Par Michel Bilis

                Qu’est-ce que le sionisme et que représente-t’il pour moi ? Quel a été mon point de vue sur le sionisme, et quel est-il aujourd’hui ?  Pour répondre à ces questions, je me suis résolu à entreprendre un petit voyage dans le temps : voyage d’égo-histoire, voyage autocentré- j’en conviens- mais que je vais tenter de traduire de la façon la plus objectivement analytique possible, sachant, bien entendu, que l’Histoire totalement objective, l’Histoire avec un H majuscule n’existe pas.

Je ne peux m’empêcher, à ce propos, de me référer à quelques  personnalités célèbres ou dépositaires d’une certaine autorité intellectuelle :

  • Marc Bloch : « Le passé a beau ne pas commander le présent tout entier, sans lui le présent demeure inintelligible.». …        « Toute Histoire est contemporaine. »
  • Arthur Koestler : «  L’Histoire est un mauvais maître qui inflige d’abord la punition, puis laisse l’élève en chercher la raison. »
  • Blaise Pascal : « Trop de distance et trop de proximité empêche la vue. »
  • Proverbe africain : «  Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur. »
  • Reinhard Kosellec : «  A court terme, l’Histoire peut être faite par les vainqueurs. A long terme, les avancées de la compréhension historique sont venues des vaincus. »
  • Paul Ricoeur : « La vérité en histoire reste en suspens, plausible, probable, contestable, bref toujours en cours de réécriture. »
  • Lucien Febvre : « Organiser le passé en fonction du présent : c’est ce qu’on pouvait nommer la fonction sociale de l’Histoire. »

   J’ai rencontré les termes  « sionisme et sioniste » pour la première fois de ma vie en juin 1967, au début de la guerre dite « des six jours » entre Israël et les États arabes : Égypte, Syrie, Jordanie. J’avais rencontré le terme juif, beaucoup plus tôt, en 1957, (j’étais alors âgé  de huit ans) : à l’école primaire laïque, gratuite et obligatoire, l’institutrice, en classe de CE2, avait exposé un cours d’histoire sur : les guerres de religions, et elle avait souligné l’affrontement entre catholiques et protestants. J’avais alors interrogé mon père  pour savoir à quel camp nous appartenions : les catholiques ou les protestants ? Mon père asséna une réponse que je jugeais aussi étrange qu’inattendue : « Mais non, tu sais bien que tu es juif ! ».

    Justement non, je n’en savais rien ! Ce fut précisément la première fois que  j’entendais prononcer le mot « juif », et que j’apprenais, de surcroît, qu’il s’appliquait à moi ! Je n’en avais jamais entendu parler jusqu’alors, et je ne comprenais pas vraiment ce que cela signifiait.

     La même année, mon père, Teddy Bilis, en remit une couche sur le sujet en m’emmenant au cinéma voir le film  américain de Cecil. B. DeMille : « Les dix commandements », qui retrace la vie de Moïse et la sortie d’Égypte des juifs prisonniers et réduits en esclavage. Ce fut une de mes premières prises de connaissance avec la destinée douloureuse des juifs.

    J’ai grandi dans un milieu totalement laïque, athée, voire même antireligieux, car mon père ne se privait pas d’émettre des remarques critiques et persifleuses lorsqu’il entendait une autorité cléricale s’exprimer à la radio (la télévision n’avait pas encore fait son entrée au domicile familial, mais les papes, évêques, prêtres, pasteurs, rabbins ne perdaient rien pour attendre ! A l’époque, on n’entendait pas parler des imams !)

   J’ai, cependant,  bientôt reçu par mon père le message sur la spécificité des juifs, et le fait que, descendant de la famille Bilis, je suis moi-même un juif ! Les juifs dont parlait mon père et auxquels il me rattachait étaient tout d’abord les persécutés victimes de l’antisémitisme (autre terme que j’appris par le même occasion), les déportés, les victimes de la barbarie nazie, évoquées alors dans le film « Nuit et brouillard » d’Alain Resnais, et dans la chanson éponyme de Jean Ferrat.  Juifs : ils étaient français, allemands, russes, polonais, etc, mais il ne constituaient pas un peuple spécifique en soi. Et il y avait aussi la pratique adoptée par mon père de dire : « c’est un juif »,  qui se voulait une appréciation louangeuse, un compliment, lorsque était prononcé le nom de tel ou tel homme politique : Léon Blum, Pierre Mendès-France, ou de tel ou tel artiste du cinéma : Eisenstein, Jules Dassin, Dany Kaye, et évidemment Charlie Chaplin (dont il semble aujourd’hui que la « judéité » soit infirmée !).

     Adolescent, j’ai entendu parler d’Israël, en relation avec les juifs mais non pas comme « l’État des juifs ». En 1965 Teddy Bilis, y a effectué un séjour de quelques mois à l’occasion du tournage d’un film d’Alex Joffé : « Pas question le samedi ». Il en revint avec le point de vue qu’Israël n’est pas vraiment juif (sic), notamment du fait que l’on n’y parle pas le yiddish.

   « Sionisme » était donc pour moi un terme inconnu, inemployé, dont, je le répète, je n’ai jamais entendu parler avant le mois de juin 1967, lorsqu’a éclaté la guerre appelée « guerre des six jours » dans le discours israélien bientôt repris par la quasi totalité des médias occidentaux, écrits et audio-visuels. En fait, il s’agissait d’un affrontement militaire  opposant directement Israël à trois États arabes : Égypte, Syrie et Jordanie. En une semaine (six jours) Israël a infligé une défaite militaire à ces trois États, et a conquis, à cette occasion, une partie du territoire égyptien, le désert du Sinaï et jusqu’au Canal de Suez, le plateau du Golan syrien, et toute la rive occidentale du Jourdain (Cisjordanie), dont le secteur oriental de Jérusalem, qu’il continue d’occuper et de coloniser à ce jour.

    A Paris, dans l’ambiance de l’époque (juin-juillet 1967), l’épisode fut présenté  comme une menace de destruction de l’État d’Israël, et de risque de « rejet des juifs à la mer ». Sont alors mises en avant les déclarations incendiaires en ce sens de propagandistes des pays arabes, qui permirent à Israël de se présenter en victime agressée potentielle, contrainte de se lancer dans une guerre préventive pour parer  une menace d’anéantissement.

    Il ne s’agit point ici de procéder à une analyse approfondie, politique et militaire, de la crise qui a débouché sur la guerre en juin 1967. D’autres s’y sont livrés, notamment des historiens  et politologues israéliens : Mati Péled, Tom Séguev, Amnon Kapéliouk, et des français : Maxime Rodinson, Henry Laurens, Alain Gresh, Dominique Vidal notamment.  Toujours est-il qu’à partir de juin 1967 (soit depuis 55 ans), Israël s’est installé  en tant que puissance militaire occupante dans les territoires du peuple palestinien, soumis continuellement depuis lors à domination, répression, expulsions, destructions de maisons, et colonisation. À quoi s’est ajouté le blocus terrestre, maritime, et aérien de la région de Gaza, qui a pour effet de maintenir enfermée depuis quinze ans (2007) une population de plus de deux millions de personnes (souvent des descendants de réfugiés palestiniens expulsés de leurs foyers en 1948-1950).

    En 1967, j’étais quasi totalement ignorant de l’Histoire du Moyen-Orient, de la Palestine et d’Israël. Faisant de gros efforts en termes de lectures historiques  pour combler ce vide, j’ai lu quantités d’ouvrages et d’articles sur ces sujets, et surtout, j’ai découvert  et labouré une partie non négligeable de  ces réalités en Israël, où j’ai passé près de sept ans de ma vie de 1967 à 1974.

    J’y insiste, au risque de me répéter : ayant grandi pendant 18 ans dans un milieu familial où mon père m’a transmis une formation initiatique à : juif, antisémitisme, pogrome, racisme, nazisme, fascisme et antifascisme, je n’ai jamais entendu prononcer les termes : sionisme ou sioniste. Ayant vu apparaître  dans la presse le mot « sionisme », lors de la guerre de juin 1967, je me suis précipité dans mon dictionnaire Larousse pour en chercher la signification. Je n’ai plus en mémoire la définition précise que j’y ai alors trouvé ; j’en ai, cependant, conservé la teneur générale, qui correspondait à celle que j’ai retrouvée ces temps derniers dans mon dictionnaire « Petit Robert », datant d’une bonne quarantaine d’années : «  Sionisme (nom masculin 1886 ; de Sion, montagne de Jérusalem.) Mouvement politique visant à l’établissement puis à la consolidation d’un État juif (nouvelle Sion) en Palestine, avant la création de l’État d’Israel. »

     Cette définition m’a, à l’époque,  laissé totalement indifférent ; comme s’il s’agissait de la définition d’un terme historique du 19ème siècle, qui n’aurait aucune incidence sur le présent. Je ne me suis absolument pas senti directement concerné ni interpellé. L’ « être juif », que m’avait attribué mon père quelques années auparavant ne se sentait nullement impliqué dans une quelconque appartenance à l’État d’Israel, auto-défini comme « État juif ».

     Je m’identifiais naturellement comme français : je suis né en France, à Paris  en 1949 ; ma mère (en 1920) et mon père (en 1913) sont aussi nés à Paris. Depuis dix-huit ans, je baignais dans la langue et la culture française. Le fait de me dire juif, ne me faisait pas éprouver le moindre sentiment de communauté de destin avec Israël.

    Les imprévus de la vie : guerre israélo-arabe en  juin 1967, et  une forte amitié avec un camarade de lycée, lui même franco-tunisien et juif, ont fait que je suis parti en Israël en juillet, nullement par identification ou solidarité avec cet État. Autrement dit l’idéologie sioniste n’avait en rien influé sur cet acte, dont le ressort profond était double : volonté de rompre avec le milieu familial pour des raisons que j’ai explicitées par ailleurs 1, et motivation idéologique et politique anarco-communiste d’aller vivre et travailler dans un kibboutz, que je percevais alors comme une communauté socialiste autogérée.

     Dans cette continuité, j’allais résider durant près de sept années en Israël, et baigner pleinement dans la vie et les débats idéologiques de cette société. J’y ai véritablement appris et découvert ce qu’est le sionisme, théorique et pratique, son action historique et sa vision du monde juif. Je l’ai  découvert, tout d’abord, dans les kibboutzim comme une idéologie nationale et socialisante.

   Idéologie nationale : au sens où le sionisme est présenté comme une sorte de mouvement de libération des juifs disséminés, discriminés  voire  persécutés en Europe  centrale et orientale (Russie, Ukraine, Pologne, Roumanie, États Baltes, etc), où  la judéophobie religieuse et nationaliste a suscité l’éclosion de l’idée selon laquelle le salut des juifs passe par leur regroupement dans un État juif indépendant.

   Le versant socialisant de cette idéologie s’incarnait surtout dans les partis ouvriers, la Histadrout   (à la fois syndicat de salariés et organisme patronal)  et le mouvement kibboutznique, selon qui l’avenir et la régénérescence des juifs impliquaient leur transformation sociale en ouvriers, agriculteurs ; autrement dit en bâtisseurs abandonnant leur situation de commerçants, d’intermédiaires financiers, et les professions libérales et intellectuelles censées les caractériser dans les pays de « l’exil » (selon la terminologie sioniste).

    Ceci correspondait souvent à une caricature sociologique, non exempte d’antisémitisme, en Europe et en Amérique, où un nombre massif de juifs occupaient en réalité des emplois salariés dans l’industrie, les services, le petit commerce et les métiers de l’artisanat productif.

     Le sionisme s’est avéré  un nationalisme  essentialiste-ethnique, en ce qu’il décrit les juifs sous la forme d’un peuple unique et spécifique, distinct des autre peuples au sein desquels ils vivent depuis des générations, voire des siècles. Ainsi les Français-juifs ne seraient pas des Français mais des Juifs… (..Voilà qui nous rajeunit, en nous ramenant au temps du pétainisme vichyssois !).

    Cette conception nationaliste ethnique a pu s’expliquer historiquement par l’environnement nationaliste au sein duquel a émergé et s’est développé le mouvement sioniste à la fin du 19ème et au début  20ème siècle : en Europe centrale et orientale : dans les empires russe et austro-hongrois, s’est effectivement affirmé de façon dominante un nationalisme ethnique, quasiment racial, qui, loin d’être inclusif s’est employé à exclure du corpus national les  éléments, notamment les juifs, censés ne pas correspondre aux critères séculaires de la « nation authentique ». Dans la Russie d’alors, c’est la Révolution d’Octobre 1917 qui a donné aux juifs la pleine égalité citoyenne et nationale.

    Le mouvement politique sioniste originel, sous l’impulsion notamment de Théodore Herzl et de Max Nordau a totalement fait sien cette conception antisémite de la nationalité, et s’est employé à promouvoir un « État juif » ou « Foyer national juif », dans un lieu : la Palestine, qui comptait en 1917 (date de la Déclaration Balfour), environ 700 000 Palestiniens arabes et 50 000 Palestiniens juifs.

    Lors de la création effective de l’État d’Israël comme « État des juifs », à la suite d’une opération massive de nettoyage ethnique la majorité de la population palestinienne arabe expulsée ou ayant fui les combats est, par conséquent, devenue une population de réfugiés interdite de retour dans ses foyers.

   Il n’a délibérément pas été créé une nationalité israélienne qui ferait de tous les citoyen.nes du pays : juifs, arabes, druzes, etc, des membres rigoureusement égaux en droits d’une même communauté nationale.  La carte d’identité israélienne comporte une rubrique « nationalité » où figure la mention « juif » ou « arabe », qui officialise une différenciation statutaire entre les citoyens d’un même pays et introduit une distinction juridique sur laquelle viennent se greffer une série de discriminations selon que la personne est identifiée comme juive ou arabe : zones de résidence et d’habitat, accès à la propriété foncière, exercice de la haute fonction publique…

    Ayant vécu en Israël de 1967 à 1974, j’y ai donc découvert le sionisme dans ses dimensions à la fois idéologiques, théoriques et pratiques. Je n’ai jamais adhéré à l’idée selon laquelle les juifs constitueraient un peuple spécifique, distinct des autres peuples parmi lesquels ils vivent, et dont la finalité serait de se regrouper dans un État juif dont leurs ancêtres auraient été expulsés par le pouvoir romain antique.

    Un des principes centraux du discours sioniste dominant consiste à désigner Israël comme le centre du monde juif, et les juifs et juives du monde entier comme une « diaspora », appelée à se regrouper dans « l’État juif ». Une autre affirmation du sionisme officiel, est que l’État d’Israël constitue un refuge pour, et seulement pour, les juifs persécutés  dans le monde entier. Ce principe  ne s’appliquant exclusivement qu’aux juifs, les autorités de « l’État juif » et du sionisme étatique ont été contraintes  de formuler une définition officielle de « qui est juif ? », et à partir de là, le doigt a été mis dans un engrenage qui n’est pas sans rappeler les délires racialistes des idéologues nationalistes et antisémites des 19ème et 20ème siècles. La « nationalité  juive », mentionnée sur la carte d’identité des Israélien.nes ne repose pas sur le  « droit du sol », mais bien sur  le « droit du sang ».

    De retour à Paris en 1974, je n’ai pas cessé de continuer depuis lors à suivre attentivement les évolutions politiques et sociales d’Israël et du Moyen Orient en général, je n’ai pas manqué de constater qu’il existe, certes, en Israël une société authentique, constituée de classes sociales. Des capitalistes israéliens (dits juifs pour la plupart), exploitent des travailleurs israéliens juifs, arabes, druzes, et aussi désormais, des travailleurs venus d’Afrique subsaharienne, et d’Asie (des Philippines notamment), délibérément maintenus en situation d’immigrés temporaires, ayant vocation impérative à être expulsés à l’échéance de leur autorisation de séjour.

   L’État d’Israël a été fondé à l’issue d’un processus de nature coloniale (implantation, sous l’égide des grandes puissances européennes, de populations venues d’Europe, d’Afrique du Nord et d’Asie aux dépens  de la population palestinienne autochtone expulsée ou déplacée par la force). Israël ne se fait pas faute d’afficher sa puissance militaire majoritairement aidée et financée au cours de son histoire par la France, puis par les U.S.A.

     Israël a participé activement, en 1956,  à la dernière grande campagne militaire impérialiste menée alors par la France et la Grande-Bretagne contre l’Égypte, dirigée par Gamal Abd-el–Nasser, qui venait d’avoir l’outrecuidance de vouloir rendre à son pays la pleine souveraineté sur le canal de Suez. Cette « diplomatie de la canonnière » occidentale fut heureusement bloquée par l’intervention conjointe des USA et de l’URSS (acte rarissime en cette époque  de « guerre froide » brûlante !).

   Vint ensuite la guerre de juin 1967 avec ses abominables conséquences : la transformation d’Israël en puissance occupante, dominante et oppressive d’une population étrangère. Une occupation, qui, quelles que soient ses formes évolutives, maintient depuis 55 années la population palestinienne sous un régime répressif et continue de nier son droit à l’autodétermination, à la souveraineté et à l’indépendance.

   Une occupation, qui inflige chaque année aux Palestinien.nes des assassinats et des emprisonnements par dizaines, détruit des maisons familiales et des infrastructures sociales, impose en permanence des  interdictions ou des limites à la libre circulation de la population  (mur de séparation à l’intérieur du territoire palestinien, barrages routiers-« check points » tenus par l’armée et la police israélienne en Cisjordanie où les Palestinien.nes doivent le plus souvent patienter pendant des heures pour se rendre à leur travail, ou tout simplement se déplacer d’une ville à l’autre sur leur territoire. À quoi, « last but not least », s’ajoute l’implantation de colonies israéliennes sur des terres confisquées, et desservies par des routes interdites d’accès aux Palestiniens. Un véritable régime d’apartheid a été instauré dans les territoires palestiniens de Cisjordanie où les habitants d’un même territoire relèvent depuis 55 ans d’un régime juridique différent : justice et tribunaux militaires pour les Palestinien.nes et justice et tribunaux civils israéliens pour les Israélien.nes juifs et juives.

   Tout ceci  est appliqué au nom de l’idéologie sioniste, dans les territoires palestiniens occupés, baptisés  « Judée et Samarie », par l’État d’Israël, en référence nationaliste et religieuse à l’appellation biblique.

   Durant la période de sept années où j’ai vécu en Israël, j’en étais venu à reconnaître une acception positive au terme « sionisme ». Cela  pouvait signifier à mes yeux : reconnaissance du droit à l’existence de l’État d’Israël, considéré comme un lieu de refuge pour les juifs persécutés dans le monde. C’est, bien évidemment, ce qui avait conduit la majorité des États de la communauté internationale, à se prononcer à l’ONU pour la reconnaissance officielle de l’État juif créé en Palestine en 1948, en réparation à l’extermination massive des juifs d’Europe menée par l’Allemagne nazie.

    J’ai, cependant, toujours été totalement opposé à l’occupation, à l’annexion et à la colonisation des territoires conquis par Israël en 1967 : Cisjordanie dont Jérusalem-Est, Gaza, plateau du Golan, Sinaï jusqu’à Sharm-el-Sheikh. J’avais alors encore une connaissance lacunaire de l’histoire de la Palestine et de sa colonisation par le mouvement sioniste.

   J’avais aussi une perception insuffisamment claire de ce qu’impliquait le concept d’ « État juif » en termes de discriminations et d’inégalités, s’agissant de la situation faite à la population arabe palestinienne vivant en Israël. Qualifiée d’ « arabes israéliens », cette population avait été soumise de 1948 à 1966 à un régime draconien d’administration militaire (celui-là même imposé à la population des territoires conquis en 1967 qui, pour l’essentiel perdure jusqu’à ce jour).

    Les palestino-israéliens disposent depuis 1966 du droit de vote, mais non pas d’une totalité de droits  citoyens rigoureusement égale aux judéo-israéliens : impossibilité d’accès à la propriété foncière en certains endroits réservés aux judéo-israéliens, restrictions de la liberté de circulation entre Israël et les territoires occupés, exclusion des emplois de la haute fonction publique, exclusion de l’habitat dans certaine zones réservées aux judéo-israéliens. Récemment, une femme palestinienne de Cisjordanie ayant épousé un citoyen palestino-israélien, s’est vue refuser l’autorisation d’habiter en Israël avec son conjoint.

   Je ne contestais pas, à l’époque, la définition d’Israël comme « État juif et démocratique », sans voir que pour mériter véritablement le label « démocratique », il devrait être l’État de tous ses citoyens, sans distinction ethnique ni religieuse. Je suis aujourd’hui bien conscient que la formule :   « État juif et démocratique » constitue manifestement un oxymore !

  J’ai donc pu me considérer pendant quelques années (1969-1973) comme sioniste, lorsque je vivais en Israël, tout en restant fortement critique de la politique d’occupation et de colonisation des territoires palestiniens par Israël, et de son refus absolu de reconnaître le droit à l’autodétermination des Palestiniens, alors porté par Yasser Arafat.

   Pour toutes les raisons indiquées précédemment, notamment par l’approfondissement de l’étude  du sionisme et de l’histoire de la Palestine, je me suis progressivement détaché du sionisme, pour adopter une position politique antisioniste, sans pour autant contester le droit à l’existence de l’État d’Israël.

    J’ai été fortement influencé dans cette démarche de « désionisation », par des lectures, notamment un écrit de l’historien Maxime Rodinson, lui-même d’origine juive, publié en 1967, dans la revue Les Temps Modernes, sous le titre : « Israel, fait colonial ? », mais aussi par de vives et ardentes discussions avec des copains israéliens à l’université de Tel Aviv, dont Shlomo Sand, devenu depuis lors un historien de renom, auteur d’un essai intitulé : « Comment le peuple juif fut inventé ».

   S’agissant du conflit « Palestine-Israël », je suis devenu, depuis de nombreuses années, un adepte de la solution dite des deux États : Israël ramené dans les lignes-frontières d’avant juin 1967 et qui soit l’État des Israéliens et non pas l’État juif d’une part, et d’autre part l’État palestinien pleinement indépendant et souverain, à égalité de droits avec l’État israélien.

    L’idée d’un État unique, binational et laïque, sur l’ensemble du territoire situé entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain, est à nouveau mise en avant par des cercles palestiniens et israéliens. Elle est effectivement séduisante, mais elle  ne me paraît guère réaliste à court terme.

   Il me semble, cependant, que la solution à deux États, devrait pouvoir évoluer vers une structure fédérale, susceptible de déboucher à terme sur un État fédéral uni.

Et pour conclure, voici quelques citations qui me paraissent résonner en écho avec le sujet :

Ernest Renan :- « Une nation n’a jamais un véritable intérêt à s’annexer ou à retenir un pays malgré lui. »

                            -« Les plus nobles pays sont ceux où le sang est mêlé ».

Max Weber :   – « Il est tout à fait exact, et toute l’expérience historique le confirme, que l’on  n’aurait jamais atteint le possible si l’on n’avait toujours et sans cesse dans le monde, visé l’impossible. »

Stefan Zweig :   -« Chaque idée qui se réalise a été auparavant un rêve, et nous n’inventons ni ne réalisons jamais rien que de hardis précurseurs n’aient désiré ou voulu avant nous. »

                             – «  Sur le plan politique, la mission de la judéité consiste à déraciner le nationalisme dans tous les pays, de façon à créer du lien dans l’esprit pur. C’est la raison pour laquelle je refuse également le nationalisme juif, parce qu’il est aussi orgueil et enfermement. »

Note

  1. Notre jeunesse de France et d’Israel.  (Editions l’Harmattan-Paris 2017)

Source : UJFP
https://ujfp.org/…