feindre l’indignation à propos de quelques tweets d’étudiants. Et si Wilder a d’une manière ou d’une autre enfreint les règles de l’AP en matière de réseaux sociaux, la solution consiste à offrir des conseils, et non à éliminer une nouvelle journaliste.

Wilder, qui est juive, a déclaré que la décision d’AP de la licencier ressemblait à une « histoire de couverture de presse bien commode pour me sacrifier en tant que dégât collatéral » après que des médias et des législateurs conservateurs l’aient qualifiée d’anti-israélienne et aient critiqué l’organisation de presse pour l’avoir engagée.

La journaliste, qui s’est d’abord entretenue avec le San Francisco Gate jeudi, a déclaré que la « campagne de harcèlement » dont elle fait l’objet a commencé lorsque les Républicains de l’Université de Stanford ont écrit, lundi, un fil de discussion sur Twitter la qualifiant d’ »agitatrice anti-Israël » et soulignant ses messages et son activisme pro-palestiniens pendant son passage à Stanford.Dans un de ses posts partagé par le groupe, elle a appelé Sheldon Adelson, le défunt méga-donateur milliardaire du GOP [Great Old Party – le parti Républicain, NdT] et proche allié du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, un « rat taupe nu ». Elle a également qualifié le commentateur conservateur Ben Shapiro de « petit étron » dans une tribune publiée en 2019 dans le Stanford Daily.

Le fil Twitter a évoqué ses affiliations avec Jewish Voice for Peace et Students for Justice in Palestine [deux organisations militants pour les droits de l’homme en Palestine, NdT], ainsi que sa participation à un rassemblement « Return the Birthright » [marche organisée par Jewish Voice for Peace, NdT] en 2017 à New York.Wilder a indiqué que par le passé, les Républicains de Stanford les avaient  » malmenés « , elle et ses amis, en raison de son activisme à l’université, notamment lorsqu’elle avait accueilli en 2019 un discours du dessinateur juif Eli Valley, qui critiquait ouvertement le traitement des Palestiniens par Israël

.« Je suppose qu’ils ont gardé ces captures d’écran pendant trois ans », a-t-elle déclaré. « Ils sont connus pour ce genre de tactiques mesquines et pour leur politique qui consiste uniquement à perturber la vie des autres ».

Après que les tweets soient devenues viraux, Wilder a déclaré qu’elle était secouée et préoccupée, surtout après avoir subi un déferlement de harcèlement sur le Net.« Toute femme travaillant dans le journalisme sait à quel point ces messages peuvent très rapidement devenir violents et ignobles », a-t-elle ajouté.

Cependant, elle a confié qu’un rédacteur de l’AP lui a assuré, lors d’un appel téléphonique mardi soir, que l’organisation était très préoccupée par le harcèlement dont elle était victime et qu’elle allait prendre des mesures pour y remédier.Wilder a indiqué que le rédacteur en chef lui avait assuré qu’elle n’aurait pas à subir de répercussions pour ses anciens posts ni pour le militantisme auquel elle s’était livrée à l’université avant de devenir journaliste.Au cours de cet appel, ajoute-t-elle, le rédacteur en chef lui a également suggéré de supprimer « Black Lives Matter » de sa bio Twitter, ce qu’elle a fait à ce moment-là.

Le lendemain cependant, s’est opérée « une véritable escalade » après que ses anciens messages aient été amplifiés par plusieurs médias conservateurs, dont Fox News, et par des parlementaires républicains comme le sénateur Tom Cotton.Dans un article, le Washington Free Beacon a écrit que l’embauche de Wilder « pourrait alimenter les inquiétudes quant à l’objectivité de l’AP, au vu des révélations selon lesquelles le média partageait un immeuble de bureaux avec les services de renseignement militaire du Hamas à Gaza. »

L’AP a déclaré que l’armée israélienne n’avait jusqu’à présent fourni aucune preuve pour justifier sa décision de bombarder le bâtiment qui abritait les bureaux de l’Associated Press et d’autres organes de presse internationaux à Gaza.Wilder a déclaré que mercredi après-midi, le rédacteur en chef de l’AP qui lui avait assuré qu’elle n’aurait pas à subir de conséquences pour ses anciens messages et pour son activisme, l’a appelée pour lui dire qu’elle était renvoyée immédiatement. Selon la reporter, le rédacteur en chef lui a fait savoir « qu’il avait reçu de nouvelles informations depuis leur dernière conversation », ce qui l’a amené à examiner attentivement ses publications sur les réseaux sociaux.

La lettre de licenciement de Wilder, qu’elle a partagée avec BuzzFeed News, stipule ceci : « Comme nous l’avons évoqué, certains de vos messages publiés sur les réseaux sociaux avant de rejoindre l’AP ont refait surface ces derniers jours. Ces publications ont donné lieu à un examen de votre activité sur les réseaux sociaux depuis votre arrivée à l’AP, le 3 mai 2021. Lors de cet examen, il a été constaté que certains tweets violaient les valeurs et les principes d’information de l’Associated Press. »

La lettre rappelle que lors de sa première semaine à l’AP, un rédacteur en chef a eu un entretien avec elle et « lui a précisément expliqué ce que l’AP attend de ses journalistes en matière de réseaux sociaux. »

« Il est primordial que les journalistes travaillant pour l’Associated Press couvrent l’actualité de manière impartiale, qu’ils n’aient aucun conflit qui pourrait être perçu comme entraînant un parti pris dans les reportages et que, sur les réseaux sociaux, ils s’abstiennent de partager des opinions ou de s’engager dans toute activité qui pourrait compromettre la réputation d’objectivité de l’AP », ajoute cette lettre.Wilder a déclaré que lorsqu’elle a demandé quels posts violaient la ligne de conduite de l’AP, ni son rédacteur en chef, ni le courrier de licenciement ne lui ont apporté de réponse.

Elle a ajouté que, selon elle, aucun de ses messages sur les réseaux sociaux n’était suffisamment flagrant pour qu’elle soit pointée du doigt et limogée, et que l’AP aurait dû au préalable lui adresser un avertissement au lieu de la renvoyer sur le champ.

Face à la récente flambée de violence qui a entraîné la mort de plus de 200 Palestiniens dans des frappes aériennes israéliennes, la journaliste a déclaré avoir retweeté des articles au sujet du bâtiment de l’AP bombardé par l’armée israélienne et concernant le nombre de victimes à Gaza.Elle a également rédigé un tweet dans lequel elle s’interroge sur le langage utilisé par les médias lorsqu’ils évoquent Israël et les territoires palestiniens et sur la façon dont un côté est toujours « contrôlé et censuré ».

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L’objectivité semble inconstante lorsque les termes fondamentaux que nous utilisons pour rapporter des informations revendiquent implicitement un droit. Utiliser « Israël » mais jamais « Palestine », ou bien « guerre » mais pas « siège et occupation » sont des choix politiques – pourtant les médias font ces mêmes choix tout le temps sans être taxés de parti pris.

Wilder a constaté que les politiques relatives à l’objectivité en matière de réseaux sociaux étaient « si imprécises, vagues et nébuleuses » qu’elles étaient « appliquées de manière désordonnée et sélective et utilisées presque systématiquement et de manière disproportionnée contre les journalistes de couleur et les journalistes qui exprimaient leur désaccord avec l’État d’Israël ».

La reporter a déclaré qu’elle était touchée par les soutiens qu’elle recevait, mais qu’elle espérait que le public reconnaîtrait que les journalistes palestiniens et de couleur subissaient depuis longtemps ce genre de représailles pour avoir exprimé leurs opinions, même lorsque « cela n’avait absolument rien à voir avec leur travail ».

Dans une déclaration publiée sur Twitter samedi, Wilder a confié que son licenciement était « un déchirement pour une jeune journaliste qui a tellement envie d’apprendre des reportages d’investigation intrépides des journalistes d’Associated Press. »« C’est terrifiant en tant que jeune femme qui a été mise à l’écart au moment où j’avais le plus besoin du soutien de mon institution. Et c’est enrageant en tant que personne juive – qui a grandi dans une communauté juive, suivi une scolarité orthodoxe et consacré ses années d’université à l’étude de la Palestine et d’Israël – que je puisse être taxée d’antisémitisme et jetée sous le bus dans le processus », a-t-elle écrit.« Bien que ces derniers jours aient été accablants, je ne me laisserai pas réduire au silence », a ajouté Wilder. « Je serai bientôt de retour. » Source : BuzzFeedNews – 21-05-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises


Déclaration d’Emily Wilder :

J’ai commencé à travailler à l’Associated Press en tant que collaboratrice aux informations, un poste de niveau junior, le 3 mai, après avoir été journaliste pendant 10 mois pour The Arizona Republic. En Arizona, j’ai couvert les nouvelles de dernière minute, les affaires criminelles et les manifestations Black Lives Matter. Je me suis forgé une réputation respectée dans la salle de presse et dans les communautés que je couvrais, et j’étais fier de décrocher un poste à l’AP. Lundi dernier, les Républicains de l’université de Stanford ont lancé une campagne de diffamation à mon encontre, en tentant de « révéler » mon histoire déjà publique d’activisme pour les droits de l’homme en Palestine lors de ma scolarité à Stanford. J’ai été transparente avec mes rédacteurs en chef, qui m’ont rassurée en me disant que je ne serais pas sanctionnée pour mon passé militant. On m’a dit que mes éditeurs souhaitaient me soutenir alors que je recevais une avalanche de commentaires et de messages sexistes, antisémites, racistes et violents.

Moins de 48 heures plus tard, l’AP m’a licenciée. La raison invoquée est que j’aurais violé la politique de l’AP en matière de réseaux sociaux quelque part entre mon premier jour et mercredi. Dans l’intervalle, de puissants conservateurs comme le sénateur Tom Cotton, Ben Shapiro et Robert Spencer m’ont dénigrée à maintes reprises sur Internet. Lorsque j’ai demandé à mes responsables quels tweets précisément étaient en violation de la politique et dans quelle mesure, ils ont refusé de me le dire. En fin de compte, plutôt que de prendre mon faux pas comme une opportunité d’enseignement – comme c’est le but du programme d’associé de presse – il semble qu’ils l’aient pris comme une occasion de faire de moi un bouc émissaire. C’est déchirant pour une jeune journaliste qui a tellement envie d’apprendre des reportages d’investigation intrépides des journalistes de l’AP – et de faire moi-même ces reportages. C’est terrifiant en tant que jeune femme qui a été mise à l’écart au moment où j’avais le plus besoin du soutien de mon institution. Et c’est enrageant en tant que personne juive – qui a grandi dans une communauté juive, fréquenté une école orthodoxe et consacré ses années d’université à l’étude de la Palestine et d’Israël – que je puisse être taxée d’antisémite et jetée sous le bus dans le processus.

Je suis l’une des victimes de l’application asymétrique des règles relatives à l’objectivité et aux réseaux sociaux qui ont censuré tant de journalistes avant moi, en particulier des journalistes palestiniens et des journalistes de couleur. La compassion qui a motivé mon activisme fait partie de ce qui m’a conduit à devenir une reporter engagée dans la couverture juste, critique et factuelle d’histoires sous médiatisées. Aujourd’hui, après avoir été licenciée après moins de trois semaines de travail, je dois demander quel genre de message cela envoie aux jeunes qui espèrent canaliser leur indignation légitime ou leur passion pour la justice dans des récits percutants.

Quel avenir cela offre-t-il aux aspirants journalistes qu’une institution comme l’Associated Press sacrifie ceux qui ont le moins de pouvoir au trolling cruel d’un groupe de brutes anonymes ? Qu’est-ce que cela signifie pour cette industrie quand même le fait de partager les expériences douloureuses des Palestiniens ou d’interroger le langage que nous utilisons pour les décrire soit considéré comme irrémédiablement « partial » ? Bien que ces derniers jours aient été accablants, je ne me laisserai pas réduire au silence. Je serai bientôt de retour.

Source : Les Crises
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