Par Tom Fletcher

Le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l’ONU, Tom Fletcher, accuse Israël d’affamer intentionnellement la bande de Gaza et reproche au reste du monde de ne pas l’avoir arrêté.

Le responsable des affaires humanitaires de l’ONU est monté au créneau mardi devant le Conseil de sécurité de l’ONU pour dénoncer l’État d’Israël qui affame délibérément la population civile de Gaza.

Vidéo : 20min, 12sec. Vous trouverez ci-dessous la transcription complète des remarques de M. Fletcher, suivie de la vidéo de 2 heures et 16 minutes de la réunion complète du Conseil de sécurité, y compris les remarques de la Palestine, d’Israël et des États-Unis.

New York, 13 mai 2025

Retranscription

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,

Le fait de vous informer à nouveau sur ce sujet est une sinistre entreprise.

Avant de commencer, je vous demande de réfléchir – un instant – aux mesures que nous dirons aux générations futures que nous avons tous prises pour mettre fin à l’atrocité du XXIe siècle dont nous sommes les témoins quotidiens à Gaza.

C’est une question que nous entendrons, tantôt incrédules, tantôt furieux, mais toujours présents, jusqu’à la fin de notre vie.

Allons-nous tous prétendre avoir été contre ? Peut-être dirons-nous que nous avons publié une déclaration ? Ou que nous avons cru que la pression privée pourrait fonctionner, malgré toutes les preuves du contraire ?

Ou prétendre que nous pensions qu’une offensive militaire plus brutale avait plus de chances de ramener les otages que les négociations qui ont permis de ramener tant d’otages ?

Peut-être certains se souviendront-ils que, dans un monde transactionnel, nous avions d’autres priorités.

Ou peut-être utiliserons-nous ces mots vides de sens : « Nous avons fait tout ce que nous pouvions »

Monsieur le Président,

Permettez-moi de commencer par ce que nous voyons et ce que ce Conseil nous demande de rapporter.

Israël impose délibérément et sans honte des conditions inhumaines aux civils dans le territoire palestinien occupé.

Depuis plus de dix semaines, rien n’est entré à Gaza – ni nourriture, ni médicaments, ni eau, ni tentes.

Des centaines de milliers de Palestiniens ont, une fois de plus, été déplacés de force et confinés dans des espaces de plus en plus restreints, puisque 70 % du territoire de Gaza se trouve soit dans des zones militarisées par Israël, soit sous le coup d’ordonnances de déplacement.

Comme l’expliquera mon collègue de la FAO, chacun des 2,1 millions de Palestiniens de la bande de Gaza est confronté au risque de famine. Un sur cinq risque de mourir de faim.

Malgré le fait que vous ayez financé la nourriture qui pourrait les sauver.

Les quelques hôpitaux qui ont survécu aux bombardements sont débordés. Les médecins qui ont survécu aux attaques de drones et de snipers ne peuvent pas faire face aux traumatismes et à la propagation des maladies.

Aujourd’hui encore, l’hôpital européen de Gaza à Khan Younis a été bombardé une nouvelle fois, faisant encore plus de victimes civiles.

Pour avoir visité ce qui reste du système médical de Gaza, je peux vous dire que la mort à cette échelle a un son et une odeur qui ne vous quittent pas. Comme l’a décrit un employé de l’hôpital, « les enfants crient lorsque nous enlevons le tissu brûlé de leur peau… »

Et pourtant, on nous dit que « nous avons fait tout ce que nous pouvions ».

Monsieur le Président,

Notre réponse en tant qu’humanitaires est de faire une seule demande au Conseil : laissez-nous travailler.

L’ONU et ses partenaires sont prêts à tout pour reprendre l’aide humanitaire à grande échelle dans la bande de Gaza, conformément aux principes fondamentaux d’humanité, d’impartialité, d’indépendance et de neutralité.

Nous avons un plan. Nous avons montré que nous pouvions livrer l’aide, des dizaines de milliers de camions ayant atteint les civils pendant le cessez-le-feu. Des fournitures vitales sont prêtes, dès maintenant, aux frontières.

Nous pouvons sauver des centaines de milliers de survivants. Nous disposons de mécanismes rigoureux pour veiller à ce que notre aide parvienne aux civils et non au Hamas.

Mais Israël nous refuse l’accès, plaçant l’objectif de dépeupler Gaza avant la vie des civils. Il est déjà assez grave que le blocus se poursuive. Comment réagissez-vous lorsque des ministres israéliens s’en vantent ?

Ou lorsque les attaques contre les travailleurs humanitaires et les violations des privilèges et immunités de l’ONU se poursuivent, de même que les restrictions imposées aux organisations internationales et non gouvernementales.

Monsieur le Président,

Ce Conseil a adopté des résolutions qui exigent que toutes les parties au conflit respectent le droit humanitaire international et la protection des civils, y compris le personnel humanitaire.

Nous rappelons qu’Israël a également des obligations claires en vertu du droit humanitaire international.

Il doit traiter les civils avec humanité, dans le respect de leur dignité humaine inhérente. Il ne doit pas transférer, déporter ou déplacer de force la population civile d’un territoire occupé.

En tant que puissance occupante, il doit accepter de l’aider et de la faciliter.

Ainsi, pour quiconque fait encore semblant d’avoir des doutes, la modalité de distribution conçue par Israël n’est pas la solution.

Elle exclut pratiquement beaucoup de gens, y compris les personnes handicapées, les femmes, les enfants, les personnes âgées, les blessés.

Elle oblige à de nouveaux déplacements.

Elle expose des milliers de personnes à des risques.

Elle crée un précédent inacceptable pour l’acheminement de l’aide, non seulement dans le territoires occupés, mais dans le monde entier.

Elle restreint l’aide à une seule partie de Gaza, tout en laissant d’autres besoins urgents insatisfaits.

Elle conditionne l’aide à des objectifs politiques et militaires.

Elle fait de la famine une monnaie d’échange.

Il s’agit d’un spectacle cynique. Une distraction délibérée. Une feuille de vigne pour de nouvelles violences et de nouveaux déplacements.

Si tout cela a encore de l’importance, n’y participez pas.

Monsieur le Président,

Pour mémoire, nous avons essayé. Les Nations unies ont rencontré 12 fois – et encore ce matin – les autorités israéliennes pour discuter de la modalité proposée. Nous voulions trouver un moyen de la rendre possible.

Nous avons expliqué à plusieurs reprises les conditions minimales de notre participation sur la base de principes fondamentaux établis de longue date : une aide basée sur des évaluations indépendantes de ceux qui en ont besoin – l’exigence de base testée au niveau mondial et exigée par les donateurs – et la capacité de fournir une aide à tous ceux qui en ont besoin, où qu’ils se trouvent.

Le Secrétaire général a exposé le droit international pertinent dans les documents qu’il a soumis à la Cour internationale de justice.

Vos résolutions ont fermement condamné le fait d’affamer des civils en tant que méthode de guerre et le refus illégal d’accès à l’aide humanitaire.

La résolution 2417 demande au Conseil d’accorder toute son attention à l’insécurité alimentaire généralisée provoquée par les conflits.

Monsieur le Président,

Il n’y a pas que Gaza. La violence effroyable augmente également en Cisjordanie, où la situation est la pire depuis des décennies.

L’utilisation d’armes lourdes, de méthodes de guerre militaires, d’une force excessive, de déplacements forcés, de démolitions et de restrictions de mouvement. Expansion continue et illégale des colonies.

Des communautés entières détruites, des camps de réfugiés dépeuplés.

Les colonies s’étendent et la violence des colons se poursuit à un niveau alarmant, parfois avec le soutien des forces israéliennes.

Récemment, des colons ont enlevé une jeune fille de 13 ans et son frère de 3 ans. Ils ont été retrouvés attachés à un arbre. Devons-nous également leur dire que « nous avons fait tout ce que nous pouvions » ?

Monsieur le Président,

Je crains qu’il n’y ait ici un contexte plus large.

Au cours des 19 derniers mois, des journalistes palestiniens, des membres de la société civile et des particuliers ont retransmis en direct leur destruction au monde entier. Nombre d’entre eux ont été pris pour cible et tués en raison de leur témoignage.

Et pendant ce temps, les travailleurs humanitaires internationaux ont été la seule présence civile internationale à Gaza, observant et rapportant l’horreur en cours. Nous sommes vos yeux et vos oreilles.

Ne doutez pas que nous ressentons le poids de cette responsabilité, envers vous, envers les communautés que nous servons et envers le monde.

C’est pourquoi nous avons informé ce Conseil de manière très détaillée sur les dommages considérables causés aux civils dont nous sommes les témoins quotidiens : morts, blessures, destruction, faim, maladies, torture, autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, déplacements répétés, à grande échelle.

Nous avons décrit l’obstruction délibérée des opérations d’aide et le démantèlement systématique de la vie palestinienne, et de ce qui la soutient, à Gaza.

Vous disposez donc de ces informations. Aujourd’hui, la CIJ examine si un génocide est en cours à Gaza.

Elle évaluera les témoignages que nous avons partagés. Mais il sera trop tard.

Reconnaissant l’urgence, la CIJ a indiqué des mesures provisoires claires qui doivent être mises en œuvre maintenant, mais elles ne l’ont pas été.

Les précédents examens de la conduite des Nations unies dans les cas de violations à grande échelle des droits de l’homme et du droit humanitaire international – rapports sur le Myanmar, 2019 ; le Sri Lanka, 2012 ; Srebrenica et le Rwanda, tous deux en 1999 – ont mis en évidence notre incapacité collective à parler de l’ampleur des violations alors qu’elles étaient commises.

Alors, pour ceux qui ont été tués et ceux dont les voix sont réduites au silence : de quelles preuves supplémentaires avez-vous besoin maintenant ? Agirez-vous – de manière décisive – pour prévenir les génocides et garantir le respect du droit humanitaire international ?

Ou direz-vous plutôt que « nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir » ?

Monsieur le Président,

Cette dégradation du droit international est corrosive et contagieuse. Elle sape des décennies de progrès dans l’élaboration de règles visant à protéger les civils contre l’inhumanité et les violents et sans foi ni loi qui agissent en toute impunité.

L’humanité, le droit et la raison doivent prévaloir.

Ce Conseil doit l’emporter. Exigez que cela cesse. Cessez de l’armer. Insistez sur l’obligation de rendre des comptes.

Aux autorités israéliennes : cessez de tuer et de blesser des civils. Levez ce blocus brutal. Laissez les humanitaires sauver des vies.

Au Hamas et aux autres groupes armés palestiniens : libérez tous les otages immédiatement et sans condition. Cessez de mettre les civils en danger pendant les opérations militaires.

Et pour ceux qui ne survivront pas à ce que nous craignons de voir arriver – au vu et au su de tous – ce ne sera pas une consolation de savoir que les générations futures nous demanderont des comptes dans cet hémicycle.

Mais elles le feront.

Et si nous n’avons pas sérieusement fait « tout ce que nous pouvions », nous devrions craindre ce jugement.

Je vous remercie.

Tom Fletcher

VIDEO COMPLETE DE CETTE REUNION (Site ONU, traductions disponibles) :
https://media.un.org/avlibrary/en/asset/d339/d3395631

Traduction « certes, certes, mais est-ce que vous condamnez le…? » par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

https://consortiumnews.com/2025/05/14/watch-senior-un-official-it-will-be-too-late-to-rule-it-genocide-what-more-evidence-do-you-need

Source : Le Grand Soir
https://www.legrandsoir.info/…

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