Par Michel Ouaknine
Le rôle de l’historien est de rappeler que le conflit israélo-palestinien n’est pas religieux. C’est un conflit politique, un conflit de colonisation kidnappé par les discours religieux.
Sophie Bessis1
Que les juifs fêtent le miracle de Hanouccah en même temps (ou presque) que les chrétiens d’Occident célèbrent la naissance du petit Jésus n’est pas tout à fait « un heureux hasard »… Autorités religieuses juives comme chrétiennes avaient du mal à faire oublier les fêtes païennes du solstice d’hiver. Pour les juifs ça tombait bien, Hanouccah était traditionnellement fêté le 25 du mois de kislev (le 14 décembre cette année) ; au début du IIe siècle, les rabbins organiseront la célébration du miracle avec des bougies, elles remplaceront les feux du solstice. Par contre, ce n’est qu’au début du IIIe siècle que l’Eglise décidera que Jésus était né un 25 décembre, mettant ainsi fin aux dernières célébrations du renouveau du soleil…
Mais Hanouccah, c’était quand ?
Il faut faire un petit retour historique… En 323 (AEC) Alexandre le Grand meurt à Babylone laissant un vaste empire qui sera partagé en 3 parties par ses généraux. La province de Judée finit par tomber dans l’escarcelle Séleucides dont l’empire s’étendait de la Turquie à l’Afghanistan (actuels). Tout va pour le mieux et les Judéens découvrent les plaisirs de la paix et de la culture grecque pendant 150 ans… jusqu’en 188 (AEC) quand les Séleucides sont vaincus par les soldats d’un nouvel empire en train de s’étendre : Rome. En plus que l’abandon d’un certain nombre de provinces les Romains imposent aux Séleucides le paiement d’un tribut colossal. Les rois séleucides qui se succèderont (Antiochos III, Seleucos IV et Antiochos IV) ne trouveront d’autre solution qu’augmenter les impôts et piller des temples pour en récupérer les richesses… dont celui de Jérusalem suscitant de violents accrochages entre Judéens hellénisés et partisans de l’observance de la religion…

La Judée au IIe siècle avant JC2
Pour ne rien arranger, alors qu’Antiochos IV se trouve empêtré en Judée entre hellénisants et religieux, il doit affronter les Lagides au sud et les Parthes à l’Est. Avant de partir en guerre, il croit régler le problème judéen en interdisant la loi de la Torah… Grave erreur !
Cela suffit à soulever des Juifs (nous sommes début 167 AEC) sous la direction de Mattathias, prêtre dans le Temple, descendant d’un des Grands prêtres et d’un certain Hashmonaï d’où le nom Hashmonaïm (חַשְׁמוֹנָאִים ) – Hasmonéens – donné à sa lignée. Avec ses 5 fils, notamment le troisième, Judas Maccabée, ils pratiquent une guerre de harcèlement contre les troupes séleucides et les Judéens hellénisés, détruisant les temples païens et sans oublier de faire circoncire les garçons (hellénisés ou par crainte du décret royal). Finalement Judas Maccabée reprend Jérusalem en décembre 164. Le Temple est alors purifié et la fameuse lampe à huile sainte est allumée. Aucun document d’époque ne nous donne la marque de cette huile… Dommage car au lieu de ne brûler qu’une journée la lampe brillera 8 jours…
Après cette victoire, les fils Maccabée se prennent la grosse tête
Cette réussite militaire des frères Maccabées va être le début d’une guerre contre les Séleucides dont les dernières troupes quittent la Judée en 142. Simon, dernier survivant des cinq fils de Mattathias, se fera proclamer « Grand-prêtre, stratège et ethnarque » à titre héréditaire lors d’une assemblée générale à Jérusalem (la grande knesset).
Simon est rapidement assassiné (135 AEC) ; son fils Jean Hyrcan Ier prend sa succession et décide d’agrandir son État. Il s’empare ainsi d’une partie de la Transjordanie et de l’Idumée dont il convertit la population de force à la religion juive (nous sommes alors en 125 AEC). Jean Hyrcan s’empare aussi de la Samarie, où il détruit le temple des Samaritains (vers 108 AEC), un temple construit au retour de l’exil de Babylone en même temps que le 2e Temple de Jérusalem !
Une lutte dynastique va éclater entre ses 2 fils (104 AEC) ce qui n’empêchera pas la conquête de la Galilée (qui sera « judaïsée » à son tour). Leurs enfants et même Salomé, épouse de l’un des fils de Jean Hyrcan vont se disputer le pouvoir tout en étendant le royaume : en 75 AEC il atteint l’équivalent de la Palestine mandataire avec le Golan et de nombreux territoires dans les actuels Liban, Syrie, Jordanie.
À ces querelles de palais s’ajoute une opposition entre juifs pharisiens (plus proches de la tradition) et sadducéens (l’élite sacerdotale, plus proche du pouvoir) qui prendra parfois l’allure de guerre civile3.
L’extension maximum du royaume sera l’œuvre d’Alexandre Jannée (un des fils de Jean Hyrcan) quand il prendra la ville et la région de Gaza vers 96 AEC (à l’exception de la région située autour d’Ashkelon). Il consolidera la région au sud de Beer Sheva avec quelques colonies mais le Néguev restera aux mains des Nabatéens et des Bédouins.
C’est la seule fois de l’histoire antique où des Judéens soumettrons la région de Gaza (peuplée essentiellement de Grecs et de Philistins hellénisés) et pour peu de temps, 35 ans environ ; elle sera libérée par l’intervention des Romains en 63 AEC.

L’extension maximum du royaume hasmonéen en 75 AEC
Ce sont les Romains qui siffleront la fin de la partie avec Pompée qui s’empare de Jérusalem en 63 AEC. La Judée devient un protectorat romain : le royaume hasmonéen n’aura duré qu’un peu plus de 100 ans (de 140 à 37). Leur succession sera assurée par Hérode…
1ère conclusion
Comment ne pas saluer et glorifier la juste révolte qui a saisi le peuple juif à l’interdiction de la pratique de leur foi ? Quoi de plus beau que cette saine révolte ? Une révolte qui a sauvé le peuple de son hellénisation et donc de la disparition du judaïsme … et même des antisémites (l’édit de persécution promulgué par Antiochos IV ne serait-il pas de cette nature ?). Une révolte saluée par un miracle divin, miracle dont les auteurs et leurs descendants ont permis de multiplier par 7 la surface de la Judée.
Cette puissance des armées juives a été intégrée dans le roman national israélien en faisant quelques contorsions à l’histoire (oubliées les conversions forcées des Iduméens en Galilée et les répressions violentes). Il faut dire que la rapidité des conquêtes hasmonéennes ajoutant à la Judée le concurrent samaritain (des juifs qui ne reconnaissaient que la Torah, rejetant les autres livres de la Bible) et surtout des territoires importants de l’autre côté du Jourdan et en Syrie.
Ce culte de la force est évidemment célébré et cultivé en Israël : tous les évènements sportifs s’appellent « maccabiades » et de nombreux clubs ont pris le nom de « Maccabi… » comme les célèbres clubs de football Maccabi Tel Aviv (récemment corrigé par Lyon 6-0) ou le Maccabi Haïfa.
2e conclusion
L’histoire gentillette du miracle de Hanouccah que l’on conte à des enfants émerveillés par l’allumage des bougies est superbe… sauf que cette la prise du pouvoir par une famille les entraine dans une avidité de puissance qui n’hésite pas à utiliser la religion (conversions forcées d’environ 200 000 nouveaux « juifs » qui s’ajoutent à 500 000 Judéens) et une violence extrême (répressions et conquêtes extrêmement meurtrières, les historiens en évaluent le « coût humain » entre 50 et 95 000 morts) pour parvenir à ses fins.
De toute cette courte histoire (qui n’aura duré que 104 années) le roman national israélien ne retiendra que le miracle et les conquêtes, préfiguration sioniste d’un « Grand Israël » fantasmé mais utilisé quotidiennement par les partis nationaux-religieux d’Israël.
Contorsion ultime : la Bible est enseignée en Israël au même titre qu’un livre d’histoire mais ni Hanouccah ni l’histoire de la dynastie hasmonéenne ne sont contés dans la Bible4. Les ouvrages des enseignants israéliens doivent donc composer avec les 4 livres des Maccabées (qui ne font donc pas partie de la Bible juive5)…
Sources : Simon Claude Mimouni, « Le Judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère »; Elon Gilad Dec 22, 2019 12:14 PM – https://www.haaretz.com/israel-news/the-revolt-of-the-maccabees-the-true-story-behind-hanukkah-1.5343197 . Carte copiée de https://en.wikipedia.org/wiki/Hasmonean_dynasty
- Historienne et journaliste féministe franco-tunisienne. Auteure notamment de Les Valeureuses : cinq Tunisiennes dans l’histoire, Tunis, Elyzad, 2017, Histoire de la Tunisie : de Carthage à nos jours, Paris, Tallandier, 2019, 528 et Je vous écris d’une autre rive : lettre à Hannah Arendt, Tunis, Éditions Elyzad, 2021..[⇧]
- https://www.haaretz.com/israel-news/the-revolt-of-the-maccabees-the-true-story-behind-hanukkah-1.5343197. Carte copiée de https://en.wikipedia.org/wiki/Hasmonean_dynasty[⇧]
- Flavius Josèphe raconte qu’Alexandre Jannée fit crucifier environ 800 Pharisiens tout en faisant égorger sous leurs yeux leurs femmes et leurs enfants, en donnant un banquet entouré de courtisanes pendant l’exécution. Ce chiffre est naturellement exagéré (800 crucifixions simultanées était logistiquement très difficile dans une Jérusalem du Ier siècle AEC) mais donne une idée de la violence de la répression.[⇧]
- Le Talmud mentionne Hanouccah toutefois.[⇧]
- À l’exception des protestants, les autres religions chrétiennes ont inclus 2 ou 3 des 4 livres des Maccabées dans leur version de la Bible. Le coran ne mentionne pas non plus ni le miracle de Hanouccah ni les exploits des Maccabées.[⇧]
Source : UJFP
https://ujfp.org/…

