Par Karine Bechet-Golovko

La cour d’appel de Moscou vient de publier le texte intégral de la décision confirmant la transformation de la peine de sursis de Navalny en peine réelle. Comme beaucoup de commentateurs fantasment à grande vitesse, trouvent « humoristique » la justice russe qui aurait, selon eux, condamné Navalny alors qu’il était hospitalisé, remettons les choses à leur place avec des extraits de cette décision pour éviter que de fausses informations, volontairement ou involontairement, ne continuent à se propager: la période d’hospitalisation n’est pas prise en compte, les violations des conditions du sursis sont systématiques, établies et non contestées par la défense, la défense qui n’a pas non plus contesté en justice l’avis de recherche. Quant à la décision de la CEDH, elle n’est pas une instance suprême des justices nationales, son injonction politique à libérer Navalny est assimilée à une ingérence inacceptable. Que nos amis journalistes n’hésitent pas à lire le texte de la décision avant de la commenter …

La cour d’appel de Moscou, qui a examiné le recours des avocats de Navalny contre la décision de première instance jugeant des violations, ou non, par Navalny des conditions de son sursis suite à sa condamnation dans l’affaire d’escroquerie Yves Rocher, vient d’être publiée. Comme nous l’avions appris, la transformation de la peine de sursis en peine réelle prononcée a été confirmée en appel. Voici les grandes lignes de la décision disponible en russe ici sur le site de la cour

Navalny a régulièrement refusé de se présenter à la date prévue à ses convocations, ce qu’il a reconnu.

Le service de contrôle des peines a fixé comme date de convocation obligatoire le 1er et 3e lundi de chaque mois. Or, lors de sa période de sursis, Navalny a régulièrement modifié unilatéralement la date de convocation, pour se présenter lorsque cela lui était pratique. Une personne condamnée avec sursis est obligée de se présenter à la date déterminée par le Service de contrôle des peines et non pas en fonction de son bon vouloir.

Navalny n’a pas régulièrement indiqué son lieu de résidence, ce qu’il a reconnu.

Selon la législation, une personne condamnée avec sursis doit constamment informer l’administration de son lieu de résidence. Or, Navalny a régulièrement changé de lieu de résidence lors de son sursis, sans tenir l’administration au courant.

A ce sujet, la période d’hospitalisation n’est pas prise en considération dans l’établissement de la violation par Navalny des conditions de sa liberté conditionnelle. Mais, en ce qui concerne la période de soins ambulatoires, rien ne l’empêchait et de formellement signaler son lieu de résidence (une fois sorti de l’hôpital), et de signifier formellement son impossibilité de se rendre à ses convocations. Rien de plus n’était attendu de lui.

Mais ne l’ayant pas fait pendant 30 jours, son lieu de résidence a été inconnu de l’administration, qui a lancé un avis de recherche. Soulignons, que cet avis de recherche n’a pas été contesté en justice par les avocats de Navalny.

Pour toutes ces raisons, et les nombreuses violations de l’ordre public qui démontrent l’absence de volonté de Navalny de revenir « dans le droit chemin », le tribunal de première instance était fondé à transformer la peine de sursis en peine de prison réelle.

En ce qui concerne les arguments des avocats de la défense fondé sur la décision de la CEDH. Tout d’abord, la cour d’appel souligne à juste titre que la CEDH n’est pas une juridiction suprême des cours nationales. Ainsi, la décision de la CEDH présentée par la défense imposant des mesures temporaires et exigeant une libération immédiate

« ne peut être prise en considération puisque cette instance judiciaire n’est pas une instance supérieure pour le système judiciaire de la Fédération de Russie et n’est pas en droit de donner aux juridictions de la Fédération de Russie des instructions catégoriques et de s’ingérer dans l’activité des juridictions nationales, liée à l’exécution des décisions, ayant acquis l’autorité de la force jugée; cette question ne peut être résolue que par une juridiction de la Fédération de Russie, conformément à la législation nationale. De plus, comme il en ressort du texte de la décision elle-même, elle est en fait une adresse de l’organe exécutif (Comité des ministres) de la CEDH, non pas aux juridictions de la Fédération de Russie, mais au Gouvernement de la Fédération de Russie. Elle n’a donc aucun rapport avec l’objet de cette affaire. »

Ainsi, non seulement, la cour d’appel démontre l’ingérence des instances européennes, mais en plus l’ordre donné au Gouvernement russe de violer et le principe de séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. L’on voit ici tout l’attachement de ces instances européennes aux principes qu’ils déclarent …

En ce qui concerne la soi-disant mise en danger de la vie de Navalny, argument sur lequel repose la décision politique de la CEDH, la position de la cour d’appel est très claire :

 « Les déclarations de la défense concernant l’existence de fondements laissant penser à un danger pour la vie dans les conditions de privation de liberté et au caractère politique de la décision de privation de liberté, ne sont que de simples spéculations de l’accusé lui-même et de ses avocats, ne revêtant que le caractère de présomption, sans être confirmées par des données objectives, et ne peuvent donc être prises en considération. »

Autrement dit, devant la justice, à la différence des tribunaux politico-médiatiques, il ne suffit pas d’accuser, il faut aussi prouver. Cela explique certainement la tendance grandissante à recourir à ces  nouveaux tribunaux d’exception, dans les colonnes dociles des médias asservis.

La décision de la cour d’appel de Moscou remet parfaitement les points sur les i : l’affaire Navalny n’est pas une affaire politique, l’accusé a eu accès à tous les moyens de défense, c’est une banale affaire d’escroquerie, par un individu qui se croit au-dessus des lois et vient d’être rappelé à la triste réalité de sa vie. En prison, Navalny va pouvoir travailler, fabriquer des masques ou devenir bibliothécaire, comme l’a déclarée l’administration pénitentiaire. En effet, travailler risque de mettre sa vie en danger, lui qui n’a pas l’habitude …

Source : Russie politics
http://russiepolitics.blogspot.com/…

Le sommaire de Karine Bechet-Golovko :
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