Photos : rencontres de Nicolas Maduro avec les habitant(e)s de
divers autogouvernements communards, décembre 2025.

Par Thierry Deronne

« Aujourd’hui, nous nous proclamons gouvernement de transition communale vers le socialisme, avec nos premières 5.336 salles d’autogouvernement, nos premiers 5.336 gouvernements territoriaux composés de voisins, de familles, de communautés, de forces sociales concrètes qui débattent, participent, agissent, construisent et font de leurs territoires des leviers visibles d’une nouvelle société. »
L’annonce faite le 8 décembre par le président Maduro marque une accélération radicale du « Commune ou rien !», le discours de 2012 dans lequel Hugo Chávez expliquait que sans un véritable transfert de pouvoir aux structures communales, la révolution resterait prisonnière de la forme étatique bourgeoise. Maduro présente le système communal comme la concrétisation radicale de cette vision, qui oppose une « véritable démocratie » nourrie de toute sortes de formes de participation populaire directe à la « fausse démocratie » du modèle libéral purement représentatif et sous contrôle du pouvoir économico-médiatique.

La logique est structurelle : à mesure que les sanctions occidentales affectent les fonctions étatiques centralisées, les communes deviennent des circuits alternatifs pour le crédit (banques communales), la production (entreprises locales) et la distribution. Les banques communales, dont le nombre devrait passer de 1.758 à 4 000 d’ici avril 2026, deviennent des pôles localisés de production, de crédit et de distribution, en dehors du système financier mondial dominé par le dollar. Le président bolivarien a tracé sept orientations stratégiques qui ouvrent la voie à un modèle de participation directe. Le but est que l’ensemble du gouvernement ajuste ses plans de travail en fonction des diagnostics et des priorités émanant des autogouvernements territoriaux, afin d’accroître l’efficacité de la réponse publique :

1. Élargir la participation populaire
‎Élargissement de la participation aux consultations populaires nationales comme mécanisme permettant d’approfondir la démocratie complète. L’objectif est de renforcer la prise de décision collective et de consolider les plans de travaux publics : cette approche permettra aux territoires communaux d’intervenir de manière réelle et systématique dans la planification de leur propre développement.

2. Renforcer le système de planification communale
‎‎Nicolas Maduro a souligné la nécessité de renforcer la capacité de planification des communes et des circuits communaux du pays grâce à l’articulation entre les agendas concrets d’action élaborés par les habitant(e)s. D’ores et déjà 70% du budget de chacun des ministères doit être transféré aux projets des communes.

3. Construire le système d’autonomie gouvernementale
‎Cet objectif repose, selon le président, sur la « toparquía » (« gouvernement du territoire »), un concept créé il y a deux siècles par le philosophe et professeur de Bolivar, Simon Rodriguez et qui s’enracine au Venezuela dans les prototypes d’État que furent les communautés afrodescendantes et indigènes en résistance à l’empire espagnol. Toutes les instances communales doivent s’articuler pour permettre aux populations de prendre des décisions et de gouverner leurs territoires de manière démocratique, avec l’accompagnement des différentes instances gouvernementales.

4. Économie communale et expansion du système bancaire local
‎‎Renforcer l’économie communale est essentiel pour progresser vers l’autogestion populaire. Consolider les instruments de financement propres, tels que les banques communales. ‎Chaque commune doit disposer de sa propre banque. À cette fin, l’objectif pour 2026 est d’appuyer la création de 4.000 banques communales, alors qu’il en existe actuellement 1.758 dans le pays.

5. Présence active du réseau des missions sociales
‎‎Le réseau des missions et des grandes missions sociales, embryons de l’État nouveau créés par Chávez, doit être présent en permanence sur le territoire communal. L’intégration de ces politiques sociales avec les salles d’autogouvernement vise à garantir que l’action sociale atteigne directement et constamment les communautés les plus démunies.

6. Formation et communication stratégique
‎La formation et la communication au sein des autogouvernements doit permettre de refonder « la force communicationnelle du pays pour orienter les politiques publiques, il faut disposer d’une équipe de formation et de communication puissante, comme base de l’État». Renforcer la coordination avec l’Université des communes afin de renforcer la formation technique, socio-politique et communicationnelle sur l’ensemble du territoire.

7. Défense communale. Prioriser la sécurité et la défense du territoire, rendues plus nécessaire par les menaces répétées d’invasion militaire par les États-Unis. ‎Outre l’union civico-militaire développée par Chávez, il faut renforcer les unités communales d’appui civil dans les 5.336 territoires communaux.

Assemblée communarde dans l’état d’Amazonas au Venezuela, le 29 novembre 2025. Photos de Víctor Hugo Rivera

De nos jours, en Occident, les journalistes n’écrivent sur le Venezuela que lors d’élections présidentielles ou d’une agression comme celle des États-Unis. Bien sûr, un(e) journaliste ou un(e) universitaire qui s’écarterait du discours dominant serait réputé étrange, fou, et mettrait sa carrière et ses ambitions en danger. Personne ne peut prendre le risque de poser de questions « différentes ». Celles où les réponses ne seraient pas dans les questions.

On présentera comme information que « Trump veut le pétrole, le narcotrafic est un prétexte » alors qu’il a dès son premier mandat, expliqué en long et en large sa volonté de faire main basse sur ces ressources. Il l’a tellement répété qu’on peut se demander s’il ne s’agit pas d’occulter une raison au moins aussi importante : éliminer Maduro pour empêcher la transmission à d’autres peuples d’un exemple dangereux, celui d’une machine à démocratiser à l’infini la société, où chaque avancée citoyenne en termes de prises de décision, appelle et libère de nouvelles capacités démocratiques. En Occident, jamais la presse dite de gauche ne s’est intéressée aux mille visages de la démocratie participative qu’est, fondamentalement, la révolution bolivarienne. Elle s’est cantonnée au service minimum, conformiste – parler d’un « nouveau train de sanctions », d’une « crise qui n’en finit pas », etc… Faire plus l’obligerait à sortir de sa zone de confort, à rappeler les origines idéologiques de la gauche : les communes, les autogouvernements populaires, le contrôle des moyens de production, la libération du temps de la vie face au temps du travail… bref, à parler de révolution.

La gauche reste infiniment timide voire incapable de refonder radicalement l’idée de la communication. Pour qui ? pour quoi ? comment ?… car c’est bien sûr dans le mode de production de l’information que réside la véritable idéologie. Elle reste tout aussi incapable, depuis les années 80, de démocratiser sa propriété, préférant jouer à la marge, sans jamais lui donner la même puissance que les grands empires médiatiques que le capitalisme a su construire et qui font pression ensemble pour que la « dictature » du Venezuela soit envahie. Pour l’heure, convertie par ses « conseillers en com », la gauche semble incapable de se libérer du pouvoir médiatique. Peut-être finira-t-elle par disparaître dans son impuissance.

D’ici là, que ce soit sur le Venezuela ou sur n’importe quel autre thème, nous continuerons à perdre notre temps à nous défendre, au lieu de parler de ce que nous faisons ou rêvons de faire.

Notre rêve est intact. Il est possible de changer la vie. Un jour, grâce aux nouveaux médias en train de naître dans le Sud global, il sera possible de dialoguer avec un(e) journaliste sur ce que les citoyen(ne)s du monde pourraient juger plus utile que l’immédiateté : la construction quotidienne et multiforme des mécanismes de démocratie directe au Venezuela, depuis 25 ans.

Thierry Deronne, Caracas, le 17 décembre 2025.

Source : auteur
https://venezuelainfos.wordpress.com/…

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