Les ruines de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, en janvier. Crédit : Mohammed Salem/Reuters
Par Gideon Levy
Posted on | Gideon Levy | Haaretz | Traduction SF pour l’AURDIP
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Si Mordechaï Anielewicz était vivant aujourd’hui, il serait mort. Le dirigeant de l’Organisation Juive de Combat du soulèvement du ghetto de Varsovie serait mort de honte et de déshonneur en entendant les projets du ministre de la défense – pleinement soutenus par le premier ministre – de construction d’une « cité humanitaire » dans le sud de la bande de Gaza. Anielewicz n’aurait jamais cru que quelqu’un oserait concevoir un plan aussi diabolique 80 ans après l’holocauste.
En entendant que ce plan était envisagé par le gouvernement de l’État juif qui a été établi à partir des sacrifices de son ghetto , il aurait été dévasté. Une fois qu’il aurait clairement compris qu’Israël Katz, l’homme à l’origine de cette idée, était le fils de survivants de l’holocauste, Meïr Katz et Malcha (Nira) née Deutsch, originaires de la région de Maramures en Roumanie, qui ont perdu la plupart de leur famille dans les camps d’extermination, il ne l’aurait jamais cru. Qu’auraient-ils à dire à leur fils ?
Quand Anielewicz aurait été conscient de l’apathie et de l’inaction entraînées par ce plan en Israël et, dans une certaine mesure dans le monde, notamment en Europe, même en Allemagne, il serait mort une deuxième fois, cette fois le cœur brisé.
L’État juif construit un ghetto . Quelle phrase horrible. Il est déjà assez funeste que le plan ait été présenté comme s’il pouvait être d’une manière ou d’une autre légitime – qui est pour un camp de concentration et qui est contre ?- mais à partir de là, le chemin peut être raccourci vers une idée encore plus horrible : quelqu’un pourrait suggérer ensuite un camp d’extermination pour ceux qui ne sont pas admis par le contrôle à l’entrée du ghetto. Israël tue les habitants de Gaza de façon massive de toute façon, donc pourquoi ne pas rationaliser le processus et épargner la vie de nos précieux soldats ? Quelqu’un pourrait aussi suggérer un crématorium compact sur les ruines de Khan Younis, où l’on pourrait être admis, comme dans le ghetto proche de Rafah, sur une base purement volontaire. Volontaire, bien sûr, comme dans la « cité humanitaire ». Seule la sortie des deux camps ne serait plus volontaire. C’est ce que le ministre a proposé.
La nature du génocide est qu’il ne naît pas du jour au lendemain. On ne se réveille pas un matin et aller de la démocratie à Auschwitz, de l’administration civile à la Gestapo. Le processus est graduel. Après la phase de déshumanisation – que les Juifs d’Allemagne et les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie ont chacun vécu en leur temps – on va vers la diabolisation, comme les deux pays l’ont aussi expérimenté. Puis vient la phase de peur – il n’y a pas d’innocents dans la bande de Gaza, le 7 octobre comme menace existentielle pour Israël qui pourrait se concrétiser à tout moment. Après quoi viennent les appels à évacuer la population avant que qui que ce soit ne lance l’idée d’extermination.
Nous en sommes maintenant à la troisième phase, la dernière avant le génocide . L’Allemagne transférait ses Juifs vers l’Est ; le génocide américain a aussi commencé par de la déportation qui était alors appelée « évacuation ». Aujourd’hui nous parlons d’une évacuation au sud de Gaza.
Pendant des années, j’ai évité de faire des comparaisons avec l’holocauste. Toute comparaison de ce genre risquait d’échapper à la vérité et de nuire à la cause de la justice. Israël n’a jamais été un État nazi et, ce fait une fois établi, il s’ensuit que s’il n’est pas un État nazi, il doit être un État moral. Aucun besoin de se référer à l’holocauste pour être choqué. On peut être choqué pour bien moins, par exemple par le comportement d’Israël dans la bande de Gaza.
Mais rien ne nous a préparés à l’idée d’une « cité humanitaire ». Israël n’a plus aucun droit moral d’utiliser le mot « humanitaire ». Quiconque a fait de la bande de Gaza ce qu’elle est – un cimetière de masse et un désert de ruines – et qui la traite imperturbablement a perdu tout lien avec l’humanité. Quiconque ne voit que la souffrance des otages israéliens dans la bande de Gaza, manque de voir que toutes les six heures les Forces de Défense Israéliennes tuent autant de Palestiniens que le nombre d’otages encore vivants, a perdu son humanité.
Si 21 mois à voir la mort de bébés, de femmes, d’enfants, de journalistes, de médecins et d’autres innocents ne suffisaient pas, le projet de ghetto devrait allumer tous les signaux de détresse. Israël se comporte comme s’il planifiait le génocide et l’expulsion. Et s’il ne pense pas le faire maintenant, il s’expose au risque grave de glisser rapidement et sans le savoir dans la commission d’un crime ou de l’autre. Demandez à Anielewicz.
Source : UJFP
https://ujfp.org/…
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