De la fumée s’élève après une explosion déclenchée par l’armée israélienne dans le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie, le 2 février 2025. [AP Photo/Majdi Mohammed]
Par Jean Shaoul
Alors que les États européens ont annoncé qu’ils pourraient reconnaître un État palestinien dans un effort cynique pour apaiser la révulsion populaire croissante face au génocide de Gaza, le gouvernement fasciste du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a déjà assuré l’impossibilité d’établir un tel État.
Après près de deux ans de guerre, Gaza est en ruines, sa population meurt de faim et Israël se prépare à l’invasion et à l’annexion. On parle moins de l’annexion de la Cisjordanie, occupée illégalement avec Jérusalem-Est, Gaza et le plateau du Golan syrien depuis la guerre israélo-arabe de 1967, qui est presque achevée.
Netanyahou et son parti Likoud, descendant politique du Parti révisionniste de Jabotinsky qui avait insisté sur le droit juif à la souveraineté sur l’ensemble de la «Terre d’Israël», y compris la Palestine mandataire et la Transjordanie (aujourd’hui la Jordanie), se sont opposés aux accords d’Oslo de 1993 qui étaient censés inaugurer un État palestinien bifurqué aux côtés d’Israël.
Attachés à la politique du «Grand Israël», lui et ses coreligionnaires ont soutenu l’occupation israélienne de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza, ainsi que l’expansion des colonies sionistes. En octobre 1995, il prit la parole lors de rassemblements de droite réclamant la tête du Premier ministre Yitzhak Rabin, l’un des signataires des accords. Quelques semaines plus tard, Rabin fut assassiné. Durant son premier mandat de Premier ministre (1996-1999), Netanyahou a entravé les négociations engagées par le gouvernement précédant et a retardé ou refusé de mettre en œuvre les dispositions des accords signés.
Une dizaine d’années plus tard, Netanyahou s’opposa à la loi de désengagement du Premier ministre Ariel Sharon autorisant le retrait de Gaza en 2005 et démissionna de son cabinet. Sharon avait calculé que Gaza serait plus facile à contrôler sans la présence des colonies. Ce retrait fut extrêmement impopulaire auprès des ultranationalistes et alimenta la montée du mouvement d’extrême droite des colons israéliens.
Suite à la victoire surprise du Hamas aux élections palestiniennes de janvier 2006, en raison de l’hostilité envers le Fatah et le rôle de l’Autorité palestinienne (AP) en tant que sous-traitant d’Israël, et à une tentative de coup d’État du Fatah en mai 2006, le Hamas a pris le contrôle de Gaza.
Sous couvert de traiter le Hamas d’organisation terroriste, Israël imposa un blocus à l’enclave, transformant Gaza en prison à ciel ouvert. Il a régulièrement «tondu l’herbe» pour réprimer les Palestiniens par des invasions terrestres massives et des campagnes de bombardements qui ont fait des dizaines de milliers de morts.
Le soutien de Netanyahou au Hamas comme contrepoids à l’Autorité palestinienne
Netanyahou, Premier ministre pendant la quasi-totalité de la période depuis 2009, a tout fait pour saboter toute possibilité de création d’un mini-État palestinien, notamment en exacerbant les tensions entre l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas, basée en Cisjordanie, et le Hamas à Gaza. En 2012, il avait déclaré au journaliste israélien Dan Margalit qu’il était important de préserver la force du Hamas, car il servait de contrepoids à l’Autorité palestinienne.
Il s’est tourné vers le Qatar pour financer les opérations du Hamas à Gaza, dans le cadre de sa stratégie d’«achat du silence», l’État pétrolier envoyant 30 millions de dollars par mois pour aider à faire fonctionner la centrale électrique de Gaza, fournir des prestations sociales et soutenir le gouvernement.
Le Jerusalem Post citait ainsi Netanyahou en 2019: «Quiconque est contre un État palestinien devrait être favorable au transfert des fonds vers Gaza, car maintenir une séparation entre l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et le Hamas à Gaza contribue à empêcher la création d’un État palestinien.» Il a offert aux Palestiniens de Gaza des permis de travail journaliers pour travailler en Israël, où les salaires étaient plus élevés, portant leur nombre à 20 000 par jour en 2023, contre 3 000 en 2021.
En décembre 2023, lors d’une conférence de presse, il s’est vanté: «Je suis fier d’avoir empêché la création d’un État palestinien.» Il a ajouté: « ous et vos amis journalistes me reprochez depuis près de 30 ans d’avoir freiné les accords d’Oslo et d’avoir empêché la création d’un État palestinien. C’est vrai.»
Il refuse de voir ni le Hamas, ni l’Autorité palestinienne au pouvoir à Gaza après la guerre, affirmant que l’un ou l’autre scénario serait «une récompense» pour le 7 octobre.
Netanyahou se tourne vers les forces fascistes pour contrôler la Cisjordanie
Depuis son retour au pouvoir en décembre 2022 avec l’aide du Parti sioniste religieux ultranationaliste et du Pouvoir juif théocratique, après une période de 18 mois dans l’opposition, Netanyahou a pratiquement achevé le processus d’annexion de la Cisjordanie.
Netanyahou a confié au chef du sionisme religieux Bezalel Smotrich le ministère des Finances et le contrôle de l’Administration des colonies au sein du ministère de la Défense, ce qui lui confère de facto le contrôle de la Cisjordanie. Itamar Ben-Gvir, chef du Pouvoir juif, s’est vu confier le ministère de l’Intérieur.

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, à droite, s’entretient avec le ministre des Finances Bezalel Smotrich lors de la réunion hebdomadaire du cabinet au ministère de la Défense à Tel Aviv, en Israël, le 7 janvier 2024. [AP Photo/Ronen Zvulun]
Le gouvernement a légalisé rétroactivement dix avant-postes et a autorisé les colons à retourner sur des terres palestiniennes privées dans le nord de la Cisjordanie, interdites par la loi de désengagement de 2005. Il a pris le contrôle de sites archéologiques dans toute la Cisjordanie et a alloué des fonds pour transformer Sebastia en une attraction touristique biblique, chargeant les colons de préserver le patrimoine et leur donnant une nouvelle source de revenus.
Smotrich a alloué près d’un milliard de dollars aux infrastructures routières, dont une autoroute séparée, baptisée «route de l’apartheid», qui détourne les véhicules palestiniens des principales zones de colonisation. Il a également débloqué 70 millions de dollars pour les avant-postes illégaux en Cisjordanie et élaboré des plans pour une zone industrielle et l’expansion des colonies. Il a approuvé le plus grand nombre de logements en Cisjordanie depuis 1993, tout en gelant 80 millions de dollars pour les municipalités arabes en Israël et les fonds destinés aux programmes d’éducation à Jérusalem-Est.
L’annexion de la Cisjordanie sous couvert du génocide de Gaza
Le gouvernement a saisi l’occasion offerte par l’attaque palestinienne du 7 octobre 2023, résultat de multiples provocations d’Israël, pour mener une guerre totale contre les Palestiniens au nom de la crise «existentielle» et de la «sécurité nationale» d’Israël.
Smotrich a cherché à assimiler l’Autorité palestinienne d’Abbas en Cisjordanie au Hamas. Il a jugé «hostile» la quasi-totalité des activités de l’AP afin de justifier la retenue des recettes fiscales dont dépendait l’AP, l’imposition de sanctions et l’extension des pouvoirs d’exécution d’Israël au-delà de la zone C. Alors que les accords d’Oslo désignaient la zone C (60 pour cent de la Cisjordanie où vivent environ 200 000 personnes, soit moins de 10 pour cent des Palestiniens) comme étant sous contrôle militaire israélien total, la zone A (18 pour cent) serait sous contrôle palestinien total et la zone B (22 pour cent) sous contrôle conjoint israélien et palestinien.
Smotrich a déclaré: «Nous devons comprendre qu’il n’y a pas de grande différence entre le Hamas et l’Autorité palestinienne. Les Arabes sont les mêmes Arabes, et le territoire est le même. La mer dans laquelle ils veulent nous jeter est la même.»
Tout en réduisant les dépenses publiques pour canaliser l’argent vers la guerre, Smotrich a mis à disposition 105 millions de dollars supplémentaires pour les colonies de Cisjordanie à des fins de «sécurité», 20 millions de dollars pour aller directement aux avant-postes illégaux et a initié une législation leur accordant des revenus supplémentaires.
Les groupes de milices armés de Ben-Gvir et les gangs de colons violents sont devenus, de facto, un autre bras de l’État, menant des attaques quotidiennes contre les Palestiniens pour les chasser de leurs terres, avec la pleine protection, voire le soutien actif des Forces de défense israéliennes (FDI).
Les Nations Unies ont recensé plus de 1 400 attaques de colons contre des communautés palestiniennes depuis octobre 2023 et 76 millions de dollars de dégâts agricoles directs au cours de la première année de guerre. Selon l’ONG israélienne Peace Now, on compte désormais 134 avant-postes illégaux et 136 fermes de colons sur des terres palestiniennes en Cisjordanie.
Last week, Defence Minister Israel Katz confirmed that the government had approved the construction of 22 new West Bank settlements including new communities, and the legalisation of several outposts, a move he said was aimed at “preventing the establishment of a Palestinian state that would endanger Israel”. This is in addition to the 450,000 settlers in the West Bank, 220,000 in East Jerusalem and a further 100,000+ on Palestinian land on the Israeli side of Sharon’s infamous Separation Barrier. Smotrich hailed the announcement, saying “The next step — sovereignty!”
La semaine dernière, le ministre de la Défense, Israël Katz, a confirmé que le gouvernement avait approuvé la construction de 22 nouvelles colonies en Cisjordanie, dont de nouveaux quartiers, et la légalisation de plusieurs avant-postes. Cette mesure, selon lui, vise à «empêcher la création d’un État palestinien qui mettrait Israël en danger». À cela s’ajoutent les 450 000 colons en Cisjordanie, les 220 000 à Jérusalem-Est et plus de 100 000 autres sur les terres palestiniennes du côté israélien de la tristement célèbre barrière de séparation de Sharon. Smotrich a salué l’annonce, déclarant: «La prochaine étape — souveraineté!»

Des manifestants palestiniens fuient les gaz lacrymogènes tirés par les troupes israéliennes lors d’une manifestation contre les colonies israéliennes, dans le village de Deir Jarir, en Cisjordanie, au nord de Ramallah, le vendredi 1er janvier 2021.
Le gouvernement a empêché 150 000 Palestiniens (22 pour cent de la main-d’œuvre palestinienne) de travailler dans des établissements israéliens, principalement dans le bâtiment et l’agriculture en Israël, dans les colonies et les zones industrielles. L’armée israélienne a érigé des centaines de barrages routiers entraînant des retards de plusieurs heures, mené des campagnes massives de perquisitions et d’arrestations, démoli 1 400 maisons et déplacé au moins 42 000 Palestiniens des camps de réfugiés des villes de Tulkarem et de Jénine. Selon les chiffres du gouvernement palestinien, au moins 1 012 Palestiniens ont été tués, dont au moins 196 enfants, et près de 7 000 blessés en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est occupée, par les colons et l’armée depuis le début de la guerre contre Gaza.
Les conséquences économiques ont été dévastatrices. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, les pertes totales dans le secteur du commerce et de l’industrie en Cisjordanie sont estimées à 1,3 milliard de dollars. Le chômage a atteint 35 pour cent en 2024.
Selon le récent rapport de l’ONG de lutte contre la pauvreté World Vision, The Unseen Crisis (La crise cachée), 74 pour cent des familles vivent désormais en dessous du niveau de vie minimum, contre 21 pour cent il y a seulement un an ; 70 pour cent des enfants sautent fréquemment des repas et 9 pour cent ont abandonné l’école. Depuis 2022, le nombre de familles déclarant qu’un membre de leur famille a passé une journée entière sans manger a augmenté de 950 pour cent.
Ces conditions ont contraint certains à chercher du travail illégalement dans les colonies, avec tous les risques de surexploitation et d’arrestation. Ben-Gvir a ordonné aux prisons de réduire les rations alimentaires distribuées aux Palestiniens dans les prisons israéliennes et d’aggraver leurs conditions de détention. Plus de 10 000 Palestiniens sont détenus en Israël, dont environ 3 600 sans inculpation ni procès.
Smotrich a lancé une série de nouvelles réglementations et soumis des projets de loi à l’approbation de la Knesset. Parmi celles-ci figurent: la reclassification de toute terre non enregistrée en Cisjordanie comme appartenant à l’État israélien, permettant à Israël de revendiquer de vastes étendues de terres palestiniennes tout en annulant l’enregistrement des Palestiniens; l’application du droit civil israélien à la Cisjordanie, dissolvant de fait les frontières internationalement reconnues d’Israël; l’achat direct de terres par des colons à des Palestiniens sans autorisation militaire; l’extension des limites de la ville de Jérusalem pour inclure les colonies environnantes en Israël; et la désignation officielle de la Cisjordanie comme Judée-Samarie.
En pratique, la Cisjordanie est sous contrôle israélien total. Une annexion qui ne porte pas son nom.
Abbas et l’Autorité palestinienne
Rien de tout cela n’aurait pu se produire sans la complicité d’Abbas et de l’Autorité palestinienne, qui dispose de la plus importante force de police au monde par habitant. Au lieu de l’utiliser pour soutenir les Palestiniens contre les colons violents et les incursions militaires israéliennes, l’Autorité palestinienne a réprimé toute expression d’opposition à Israël.
Abbas a rejeté l’incursion du 7 octobre, affirmant que «la politique et les actions du Hamas ne représentent pas le peuple palestinien». Il est ensuite revenu sur sa déclaration, mais ses attaques contre le Hamas se sont poursuivies.

Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, avec le Premier ministre britannique, Keir Starmer, à New York, le 25 septembre 2024 [Photo by OGL 3/Number 10]
En janvier, lors de l’annonce de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, Abbas a déclaré que l’AP était prête à assumer «l’entière responsabilité» de la reconstruction de Gaza après la guerre. Selon le plan égyptien de 58 milliards de dollars, la reconstruction de Gaza se ferait en laissant les Palestiniens dans l’enclave en ruines, contrairement à la «Riviera du Moyen-Orient» du président américain Donald Trump, fondée sur l’expulsion des Palestiniens et sous la gestion «technocratique» de l’Autorité palestinienne.
Abbas a fustigé le Hamas, le qualifiant de «fils de chien» dans un discours furieux dans lequel il a exigé que le groupe libère les otages restants, désarme et cède le contrôle de Gaza afin de mettre fin à la guerre avec Israël.
C’est dans ce contexte que des milliers de Palestiniens sont descendus dans la rue pour la première fois la semaine dernière, dans une action coordonnée à travers la Cisjordanie contre la guerre à Gaza et en soutien aux Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. L’une des plus grandes marches s’est déroulée à Ramallah. Les manifestants brandissaient des photos de Palestiniens tués ou emprisonnés par Israël, ainsi que des photos montrant la famine à Gaza. La colère générale était telle que l’Autorité palestinienne a été contrainte d’accorder un jour de congé aux fonctionnaires pour participer aux manifestations.
(Article paru en anglais le 5 août 2025)
Source : WSWS
https://www.wsws.org/fr/…
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