Par Pierre Barbancey

Liberté de la presse Aux yeux de Washington, le fondateur de WikiLeaks est coupable d’avoir dévoilé les crimes de guerre en Irak et en Afghanistan. Londres a décidé de l’extrader vers les États-Unis, où il encourt 175 ans de prison.
La décision est tombée vendredi. Raide comme une saillie, affûtée comme une lame de guillotine. L’Histoire retiendra le nom de cette ministre de l’Intérieur britannique qui a signé le décret d’extradition de Julian Assange vers les États-Unis comme faisant partie des fossoyeurs de la liberté de la presse et de la liberté d’expression. Priti Patel ne s’est pas embarrassée de beaucoup de considérations.
« Dans cette affaire, les tribunaux britanniques n’ont pas conclu qu’il serait oppressif, injuste ou un abus de procédure d’extrader M. Assange », a expliqué le porte- parole du ministère de l’Intérieur en tentant de s’abriter derrière des arguties juridiques pour mieux masquer le choix politique qui a été fait. Il a ainsi assuré que l’extradition de notre confrère n’était pas « incompatible avec ses droits humains, y compris son droit à un procès équitable et à la liberté d’expression », soulignant que, aux États-Unis, l’Australien serait « traité de manière appropriée, y compris en ce qui concerne sa santé ».
Julian Assange est réclamé par la justice américaine, qui veut le juger pour la diffusion, à partir de 2010, de plus de 700 000 documents classifiés sur les activités militaires et diplomatiques américaines, en particulier en Irak et en Afghanistan. Ces documents classifiés, qui ne sont pas des secrets d’État – faut-il le préciser  –, révèlent notamment les crimes de guerre commis par les États-Unis dans ces deux pays qu’ils ont envahis et où les membres de la CIA ont allègrement enlevé, torturé et tué des centaines de personnes.
Pour Me Antoine Vey, l’un des avocats de Julian Assange contacté par l’Humanité, cette décision montre que, « en réalité, ce qu’Assange subit est une forme de vendetta orchestrée par les services de renseignements américains, qui s’en cachent de moins en moins, contre celui qu’ils considèrent comme leur ennemi numéro 1. Et les services américains ont repris la main sur l’Australie et sur le Royaume-U ni, qui n’est plus dans l’Union européenne ». Pour Katia Roux, chargée de plaidoyer libertés à Amnesty International France, « cette décision est une mauvaise nouvelle pour Julian Assange. Mais elle envoie un signal glaçant aux journalistes. Dénoncer de possibles crimes de guerre de gouvernements les expose à des poursuites, à des arrestations, à des détentions. Ils ne pourront pas faire leur travail convenablement et devront se demander à chaque fois s’ils peuvent oui ou non publier des informations d’intérêt général » .

Trois ans en prison de haute sécurité

Fondateur de WikiLeaks, Julian Assange a passé sept ans dans l’ambassade de l’Équateur à Londres où il s’était réfugié en 2012, alors qu’il était en liberté sous caution. Il craignait alors une extradition vers les États-Unis, ou bien la Suède, où il faisait l’objet de poursuites pour viol depuis abandonnées. Il avait finalement été arrêté par la police britannique en avril 2019 et était détenu depuis trois ans à la prison de haute sécurité de Belmarsh, près de la capitale britannique, dans des conditions très difficiles. En mars, il s’est marié avec Stella Morris, une avocate sud-africaine. Ils ont deux petits garçons conçus lorsque Julian Assange vivait à l’ambassade d’Équateur.
«  Quiconque dans ce pays se soucie de la liberté d’expression devrait avoir profondément honte que la ministre de l’Intérieur ait approuvé l’extradition de Julian Assange vers les États-Unis, le pays qui a comploté son assassinat », a insisté, vendredi, Stella Morris. « Julian n’a rien fait de mal. Il n’a commis aucun crime. Il est journaliste et éditeur, et il est puni pour avoir fait son travail », a-t-elle poursuivi.

Poursuivi aux états-unis pour 17 chefs d’inculpation

De son côté, WikiLeaks a dénoncé « un jour sombre pour la liberté de la presse » et annoncé que Julian Assange ferait appel, ce qui devrait prolonger la procédure et permettre une mobilisation plus importante autour de son sort. En janvier 2021, un tribunal britannique avait refusé la demande d’extradition américaine, estimant que les conditions d’incarcération aux États-Unis risquaient d’alimenter ses tendances suicidaires. Pour obtenir gain de cause, le gouvernement américain a finalement convaincu une cour d’appel de lui donner raison en assurant qu’Assange recevrait des soins adaptés et ne serait pas incarcéré à la prison de très haute sécurité ADX de Florence (Colorado), surnommée l’Alcatraz des Rocheuses. Il a également promis que le fondateur de WikiLeaks ne serait pas soumis à « des mesures administratives spéciales » – un régime de mise à l’isolement quasi total – avant, pendant et après le procès. Un engagement qui laisse sceptique Katia Roux. « Les États-Unis ont dit qu’ils se réservaient le droit de revenir sur leurs assurances diplomatiques à tout moment. Elles ne sont pas fiables, les motivations étant politiques. C’est pourquoi nous appelons le Royaume-Uni à ne pas extrader Julian Assange et le gouvernement américain à abandonner les accusations contre lui. » Une pétition signée par plus de 100 000 personnes soutient cette position d’Amnesty International, qui demande la libération du journaliste emprisonné.
S’il est transféré aux États-Unis, Julian Assange sera jugé devant un tribunal fédéral en Virginie et devra répondre de 17 chefs d’inculpation, dont l’obtention et la divulgation d’informations relatives à la défense nationale. Il encourt jusqu’à 175 ans de prison. Or, comme le fait remarquer Katia Roux, les possibles auteurs de crimes de guerre en Afghanistan et en Irak, que Julian Assange a contribué à dénoncer, ne sont pas inquiétés. « Nous ne sommes pas au bout du chemin. Nous allons nous battre. Nous allons utiliser toutes les voies de recours », a prévenu Stella Morris-Assange lors d’une conférence de presse. Elle a expliqué que son époux voulait se « battre », mais a évoqué un risque de suicide. « S’il est extradé vers les États-Unis, les conditions dans lesquelles il se trouvera seront oppressives (…) Cela le poussera à se suicider. »

Pierre Barbancey
L’Humanité du 20 juin 2022

Source : Assawra
https://assawra.blogspot.com/…

Notre dossier Julian Assange