Par Kader Tahri
Dans ce texte pamphlétaire, l’auteur démonte les mécanismes d’une diplomatie américaine transformée en marché d’influence, où Jared Kushner et Steven Witkoff incarnent les nouveaux barons d’un impérialisme financier déguisé en pacifisme. Face à cette logique d’alignement et de marchandisation du Maghreb, l’Algérie réaffirme son refus de céder sa souveraineté et défend une diplomatie de dignité, de mémoire et de justice.
Entre analyse géopolitique et cri militant, ce texte appelle à un nouvel esprit de non-alignement et à la solidarité entre peuples libres.
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L’algérien que je suis a pleinement conscience du changement qui va se produire dans la géopolitique. Il appelle de ses vœux à une politique en matière étrangère qui s’efforcera d’entretenir des relations avec tous les pays étrangers (sauf ceux qui n’épousent pas une cause noble et juste sur le plan international et plus particulièrement en Afrique et au Moyen orient) mais plus que jamais ne succombera pas – comme il serait si facile à le faire – à la tentation de rejoindre l’un ou l’autre des deux blocs qui, désormais divisent le monde.
L’époque moderne a ses barons — non plus ceux des champs, mais ceux des tours et des tableaux Excel. Jadis, la diplomatie était l’art du mot, de l’équilibre, du dialogue feutré entre États souverains. Aujourd’hui, elle s’est muée en courtage mondial. Le diplomate se fait agent immobilier, le traité devient transaction, la paix un produit dérivé qu’on échange contre la reconnaissance d’un territoire ou la signature d’un contrat.
Steven Witkoff et Jared Kushner incarnent à merveille cette mutation. Ce ne sont pas des diplomates, mais des promoteurs — littéralement. Ils viennent non du monde des chancelleries, mais de celui des gratte-ciels et des deals de luxe. Leur approche est simple : vendre la paix comme on vend un immeuble, séduire par l’apparence, intimider par le prix, conclure vite, encaisser plus vite encore. Ce ne sont pas des architectes du dialogue, mais des marchands du consentement. Ils ont hérité de la brutalité de Wall Street, pas de la subtilité de Talleyrand.
Sous la bénédiction du clan Trump, ces nouveaux croisés du capital ont fait des Accords d’Abraham leur franchise diplomatique. Le modèle est clair : un pays arabe normalise avec Israël, Washington y trouve un levier géopolitique, Tel-Aviv un débouché économique, et un petit groupe de « conseillers » engrange gloire et contrats. Le Maroc a été la pièce suivante sur l’échiquier. En échange d’une reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara occidental, Rabat a offert ses salutations diplomatiques à Tel-Aviv et à la Maison-Blanche. Ce n’était pas un accord de paix : c’était un échange de titres fonciers.
L’Algérie, obstacle à la marchandisation du Maghreb
Mais sur le flanc est du Maghreb se dresse un pays rétif, insoumis, imprévisible : l’Algérie.
Elle n’a pas oublié. Cent trente-deux années d’occupation, sept années de guerre totale, des millions de vies sacrifiées pour arracher la dignité — ce passé forge une conscience nationale qui ne se laisse pas acheter. Et c’est bien cela qui gêne Washington et ses relais : un peuple qui se souvient.
Car la logique américaine, depuis la fin de la guerre froide, n’a pas changé : transformer les régions instables en marchés contrôlables, sous-traiter la sécurité à des alliés « fiables » et marginaliser ceux qui refusent de se ranger. L’Afrique du Nord devait être, dans ce plan, une extension de l’OTAN économique. Le Maroc, en s’arrimant à la diplomatie américaine et en s’offrant comme relais d’Israël en Afrique, joue son rôle : celui de pivot atlantique. L’Algérie, elle, reste ce grain de sable dans la mécanique. Trop fière pour obéir, trop indépendante pour plaire.
Il faut alors isoler Alger, la priver d’alliés, l’accuser d’« immobilisme », la peindre en « ennemie de la paix ». Cette rhétorique est vieille comme l’impérialisme : le colonisateur accuse toujours le colonisé de refuser la « civilisation », le dominant reproche toujours au dominé de ne pas coopérer à sa propre servitude.
Le nouvel ordre atlantique : l’illusion de la stabilité
Les diplomates de Washington, de Kissinger à Blinken, récitent la même partition : défendre Israël, contenir la Russie, neutraliser la Chine et pacifier « le Sud ». En d’autres termes : assurer la stabilité des profits occidentaux. Sous ce vernis de sécurité, on retrouve la logique du pillage, maquillée en coopération. Le vocabulaire a changé, pas les intentions.
L’Afrique, le Moyen-Orient, le Maghreb ne sont plus regardés comme des partenaires, mais comme des zones à sécuriser pour la circulation du capital. Le pétrole, le gaz, les minerais stratégiques, les routes commerciales : tout doit être intégré à la grande infrastructure de l’économie atlantique.
Et chaque fois qu’un pays tente de s’émanciper, on déploie les instruments familiers : sanctions, campagnes médiatiques, insinuations sur les « droits humains », et, au besoin, déstabilisation par procuration.
C’est ce qu’a connu l’Algérie dans les années 1990, quand la CIA regardait ailleurs pendant que le pays sombrait dans la décennie noire. C’est ce qu’elle connaît encore aujourd’hui, lorsqu’on la somme de « s’ouvrir » à des accords qu’elle n’a pas sollicités. Car l’Algérie refuse de céder sur le Sahara occidental : question de principe, non de commerce. Et c’est ce refus-là que Washington, Londres et Rabat veulent briser.
Une diplomatie de l’Excel et du mépris
La diplomatie américaine contemporaine ne parle plus le langage des idées, mais celui des chiffres. On ne négocie plus ; on optimise. On ne convainc pas ; on valorise. Dans les couloirs des institutions internationales, la paix devient une « offre », la souveraineté un « coût », la résistance un « risque réputationnel ». Le cynisme a remplacé le dialogue, la comptabilité a étouffé la morale.
Dans cette logique, les « médiations » américaines au Maghreb ne visent jamais la justice, mais la rentabilité géopolitique. Kushner, Witkoff et consorts agissent comme des banquiers d’influence : ils proposent, séduisent, menacent. Et lorsqu’un État refuse — l’Algérie, en l’occurrence — ils passent au registre du dénigrement. Les médias alliés reprennent la mélodie : « l’Algérie refuse la paix », « Alger s’isole », « le Maghreb avance sans elle ». Tout cela n’est qu’une mise en scène destinée à justifier une marginalisation programmée.
L’entité sioniste : bras armé et laboratoire de l’impérialisme
Il serait naïf de croire que la diplomatie américaine est guidée par Israël. C’est le contraire : l’entité sioniste agit comme l’avant-poste de l’impérialisme américain au Moyen-Orient. Depuis 1948, elle sert de gendarme régional pour le compte du complexe militaro-industriel yankee. Elle teste, elle expérimente, elle applique ; puis Washington généralise. Les technologies de surveillance, les doctrines sécuritaires, les discours de « lutte contre le terrorisme » : tout cela vient du même creuset, celui d’un colonialisme travesti en croisade morale.
Le sionisme n’est pas qu’une idéologie de domination sur la Palestine : c’est une méthode impériale. Il naturalise l’occupation, il justifie l’apartheid, il transforme la dépossession en nécessité historique. Et cette méthode, les puissances occidentales la reprennent avec zèle. Car elle permet d’appeler « stabilité » ce qui n’est que soumission, et « progrès » ce qui n’est que pillage.
L’Algérie face à l’ultimatum : refuser sans rompre
Alors que Washington brandit la menace d’un isolement diplomatique, Alger adopte une posture subtile : ouverture de principe, refus de fond. C’est là tout l’art de la résistance diplomatique algérienne : ne jamais se fermer, mais ne jamais céder. Dire oui à la discussion, non à la reddition. Le pays doit, dans les mois et années à venir, tenir cette ligne : accueillir les médiateurs, mais poser ses conditions ; écouter, mais décider seul.
Trois axes s’imposent :
Maintenir la souveraineté décisionnelle : aucune pression, fût-elle américaine, ne doit infléchir la position algérienne sur le Sahara occidental, la Palestine ou la non-alignement stratégique.
Multiplier les partenariats équilibrés : Pékin, Moscou, Ankara, Afrique du Sud, mais aussi les pays du Sud global partagent avec Alger la même méfiance envers l’hégémonie occidentale. L’Algérie doit devenir l’un des pôles d’un monde multipolaire, non le client d’un empire.
Renforcer la diplomatie populaire : la conscience nationale et la solidarité panafricaine sont les meilleurs remparts contre la propagande atlantiste. L’Algérie doit s’adresser aux peuples, pas seulement aux gouvernements.
Le Maroc, instrument et mirage
Il faut aussi dire les choses crûment : le Maroc est devenu l’outil privilégié de cette stratégie. En se présentant comme le « partenaire stable » de l’Occident, Rabat s’est enchaîné à un rôle subalterne : gendarme de l’Atlantique, vitrine africaine d’Israël, relais économique pour le capital américain. Mais ce pacte a un prix : la perte de marge politique.
Car un pays qui fonde sa légitimité sur la reconnaissance d’autrui finit toujours par mendier cette reconnaissance.
La rivalité entre Alger et Rabat n’est pas seulement une querelle de frontières, mais un choix de modèle : souveraineté ou dépendance, mémoire ou oubli, fidélité aux peuples ou soumission aux puissances. L’histoire jugera.
Pour une diplomatie de dignité
La véritable diplomatie algérienne ne consiste pas à multiplier les alliances opportunistes, mais à restaurer le sens du juste. Elle repose sur trois piliers :
La solidarité avec les peuples en lutte (Palestine, Sahara occidental, Afrique subsaharienne) ;
Le refus de toute domination, quelle qu’en soit l’origine ;
Et la conviction que la paix ne se signe pas entre puissants, mais entre égaux.
Dans cette optique, Alger doit continuer à défendre un modèle alternatif : celui d’un Sud qui ne demande pas la charité, mais le respect. Celui d’un monde où la coopération ne signifie pas l’obéissance. Celui d’une souveraineté qui ne se négocie pas au prix du silence.
Le discours du refus
Les États-Unis, le Maroc et leurs relais médiatiques nous accusent d’immobilisme. Soit. Nous préférons l’immobilisme de la dignité à la mobilité de la servitude.
Refuser, c’est résister. Résister, c’est vivre. Et vivre libre, c’est refuser de signer des traités qui insultent notre histoire.
L’Algérie n’a jamais cédé aux colonnes françaises, aux chars de l’OTAN, ni aux marchés du FMI. Ce n’est pas pour plier devant deux promoteurs new-yorkais.
Qu’on ne s’y trompe pas : le chantage économique n’aura pas raison d’un peuple qui a déjà survécu à la colonisation, au terrorisme et à la pauvreté. Le refus n’est pas un caprice, mais un devoir.
Et ce refus doit s’accompagner d’un contre-projet : un Maghreb décolonisé, uni, fondé sur la justice, non sur la tutelle.
Conclusion :
Ce siècle n’est plus celui des blocs Est-Ouest, mais celui de la recomposition mondiale. Entre la Chine, la Russie, les BRICS, l’Afrique en pleine affirmation et les puissances occidentales en perte d’autorité morale, une nouvelle géographie politique s’écrit. L’Algérie doit y jouer sa partition — libre, lucide, indépendante.
Le monde a besoin d’un nouveau non-alignement, non pas comme posture neutre, mais comme acte militant. Refuser d’appartenir à un bloc, c’est affirmer qu’aucune puissance n’a le droit d’écrire notre destin.
Et dans cette bataille pour l’indépendance du XXIᵉ siècle, l’Algérie n’est pas seule : elle porte avec elle la mémoire des peuples du Sud, l’héritage des luttes anticoloniales et la promesse d’un avenir affranchi.
Les barons de la diplomatie américaine peuvent bien multiplier les deals et les ultimatums. Ils ne comprendront jamais une chose : un peuple qui a conquis sa liberté ne la renégocie pas.
« L’histoire des peuples libres n’est pas écrite dans les bureaux de Washington, mais dans le cœur de ceux qui refusent de se soumettre. »
A/Kader Tahri / Chroniqueur engagé, observateur inquiet
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. » https://kadertahri.blogspot.com/
Source : auteur
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