Par Faouzia Zebdi Ghorab

Réponse au communiqué du CFCM relatif au Guide de la laïcité de l’AP-HP

Le communiqué du CFCM daté du 18 décembre 2025, qui annonce la saisine du Défenseur des droits, appelle plusieurs clarifications juridiques. Ceci afin d’éviter toute confusion sur les compétences des institutions et sur les voies de recours réellement disponibles.

Une saisine du Défenseur des droits juridiquement limitée

En premier lieu, il convient de rappeler que le Défenseur des droits, s’il peut être saisi pour examiner des situations de discrimination ou de dysfonctionnement d’un service public, ne dispose d’aucun pouvoir normatif ou contraignant.
Il ne peut ni abroger, ni modifier, ni « rectifier » un texte administratif. Ses interventions prennent la forme d’avis et de recommandations, dépourvus de force obligatoire.

Dès lors, présenter la saisine du Défenseur des droits comme un moyen d’obtenir le « retrait immédiat » ou la « rectification » d’un passage du Guide de la laïcité de l’AP-HP entretient une ambiguïté juridique regrettable, susceptible de créer de faux espoirs chez les personnes concernées.

Le juge administratif, seul acteur juridiquement compétent

En second lieu, si des décisions individuelles de radiation ou de restriction d’activité ont été prises sur le fondement de ce guide, seul le juge administratif est compétent pour apprécier la légalité de ces décisions, constater une éventuelle discrimination, et donc annuler les mesures litigieuses.

Par ailleurs, la modification du Guide de la laïcité de l’AP-HP relève exclusivement de l’AP-HP elle-même, de son autorité de tutelle ou d’une décision juridictionnelle. Si la saisine du Défenseur des droits peut constituer un levier complémentaire, notamment en matière de visibilité publique, elle ne peut se substituer aux recours contentieux et administratifs indispensables pour garantir une protection effective des droits.

Des leviers juridiques et institutionnels absents du communiqué

Une action réellement efficace aurait nécessité l’activation de leviers juridiques et institutionnels contraignants, qui ne sont pas mentionnés dans le communiqué.

La contestation du Guide de la laïcité de l’AP-HP ou de son application aurait pu prendre la forme d’un recours en justice devant le tribunal administratif, notamment d’un recours pour excès de pouvoir, avec éventuellement une procédure en urgence pour suspendre ces mesures.

Seul le juge administratif est en effet compétent pour ordonner la suspension de l’application du texte en cause, annuler les exclusions, constater des discriminations, condamner l’AP-HP et, le cas échéant, obliger l’administration à revoir son cadre réglementaire.

De même, faire intervenir le ministère de la Santé, par une demande formelle, une question parlementaire ou en déclenchant une inspection administrative, aurait été beaucoup plus contraignant pour l’AP-HP qu’une simple déclaration publique.

Enfin, accompagner les personnes directement touchées dans des démarches individuelles, comme des recours amiables, des plaintes pour discrimination ou des demandes d’indemnisation pour les préjudices subis, constitue en pratique une stratégie souvent décisive pour faire reconnaître l’illégalité d’une pratique et obtenir la suppression de textes internes problématiques.

Le précédent de la loi du 15 mars 2004 : une nième occasion manquée

À cet égard, rappelons que lors de la promulgation de la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes religieux dans les établissements scolaires publics, aucune action juridique structurante n’a été engagée par les instances représentatives du culte musulman, alors même que la loi était contestable en droit et que ses effets d’exclusion étaient immédiatement prévisibles.

Dès 2003, des militants, des collectifs et des associations, souvent isolés, alertaient l’opinion. Ils interpellaient les autorités nationales et documentaient les conséquences concrètes de la loi. De même qu’une simple association engageait des recours devant le Conseil d’État, et saisissait la Cour européenne des droits de l’homme, 
Pendant ce temps, les institutions représentatives se contentaient, pour l’essentiel, de déclarations publiques. Elles appelaient au respect de la loi sans jamais en contester la légitimité juridique, ni utiliser les outils juridiques pourtant à leur disposition.

Cette absence de réaction juridique collective, au moment même où une rupture majeure s’opérait, a contribué à l’ancrage durable d’un régime d’exception visant une minorité — régime dont les effets se manifestent aujourd’hui dans d’autres sphères, comme l’hôpital.

Une constante institutionnelle : la primauté du déclaratif sur le contentieux

Sauf erreur, rien ne montre que le CFCM ait déjà mené une action en justice structurée contre des textes ou pratiques discriminatoires, que ce soit lors de l’adoption et de la mise en œuvre de la loi du 15 mars 2004, ou même après.

Pas de recours devant les juridictions, pas de saisines constitutionnelles ou européennes, pas de participation à des procès collectifs. L’action du CFCM semble historiquement limitée à des communiqués et des prises de position publiques.

Or cette abstention n’est nullement due à une contrainte statutaire. Les statuts modifiés du CFCM, adoptés le 12 mars 2023, prévoient explicitement le recours à l’action en justice.

L’article 2, alinéa d, affirme que le CFCM a pour mission de « défendre les intérêts et la dignité du culte musulman en France par tous les moyens légaux, notamment devant toutes les juridictions compétentes », et de « se constituer partie civile devant toutes les juridictions pour tous actes antimusulmans commis contre des personnes physiques et/ou morales ».

L’article 3 confirme cette vocation judiciaire, précisant que le CFCM peut intervenir « auprès de toute juridiction », notamment par la constitution de partie civile lorsqu’il est saisi d’une atteinte aux droits des victimes d’islamophobie.

Les moyens existent. Les textes l’autorisent. Les statuts l’encouragent. Que manque t-il alors ?

Cette stratégie uniquement déclarative, observable depuis des années, pose une vraie question : peut-on défendre efficacement des droits sans jamais utiliser les leviers juridiques disponibles ?

Source : auteur
https://www.faouzia-zebdi-ghorab.com/…

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