Par Jonathan Cook

Les entreprises et les planificateurs militaires américains se félicitent de la « marge de manœuvre légale » qu’Israël leur a ouverte pour tirer profit d’une guerre qui massacre et affame des civils.

Par Jonathan Cook, 21 juillet 2025

Traduction : lecridespeuples.substack.com

Le Financial Times a révélé ce mois-ci qu’une cabale d’investisseurs israéliens, l’un des plus grands groupes de conseil en affaires au monde et un groupe de réflexion dirigé par l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair avaient secrètement travaillé sur des plans visant à exploiter les ruines de Gaza comme un bien immobilier de tout premier ordre.

Le consortium secret semble avoir cherché des moyens pratiques de concrétiser la « vision » du président américain Donald Trump de Gaza comme « Riviera du Moyen-Orient » : transformer la petite enclave côtière en terrain de jeu pour les riches et en opportunité d’investissement alléchante, une fois qu’elle aura été nettoyée ethniquement de sa population palestinienne.

Parallèlement, le gouvernement britannique a déclaré que Palestine Action était une organisation terroriste – la première fois dans l’histoire du pays qu’un groupe de campagne d’action directe est interdit en vertu de la législation antiterroriste britannique, déjà draconienne.

Notamment, le gouvernement de Keir Starmer a pris cette décision après un lobbying d’Elbit Systems, fabricant d’armes israélien dont les usines au Royaume-Uni ont été la cible d’actions de perturbation par Palestine Action. Elbit fournit à Israël des drones tueurs et d’autres armes au cœur du génocide israélien à Gaza.

Voir Pourquoi risquer la prison pour la Palestine ?

Ces révélations ont émergé alors que la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, publiait un rapport – intitulé De l’économie de l’occupation à l’économie du génocide – mettant en lumière l’implication massive du Big Business dans les crimes commis par Israël à Gaza et les profits qu’elles en retirent.

Dans un entretien avec le journaliste américain Chris Hedges, Mme Albanese, experte en droit international, a conclu : « Le génocide à Gaza ne s’est pas arrêté parce qu’il est lucratif. Il est profitable pour beaucoup trop de monde. »

Mme Albanese énumère des dizaines de grandes entreprises occidentales profondément investies dans l’oppression par Israël du peuple palestinien.

Ce n’est pas un fait nouveau, comme elle le souligne. Depuis des années – voire des décennies – ces entreprises exploitent les opportunités commerciales qu’offre l’occupation violente par Israël des terres palestiniennes.

Le passage de l’occupation israélienne de Gaza au génocide actuel n’a pas menacé les profits ; il les a accrus. Ou, comme le formule Mme Albanese : « Les profits ont augmenté à mesure que l’économie de l’occupation se transformait en économie du génocide. »

Au cours des 21 derniers mois de massacre à Gaza, la rapporteuse spéciale est devenue une épine de plus en plus gênante pour Israël et ses parrains occidentaux.

C’est ce qui explique pourquoi Marco Rubio, secrétaire d’État de Donald Trump, a annoncé peu après la publication de son rapport qu’il imposait des sanctions à Mme Albanese pour ses efforts visant à mettre en lumière les crimes des responsables israéliens et américains.

Fait révélateur, il a qualifié ses déclarations – pourtant ancrées dans le droit international – de « guerre économique contre les États-Unis et Israël ». Mme Albanese et le système onusien des droits humains universels qui la soutient semblent représenter une menace pour les profits occidentaux.

Une fenêtre sur l’avenir

Israël agit de facto comme le plus grand incubateur d’entreprises au monde – mais pas seulement en encourageant les start-up.

Il offre plutôt aux multinationales la possibilité de tester et d’affiner de nouvelles armes, machines, technologies, procédés de collecte de données et d’automatisation dans les territoires occupés. Ces développements sont associés à l’oppression de masse, au contrôle, à la surveillance, à l’incarcération, au nettoyage ethnique – et désormais au génocide.

Dans un monde où les ressources se raréfient et où le chaos climatique s’aggrave, ces technologies innovantes d’asservissement sont susceptibles de trouver des applications domestiques en plus de leurs usages à l’étranger. Gaza est le laboratoire du monde des affaires – et une fenêtre ouverte sur notre propre avenir.

Dans son rapport de 60 pages, Mme Albanese écrit que ses recherches « révèlent comment l’occupation perpétuelle est devenue le terrain d’essai idéal pour les fabricants d’armes et les géants de la technologie… tandis que les investisseurs et les institutions privées et publiques en tirent librement profit ».

L’entreprise d’armement israélienne Rafael a illustré ce propos en diffusant une vidéo promotionnelle de son drone Spike FireFly, le montrant localiser, poursuivre et tuer un Palestinien dans ce qu’elle qualifie de « guerre urbaine » à Gaza.

https://twitter.com/trtworld/status/1944296104033448332

Comme le souligne la rapporteuse spéciale de l’ONU, indépendamment même de la question du génocide à Gaza, les entreprises occidentales ont, depuis l’été dernier, l’obligation légale et morale de rompre leurs liens avec le système d’occupation israélien.

C’est en effet à ce moment-là que la plus haute juridiction mondiale, la Cour internationale de justice, a jugé que l’occupation israélienne, vieille de plusieurs décennies, constituait une entreprise criminelle fondée sur l’apartheid et le transfert forcé – ou, selon l’expression de Mme Albanese, des politiques de « déplacement et de remplacement ».

Au lieu de cela, le secteur privé – tout comme les gouvernements occidentaux – continue de renforcer son implication dans les crimes d’Israël.

Les fabricants d’armes ne sont pas les seuls à tirer profit de la destruction génocidaire de Gaza et de l’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

Les grandes entreprises technologiques, les sociétés de construction et de matériaux, l’agro-industrie, l’industrie du tourisme, le secteur des biens et services et les chaînes d’approvisionnement se sont également engagés dans cette opération.

Et tout cela est facilité par un secteur financier – qui comprend des banques, des fonds de pension, des universités, des compagnies d’assurance et des organisations caritatives – désireux de continuer à investir dans cette architecture de l’oppression.

Albanese décrit la mosaïque d’entreprises partenaires d’Israël comme « un écosystème qui entretient cette illégalité ».

Échapper à la surveillance

Pour ces entreprises et leurs soutiens, le droit international – le système juridique que Mme Albanese et ses collègues rapporteurs des Nations unies sont chargés de faire respecter – constitue un obstacle à la recherche du profit.

Mme Albanese note que le secteur des affaires peut échapper à l’examen en se retranchant derrière d’autres acteurs.

Israël et ses hauts responsables sont déjà avertis qu’ils commettent un génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

Lorsqu’elle a écrit à 48 entreprises pour les avertir qu’elles étaient complices de cette criminalité, elles ont répondu soit qu’il s’agissait de la responsabilité d’Israël et non de la leur, soit qu’il appartenait aux États, et non au droit international, de réglementer leurs activités commerciales.

Les entreprises, souligne Albanese, peuvent réaliser leurs plus gros profits dans les « zones grises de la loi » – des lois qu’elles ont contribué à façonner.

Les avions F-35 de Lockheed Martin, dont le « mode bestial » a été mis en vitrine par Israël lors de la destruction de Gaza, dépendent d’environ 1 600 autres entreprises spécialisées opérant dans huit États distincts, dont la Grande-Bretagne.

À la fin du mois dernier, la Haute Cour britannique, tout en admettant que les composants fabriqués au Royaume-Uni et utilisés dans le F-35 étaient susceptibles de contribuer à des crimes de guerre à Gaza, a jugé qu’il appartenait au gouvernement de M. Starmer de prendre des décisions « extrêmement sensibles et politiques » concernant l’exportation de ces pièces.

Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, a pour sa part déclaré devant une commission parlementaire qu’il n’appartenait pas au gouvernement de déterminer si Israël commettait des crimes de guerre à Gaza en utilisant des armes britanniques, mais qu’il s’agissait d’« une décision relevant du tribunal ».

Lockheed Martin s’est joint à ce renvoi de responsabilité. Un porte-parole a déclaré : « Les ventes militaires à l’étranger sont des transactions de gouvernement à gouvernement. C’est le gouvernement américain qui est le mieux placé pour discuter de ces ventes. »

Collusion des grandes entreprises technologiques

Mme Albanese pointe également du doigt les grandes entreprises technologiques qui s’intègrent rapidement et profondément dans l’occupation illégale d’Israël, notamment en acquérant des start-up israéliennes qui exploitent l’expertise acquise grâce à l’oppression des Palestiniens.

Le groupe NSO a développé le logiciel espion pour téléphone Pegasus, aujourd’hui utilisé pour surveiller des politiciens, des journalistes et des militants des droits de l’homme dans le monde entier.

L’année dernière, l’administration Biden a signé un contrat avec une autre société israélienne spécialisée dans les logiciels espions, Paragon. Découvrira-t-on un jour que les États-Unis ont utilisé exactement ce type de technologie pour espionner Mme Albanese et d’autres experts en droit international, sous prétexte qu’ils menaient une soi-disant « guerre économique » ?

IBM forme le personnel militaire et de renseignement israélien et joue un rôle central dans la collecte et le stockage des données biométriques sur les Palestiniens. Hewlett Packard Enterprises fournit des technologies au régime d’occupation, à l’administration pénitentiaire et à la police israéliens.

Microsoft a développé en Israël son plus grand centre en dehors des États-Unis, à partir duquel il a conçu des systèmes destinés à l’armée israélienne, tandis que Google et Amazon ont conclu un contrat de 1,2 milliard de dollars pour lui fournir une infrastructure technologique.

La prestigieuse université de recherche MIT (Massachusetts Institute of Technology) a collaboré avec Israël et des entreprises comme Elbit pour développer des systèmes d’armes automatisés pour drones et perfectionner leurs formations en essaim.

Palantir, qui fournit à l’armée israélienne des plateformes d’intelligence artificielle, a annoncé en janvier 2024, au début du massacre israélien à Gaza, un partenariat stratégique renforcé, sur ce que l’agence Bloomberg a qualifié de « technologie de combat ».

Au cours des 21 derniers mois, Israël a introduit de nouveaux programmes automatisés pilotés par l’IA – tels que Lavender, Gospel et Where’s Daddy? – pour sélectionner un grand nombre de cibles dans la bande de Gaza, avec peu ou pas de supervision humaine.

Selon Mme Albanese, il s’agit là du « côté obscur de la nation start-up, si profondément enracinée, si intimement liée aux objectifs et aux gains de l’industrie militaire ».

Il n’est pas surprenant que les entreprises technologiques recourent à des calomnies bien connues à l’encontre de la rapporteuse spéciale et de l’ONU pour avoir levé le voile sur leurs activités. Le Washington Post a rapporté que, dans le sillage du rapport Albanese, le cofondateur de Google, Sergey Brin, a accusé les Nations unies d’être « antisémites de manière transparente » lors d’une discussion sur un forum interne du personnel.

Camp de concentration

Le rapport d’Albanese comporte une longue liste d’autres noms bien connus : Caterpillar, Volvo et Hyundai sont accusés d’avoir fourni des engins lourds pour détruire des maisons, des mosquées et des infrastructures à Gaza et en Cisjordanie.

Des banques de premier plan, telles que BNP Paribas et Barclays, ont souscrit des bons du Trésor afin de renforcer la confiance du marché à l’égard d’Israël durant le génocide et de maintenir ses taux d’intérêt favorables.

BP, Chevron et d’autres entreprises du secteur de l’énergie tirent profit des gisements de gaz existants en Méditerranée orientale et des gazoducs qui traversent les eaux maritimes palestiniennes au large de Gaza. Israël a délivré des licences d’exploration pour le champ gazier non exploité de Gaza, situé au large, peu après avoir lancé son massacre génocidaire.

Le dernier projet d’Israël visant à créer, selon ses propres termes, un camp de « concentration » à l’intérieur de Gaza – où les civils palestiniens seraient étroitement confinés sous garde armée – reposera sans aucun doute sur des partenariats commerciaux similaires à ceux qui ont donné naissance aux faux « centres de distribution d’aide » qu’Israël a déjà imposés à la population de l’enclave.

Des soldats israéliens ont témoigné avoir reçu l’ordre de tirer sur des foules de Palestiniens affamés faisant la queue pour obtenir de la nourriture dans ces centres – ce qui explique pourquoi, des semaines durant, des dizaines de Palestiniens ont été tués chaque jour.

Ces centres, gérés par la Fondation humanitaire de Gaza, au nom trompeur, sont en partie l’œuvre intellectuelle du Boston Consulting Group, le même cabinet de conseil en gestion que l’on a surpris ce mois-ci en train de comploter pour transformer Gaza en une « Riviera du Moyen-Orient » expurgée de tout Palestinien, selon la vision de Trump.

Le camp de concentration qu’Israël prévoit d’ériger sur les ruines de la ville de Rafah – et qui sera, là encore, désigné de manière trompeuse comme une « zone humanitaire » – exigera que toute personne y entrant soit soumise à un « contrôle de sécurité », à l’aide de données biométriques, avant d’être incarcérée.

Il ne fait guère de doute que d’autres sous-traitants, recourant à des systèmes largement automatisés, contrôleront l’intérieur du camp jusqu’à ce que, selon les termes du gouvernement israélien, « un plan d’émigration » puisse être mis en œuvre pour expulser la population de Gaza.

Mme Albanese rappelle les nombreux précédents où des entreprises privées ont été à l’origine de certains des crimes les plus atroces de l’histoire, de l’esclavage à l’Holocauste.

Elle exhorte les avocats et les acteurs de la société civile à engager des actions judiciaires contre ces entreprises dans les pays où elles sont enregistrées. Dans la mesure du possible, les consommateurs devraient exercer toute la pression dont ils disposent en boycottant ces sociétés.

Elle conclut en recommandant aux États d’imposer des sanctions et un embargo sur les armes à Israël.

En outre, elle demande à la Cour pénale internationale assiégée – dont quatre juges, comme elle, sont sous sanctions américaines – ainsi qu’aux juridictions nationales « d’enquêter et de poursuivre les dirigeants d’entreprises et/ou les entités corporatives pour leur rôle dans la commission de crimes internationaux et le blanchiment des produits de ces crimes ».

Une culture psychopathique

Tout cela est essentiel pour comprendre pourquoi les capitales occidentales continuent de s’associer au massacre perpétré par Israël, alors même que les spécialistes de l’Holocauste et du génocide – dont beaucoup sont israéliens – ont établi un consensus clair : les actes d’Israël constituent un génocide.

Dans des pays occidentaux comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, les partis au pouvoir dépendent largement des grandes entreprises, à la fois pour remporter les élections et, une fois au pouvoir, pour maintenir leur popularité en promouvant la « stabilité économique ».

Keir Starmer est parvenu au pouvoir au Royaume-Uni après avoir rejeté le modèle de financement populaire et participatif de son prédécesseur, Jeremy Corbyn, et avoir, en lieu et place, courtisé le secteur des entreprises en lui promettant que le parti serait dans sa poche.

Ses assurances ont également été déterminantes pour que les médias détenus par des milliardaires – qui s’étaient acharnés contre Corbyn, le qualifiant sans relâche d’« antisémite » en raison de ses positions socialistes démocratiques et pro-palestiniennes – facilitent la voie de Starmer vers Downing Street.

Au sujet de Jeremy Corbyn, lire Norman Finkelstein dénonce l’imposture de l’antisémitisme 

Aux États-Unis, les milliardaires ont même placé l’un des leurs au pouvoir, en la personne de Donald Trump. Mais même sa campagne a dépendu de financements provenant de grands donateurs tels que Miriam Adelson, veuve israélienne du magnat des casinos Sheldon Adelson.

Adelson fait partie des principaux donateurs, qui financent les deux grands partis, et qui ne cachent pas que leur priorité politique numéro un est Israël.

Une fois au pouvoir, les partis sont alors, de fait, tenus en otage par les grandes entreprises sur de vastes pans de la politique intérieure et étrangère.

Le secteur financier a dû être renfloué par les contribuables – et l’est toujours par le biais de mesures dites « d’austérité » – après que ses excès inconsidérés ont provoqué l’effondrement de l’économie mondiale à la fin des années 2000. Les gouvernements occidentaux ont estimé que les banques étaient « trop grosses pour faire faillite ».

De même, Israël – la plus grande pépinière au monde pour les industries de l’armement et de la surveillance – est tout simplement trop important pour qu’on le laisse tomber lui aussi. Même lorsqu’il commet un génocide.

Les critiques de l’essor des entreprises mondialisées au cours du dernier demi-siècle, tels que le linguiste renommé Noam Chomsky et le professeur de droit Joel Bakan, relèvent depuis longtemps les traits intrinsèquement psychopathiques de la culture d’entreprise.

Les entreprises ont l’obligation légale de rechercher le profit et de faire passer la valeur actionnariale avant toute autre considération. Les restrictions à leur liberté d’action sont quasiment inexistantes après les vagues de déréglementation imposées par des gouvernements occidentaux corrompus.

Bakan observe que les entreprises sont indifférentes à la souffrance ou à la sécurité d’autrui. Elles sont incapables d’entretenir des relations durables. Elles n’ont aucun sentiment de culpabilité ni aucune capacité de retenue. Et elles mentent, trichent et trompent pour maximiser leurs profits.

Ces tendances psychopathiques se sont manifestées dans scandale après scandale, qu’il s’agisse de l’industrie du tabac et de la banque, ou encore des sociétés pharmaceutiques et énergétiques.

Pourquoi les grandes entreprises se comporteraient-elles mieux lorsqu’il s’agit de tirer profit du génocide de Gaza ?

Bakan répond à ceux qui confondent son propos avec une théorie du complot. Les comportements psychopathiques des entreprises ne sont que le reflet des impératifs légaux qui s’imposent à elles en tant qu’institutions – ce qu’il appelle leur « dynamique logique » – pour maximiser leurs profits et écarter leurs rivaux, quelles qu’en soient les conséquences pour la société dans son ensemble, les générations futures ou la planète.

S’engraisser sur le génocide

Les enjeux de Gaza sont importants pour les gouvernements occidentaux précisément parce qu’ils le sont aussi pour le monde des affaires qui s’engraisse sur le génocide israélien.

Gouvernements et entreprises ont un intérêt commun considérable à protéger Israël de tout examen et de toute critique : il sert de chien d’attaque colonial au Moyen-Orient riche en pétrole, et de vache à lait pour les industries de l’armement, de la surveillance et de l’incarcération.

Cela explique pourquoi Trump et Starmer, d’un côté, et les administrations universitaires, de l’autre, ont investi tant de capital politique et moral pour écraser les espaces – en particulier dans les universités – où la liberté d’expression et la protestation sont censées être les plus protégées.

Les universités sont loin d’être une partie désintéressée. Avant que leurs campements sur les campus ne soient détruits par la police, les étudiants manifestants avaient cherché à mettre en lumière à quel point les universités sont lourdement impliquées dans l’économie de l’occupation et du génocide, à la fois financièrement et par le biais de partenariats de recherche avec l’armée et les universités israéliennes.

La nécessité de mettre Israël à l’abri de tout examen explique aussi la rapidité avec laquelle l’Occident attribue à « l’antisémitisme » toute tentative de demander des comptes à Israël ou à son armée génocidaire.

L’ampleur du désespoir des gouvernements est apparue ce mois-ci lorsque les autorités britanniques et les médias dominants ont déclenché une tempête d’indignation après qu’un groupe punk, à Glastonbury, a scandé : « Mort, mort à Tsahal ! » – une référence à l’armée génocidaire d’Israël.

Et comme le pouvoir de l’accusation d’antisémitisme s’est affaibli à force d’être galvaudé, les capitales occidentales réécrivent désormais leurs lois pour qualifier de « terrorisme » toute tentative de gripper les rouages de l’économie du génocide, par exemple en sabotant des usines d’armement.

La morale et le droit international sont jetés aux quatre vents pour que la plus importante retombée coloniale de l’Occident reste une source de profit.

Business as usual

L’indispensabilité d’Israël pour le secteur des entreprises et pour une classe politique occidentale captive dépasse de loin la minuscule bande de Gaza. Israël joue un rôle de premier plan comme incubateur d’industries de guerre sur un champ de bataille mondial où l’Occident entend maintenir sa primauté militaire et économique sur la Chine.

Le mois dernier, l’élite mondiale des affaires – composée de milliardaires de la tech et de capitaines d’industrie, rejointe par des dirigeants politiques, des rédacteurs en chef de médias et des responsables militaires et du renseignement – s’est réunie une fois de plus lors du sommet Bilderberg, discret et peu médiatisé, qui s’est tenu cette année à Stockholm.

On y retrouvait notamment les PDG de grands fournisseurs de « défense » et fabricants d’armes tels que Palantir, Thales, Helsing, Anduril et Saab.

La guerre des drones – utilisée de manière innovante par des clients militaires clés comme Israël et l’Ukraine – figurait en bonne place à l’ordre du jour. L’intégration accrue de l’IA dans les drones semble avoir constitué l’un des axes majeurs des discussions.

Cette année, comme ces dernières années, le sous-texte était une supposée menace croissante de la Chine et d’un « axe autoritaire » associé comprenant la Russie, l’Iran et la Corée du Nord. Cette menace est perçue principalement en termes économiques et technologiques.

En mai, Eric Schmidt, ancien dirigeant de Google et membre du conseil d’administration du Bilderberg, écrivait avec une grande inquiétude dans le New York Times : « La Chine est à parité ou dépasse les États-Unis dans un certain nombre de technologies, notamment à la frontière de l’intelligence artificielle. »

Il ajoutait que l’Occident est engagé dans une course contre la Chine pour le développement imminent d’une IA super-intelligente, qui donnerait au vainqueur « les clés pour contrôler le monde entier ».

Schmidt, comme d’autres habitués du Bilderberg, prédit que les besoins énergétiques démesurés de cette super-intelligence conduiront à des guerres énergétiques de plus en plus intenses pour que l’Occident reste le numéro un.

Comme le résumait un article du Guardian sur la conférence : « Dans cette course désespérée où le vainqueur remporte tout pour obtenir les clés du monde, et où la “géopolitique de l’énergie” prend une importance croissante, les centrales électriques – ainsi que les centres de données qu’elles alimentent – vont devenir la cible militaire numéro un. »

Le massacre de Gaza par Israël est considéré comme jouant un rôle crucial dans l’ouverture du « paysage des batailles ».

Les mêmes entreprises qui tirent profit du génocide de Gaza s’attendent à bénéficier de l’environnement plus permissif – sur le plan juridique et militaire – qu’Israël crée pour les guerres à venir, où les civils massacrés ne comptent que comme des « morts accidentelles ».

Un article paru en avril dans le magazine New Yorker exposait le défi auquel sont confrontés les planificateurs militaires américains, qui s’estiment entravés depuis les années 1980 par la montée en puissance d’une communauté de défense des droits de l’homme ayant développé une expertise en droit de la guerre indépendamment des interprétations intéressées du Pentagone.

Les généraux américains regrettent qu’il en soit résulté une « aversion générale pour le risque de dommages collatéraux », autrement dit, pour le fait de tuer des civils.

Les planificateurs militaires du Pentagone veulent utiliser le massacre de Gaza comme précédent pour leur propre violence génocidaire, destinée à soumettre de futurs rivaux économiques tels que la Chine et la Russie, qui menacent la doctrine officielle des États-Unis de « domination mondiale à spectre complet ».

Le New Yorker explique ce raisonnement : « Gaza ne ressemble pas seulement à une répétition générale du type de combat auquel les soldats américains pourraient être confrontés. C’est un test de la tolérance du public américain face aux niveaux de mort et de destruction qu’impliquent de tels types de guerre. »

Selon le magazine, la violence génocidaire déclenchée par Israël ouvre « l’espace de manœuvre juridique » – l’espace nécessaire pour commettre des crimes contre l’humanité au vu et au su de tous.

C’est de là que vient en grande partie l’impulsion des capitales occidentales pour normaliser le génocide – le présenter comme une affaire courante – et diaboliser ses opposants.

Les fabricants d’armes et les entreprises technologiques dont les coffres ont été gonflés à bloc par le génocide israélien à Gaza sont susceptibles d’amasser des profits bien plus considérables encore grâce à une guerre tout aussi dévastatrice contre la Chine.

Quel que soit le scénario qu’on nous vend, la bataille à venir n’aura rien de moral ou d’existentiel. Comme toujours, il s’agira de riches avides de s’enrichir toujours davantage.

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Source : Le Cri des Peuples
https://lecridespeuples.fr/…

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