Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et des ministres à la Knesset, 26 mars 2025.
(Yonatan Sindel/Flash90)
Par Orly Noy
En deux ans à peine, les députés ont voté plus de 30 lois qui réduisent les droits des Palestiniens et punissent la contestation, c’est ce que montre un nouveau rapport
Voici plus de deux ans que la vie publique israélienne est enveloppée dans un épais brouillard qui désoriente. Des crises, des conflits et de l’anxiété se sont abattus sans fin dans le pays et à l’étranger : le choc de l’attaque du Hamas le 7 octobre et de la campagne génocidaire vengeresse d’Israël à Gaza, le combat pour ramener les otages et contre les calomnies de l’État sur leurs familles, la confrontation irresponsable avec l’Iran. L’ensemble de ces faits a placé la société israélienne dans un état de stupeur collective, qui a occulté la profondeur de l’abîme dans lequel nous nous enfonçons.
Mais on ne peut pas en dire autant de nos parlementaires. Comme le montre un nouveau rapport d’Adalah, le centre juridique de Haïfa, ils ont profité du chaos des deux années passées pour présenter 30 nouvelles lois enracinant l’apartheid et la suprématie juive – celles-ci s’ajoutant à la liste d’Adalah qui compte maintenant plus de 100 lois israéliennes discriminant les Palestiniens.
Une des conclusions centrales du rapport est celle d’une attaque généralisée de la liberté d’expression, de la pensée et de la contestation dans un large éventail de domaines. Y figurent des lois interdisant la publication de contenus incluant le « déni des événements du 7 octobre », tels que décrits par la Knesset, et des lois qui restreignent les émissions de médias critiques qui « nuisent à la sécurité de l’État ».
Une autre loi autorise le ministère de l’Éducation à licencier des enseignants et elle retire à des institutions d’éducation leur financement sur la base de points de vue considérés comme l’expression d’un soutien ou d’un encouragement à des actes ou organisations terroristes. Et dans la foulée d’une campagne pilotée par l’État pour déporter des militants de la solidarité internationale, une troisième loi interdit l’entrée dans le pays aux ressortissants étrangers s’ils ont émis des déclarations critiques d’Israël ou ont fait appel aux tribunaux internationaux pour qu’ls prennent des mesures contre l’État et ses fonctionnaires.
Mais la loi la plus dangereuse est peut-être celle qui cible des citoyens cherchant simplement à consulter des sources que l’État n’aime pas. Tout juste un mois après le 7 octobre, la Knesset a voté une ordonnance temporaire pour deux ans – renouvelée la semaine dernière pour deux ans de plus – qui proscrit la « consultation systématique et continue de publications d’une organisation terroriste », sous peine d’un an d’emprisonnement. En d’autres termes, la législation criminalise désormais un comportement relevant complètement de la sphère privée de la personne.

La police israélienne arrête une femme à Karmiel, au nord d’Israël, le 3 juillet 2024.
(David Cohen/Flash90)
D’après les notes explicatives de la loi, la législation repose sur l’affirmation qu’une « exposition intense aux publications terroristes de certaines organisations peut créer un processus d’endoctrinement – une forme de ‘lavage de cerveau’ auto-infligé – qui peut élever le désir et la motivation à commettre un acte terroriste avec un empressement exceptionnel ». Mais la loi ne précise pas ce qui qualifie une exposition « d’intense » ni « une consultation continue », en laissant tout à fait indéfinies la durée et la limite.
Elle ne clarifie pas non plus la nature des instruments auxquels les autorités peuvent avoir recours pour établir qu’un individu a consulté un contenu interdit. Comment, pratiquement, des fonctionnaires vont-ils savoir ce que quelqu’un voit en privé ? Comme le note le rapport d’Adalah, la localisation de suspects potentiels exigerait en soi des opérations d’espionnage, une surveillance de l’ensemble de la population et un contrôle de l’activité d’internet.
Tandis que les « publications terroristes » interdites n’incluent pour le moment que celles du Hamas et de DAESH – une liste que le ministre de la justice a récemment exprimé son intention d’élargir – les députés ont aussi souhaité supprimer l’accès à d’autres sources d’information qui pourraient, Dieu nous en préserve, exposer les citoyens israéliens à toute l’ampleur des crimes contre l’humanité que leur armée a commis et continue de commettre à Gaza. D’où le vote de ladite “loi Al Jazeera” qui a privé le public israélien d’une des sources les plus fiables au monde dans ce qu’elle rapporte des événements à Gaza.
De même, la loi contre « le déni » des événements du 7 octobre, non seulement élève les attaques au niveau d’un crime comparable à l’Holocauste, mais elle va bien au-delà du cadre des actions, pour toucher au domaine de la pensée et de l’expression. Elle ne fait pas de distinction entre des appels directs à la violence ou au terrorisme d’un côté, qui sont déjà prohibés, et d’un autre côté, la simple articulation d’une position politique, un narratif critique, ou du scepticisme quant au bilan officiel de l’État.
« La loi est conçue pour cultiver la peur, étouffer le débat public et supprimer les discussions en matière d’intérêt public » note Adalah. « Quelles actions constituent l’acte de ‘déni’ prohibé par la loi, en particulier dans la mesure où à ce jour, l’État n’a pas nommé une commission officielle d’enquête sur les attaques du 7 octobre, ni n’a publié… un ‘récit officiel’ des événements qui se sont produits ce jour-là ? Cela reste peu clair.
Le rapport d’Adalah offre une bonne indication de la direction que prend Israël. Alors qu’il peut sembler que nous sommes déjà au fond du néant, il y a toujours un abîme derrière l’abîme – qui invite à de nouvelles atrocités, et vers lequel nous nous précipitons à toute allure.

Des Israéliens manifestent contre le premier ministre Benjamin Netanyahou et son gouvernement,
à Tel Aviv, 8 novembre 2025. (Avshalom Sassoni/Flash90)
Ces lois détestables n’ont pas fait descendre des centaines de milliers de gens dans la rue, même parmi ceux qui ont prétendu craindre pour le sort de la “démocratie israélienne.” En fait, certaines de ces lois ont été votées avec le soutien de partis d’opposition juifs à la Knesset. L’illusion d’une démocratie pour les seuls Juifs n’a jamais eu l’air aussi grotesque ou plus dangereuse.
L’abîme après l’abîme
Depuis les tout premiers jours de la guerre, le régime israélien a gravement violé les droits fondamentaux de liberté d’opinion et de contestation. Le 17 octobre 2023, Yaakov Shabtaï qui était alors commissaire de police, annonça une politique « tolérance zéro » à l’égard des « incitations » et manifestations, et pendant des mois, toute tentative de manifester contre la destruction de Gaza par l’armée israélienne se heurta à une poigne de fer.
Mais cette vague de nouvelle législation draconienne va même plus loin. En complément de l’établissement de la structure juridique pour la persécution systématique d’opposants, aussi bien juifs que palestiniens, elle comporte des mesures qui visent explicitement les citoyens palestiniens, telle ladite ““Loi de déportation de familles de terroristes ”.
Dans cette loi, la définition de « terroriste » – une étiquette appliquée uniquement aux Palestiniens d’Israël – a été élargie pour inclure non seulement ceux qui ont été condamnés pour terrorisme dans le cadre d’une procédure pénale, mais aussi des individus détenus parce que soupçonnés de tels délits, dont des détenus en détention administrative. En d’autres termes, des gens qui n’ont pas été mis en examen, encore moins condamnés, pour quoi que ce soit.
En même temps, la Knesset a resserré la déjà draconienne interdiction de “réunification familiale” , pour essayer d’empêcher des citoyens palestiniens d’épouser des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, et elle a étendu les pénalités contre les Palestiniens qui « restent illégalement » en Israël. De fait, les députés ont exploité le génocide perpétré à Gaza pour intensifier leur guerre démographique de longue date contre les Palestiniens, y compris ceux qui vivent à l’intérieur des frontières de 1948.
Un chapitre distinct du rapport d’Adalah documente les graves violations des droits des prisonniers et détenus palestiniens depuis le 7 octobre, qui, selon des témoignages et d’autres rapports, ont été enfermés dans des camps de torture . La même vague législative a aussi gravement violé les droits des enfants, éliminant ainsi « l’ancienne distinction juridique entre adultes et mineurs » concernant des délits en lien avec le terrorisme. De plus, le rapport détaille la législation qui nuit délibérément aux citoyens palestiniens via l’usage étendu du service militaire comme critère d’accès à des avantages sociaux et des ressources publiques ; la nuisance se porte aussi sur les réfugiés palestiniens des territoires occupés au moyen de l’interdiction d’organisations d’aide comme l’UNRWA.
Partageant depuis longtemps l’argument selon lequel il y a une utilité à « ôter les masques » et à montrer le régime israélien tel qu’il est – antidémocratique, raciste et enraciné dans l’apartheid – je ne vois rien ici qui incite à l’optimisme. Dans la course ouverte vers le fascisme des dirigeants israéliens, non seulement le prix le plus lourd sera payé par ceux qui sont le plus exposés et vulnérables, mais aussi l’écart entre l’image que la société se fait d’elle et la réalité est précisément l’espace dans lequel le changement politique devient possible. Lorsque cet écart se referme et que la société commence à accepter l’image qui la fixe dans le miroir, l’espace politique pour une transformation véritable se rétrécit considérablement.
Dans les années récentes, des centaines de milliers de gens sont descendus dans la rue pour protester contre le « remaniement judiciaire » du gouvernement de Netanyahou, en insistant sur le fait que son véritable but était « d’écraser la démocratie israélienne ». Le mouvement de protestation s’est cependant concentré largement sur les mécanismes de procédure de la démocratie – les freins et contrepoids, l’indépendance de la justice, les démêlées judiciaires du premier ministre et son aptitude à exercer ses fonctions. Beaucoup trop peu d’attention, si tant est qu’il y en eût, a été portée sur l’érosion des fondements substantiels de la démocratie : la liberté d’expression et de manifestation, l’égalité devant la loi et les garde-fous face à la discrimination institutionnalisée.
Ces tendances ne sont pas apparues au cours des deux dernières années, mais ce n’est pas un hasard si elles se sont accélérées à une vitesse terrifiante pendant le génocide perpétré à Gaza. La dévastation de la bande de Gaza et l’avancement de la législation fasciste à travers la fonction de la Knesset, comme deux forces coordonnées oeuvrent à démanteler les dernières contraintes s’imposant au pouvoir israélien.
Et alors que le mouvement de protestation israélien ne peut ignorer le génocide à Gaza ni la question de la suprématie juive s’il espère résister effectivement à laréforme judiciaire, de même le mouvement mondial s’opposant au génocide ne peut négliger la législation promue par la Knesset la plus extrémiste de l’histoire d’Israël. Il ne s’agit plus simplement d’une affaire interne à Israël, mais d’une partie d’une attaque plus large sur l’existence même du peuple palestinien.
Une première version de cet article a été publiée en hébreu sur Local Call. À lire ici .
Traduction SF pour l’UJFP
Source : UJFP
https://ujfp.org/…
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