Par Kader Tahri

Alors que la guerre à Gaza a révélé une brutalité sans précédent et un effondrement moral collectif, la question n’est plus de savoir si les Israéliens regretteront un jour, mais comment  et quand  la responsabilité, la justice et la mémoire pourront remplacer la logique de vengeance et de déni.
Cette tribune plaide pour une reconstruction éthique fondée sur la vérité des faits, la justice internationale et la reconnaissance du droit de chaque peuple à vivre libre.

Il y a des moments où les mots trébuchent sur la réalité. Gaza en est un. Quand des villes deviennent des ruines, quand les enfants meurent de faim sous blocus, quand des familles entières disparaissent sans sépulture, la langue, même la plus militante, paraît insuffisante. Et pourtant, c’est par les mots que les sociétés commencent à se regarder dans le miroir de leurs actes.

Cela semblera que  le Professeur Norman Finklestein n’ait raison lorsqu’on l’interroge sur la droite israélienne : « Le pays tout entier est de droite »

Avec 86 % des personnes interrogées étaient contre l’expulsion des Palestiniens. Il en reste encore assez pour rejoindre Tsahal et allez à Gaza pour bombarder, affamer et commettre un génocide. Personne ne pourra dire qu’il ne savait pas. La honte retombera sur le monde qui a armé et facilité cette horreur. Mais les Israéliens pourraient bien se réveiller un jour et prendre conscience de la gravité de leurs actes. Quand un peuple se rend complice, activement ou passivement, de la violence d’État, peut-il encore se sauver moralement ?

La banalité du mal,  

Nombre médias israéliens ont évoqué la « banalité du mal », cette expression d’Hannah Arendt décrivant comment, dans les sociétés modernes, le crime peut se couler dans les procédures administratives, les routines sécuritaires et les automatismes de l’obéissance.
Ce n’est pas une comparaison gratuite : le siège prolongé de Gaza, la destruction systématique de ses infrastructures civiles, les bombardements aveugles, les arrestations massives et l’usage de la faim comme arme ne résultent pas de la folie d’un seul homme. Ils supposent la collaboration silencieuse d’une société tout entière : ingénieurs, pilotes, juristes, journalistes, bureaucrates.

Dans toutes les sociétés en guerre, il existe des dissonances, des résistances, des fissures. On ne peut ignorer les voix israéliennes, artistes, historiens, juristes, simples citoyens, qui, au prix de leur sécurité, dénoncent la dérive coloniale et le glissement vers un apartheid assumé., et trop de personnes refusent ostensiblement d’accepter les arguments fondés, écrits ou prononcés même par des Juifs comme Avi Shlaim, Ilan Pappé, A. Loewenstein, Noam Chomsky, N. Finkelstein… Pourtant, ces voix sont minoritaires et souvent criminalisées.

Le consensus national s’est durci, porté par une peur existentielle et par des décennies de propagande politique et religieuse. C’est ce consensus qu’il faut aujourd’hui interroger : non pour humilier, mais pour rouvrir la possibilité d’un réveil moral. Les Israéliens vivront-ils un jour le moment où ils regarderont en arrière, constateront leur comportement génocidaire, voir la réaction de la majorité en Israël face au rasage de toute la bande de Gaza, aux immenses souffrances infligées aux civils par Israël, aux atrocités, au génocide, à l’inhumanité, à la famine, ainsi qu’aux harcèlements, à l’oppression et au nettoyage ethnique en Cisjordanie et regretteront ce qu’ils ont fait aux Palestiniens.

Le piège de la symétrie morale

À chaque accusation d’atrocités, on oppose un réflexe : « et le Hamas ? »
Oui, le massacre du 7 octobre 2023 fut un crime abominable, une attaque, mais le droit et la morale refusent la logique comptable du « œil pour œil ». La vengeance d’État n’est pas la justice ; la punition collective n’est pas la défense. Un crime ne justifie pas un autre. La responsabilité israélienne actuelle ne se mesure pas au nombre de morts, mais à la structure : celle d’une puissance militaire qui contrôle un peuple sans droits, impose un blocus depuis près de vingt ans et transforme un territoire en cage à ciel ouvert.

Comparer n’est pas relativiser. C’est au contraire rappeler que la loi et la dignité humaine valent pour tous, ou ne valent plus pour personne. L’optimiste ne cherche pas à confronter les deux côtés du problème et à prétendre que l’oppresseur et la victime sont également responsables, au lieu de ne voir qu’un bien et un mal, alors soyons réaliste : bientôt ceux qui sont coupables des crimes d’extermination et de génocide seront traduits en justice et punis, sinon ce modèle de génocide « justifiable » et de colonisation « justifiable » deviendra la nouvelle façon dont le monde fonctionne et toute vie humaine sera en péril. Le 7 Octobre est la conséquence directe de l’occupation. Et si le Hamas a commis des crimes contre l’humanité en attaquant des civils, la sauvagerie avec laquelle Israël a choisi de se « défendre » (les occupants n’ont aucun droit légal de se « défendre » lorsque les populations qu’ils occupent agissent légitimement contre leur occupation) rend les crimes du Hamas bien pâles en comparaison. Ajoutez à cela le traitement médiéval qu’Israël réserve à ses prisonniers Palestiniens, il y a une barbarie et une criminalité absolues dans la manière qu’Israël a choisi de faire subir à ces prisonniers, tant sur le plan institutionnel qu’individuel.
Quand une armée démocratique tue plus de trente mille civils, quand des responsables politiques invoquent la Bible pour justifier la destruction d’un peuple, le problème dépasse le cadre de la guerre. C’est la légitimité même du projet politique qui est en cause.

Beaucoup d’observateurs étrangers veulent croire à un réveil israélien futur : un jour, disent-ils, les Israéliens découvriront la vérité, comme les Allemands après 1945, et seront saisis de honte. Peut-être. Mais compter sur le remords futur d’un peuple pour réparer le présent est une illusion commode. Ce n’est pas la conscience morale qui arrête les bombes, mais la contrainte politique, juridique et internationale.

La vraie question n’est donc pas : « Quand les Israéliens regretteront-ils ? »
Elle est : « Quand le monde, qui les arme et les protège diplomatiquement, acceptera-t-il de faire appliquer le droit ? »
Quand la Cour internationale de Justice rendra-t-elle un jugement exécutoire sur les accusations de génocide ?
Quand les États cesseront-ils de prétendre que l’embargo humanitaire ou la destruction d’un système de santé relèvent de la “légitime défense” ?

La morale individuelle a son importance, mais sans justice institutionnelle, elle reste un baume sur une plaie ouverte. Je doute sincèrement que les Israéliens reconnaissent un jour le génocide qu’ils ont commis. A-t-on jamais regretté la destruction totale de millions de vies palestiniennes depuis au moins 1948 ? La seule façon d’y parvenir maintenant est que les dirigeants soient appelés à rendre des comptes, à la manière de Nuremberg, et que le pays soit contraint de reconnaître ses actes. Ce serait la meilleure solution pour les Palestiniens comme pour les Israéliens, mais cela n’arrivera pas de sitôt, voire jamais. Malheureusement, aucun argument ne saurait les convaincre et je pense que les Israéliens accepteront fièrement le génocide et raconteront à leurs petits-enfants comment ils ont tué des enfants palestiniens pour sauver la terre pour eux.

La responsabilité, pas la honte

Il est tentant de souhaiter que la société israélienne éprouve un jour ce que ressentirent les Allemands en visitant les camps de concentration : le dégoût, la culpabilité, la honte. Mais la honte ne guérit rien. Elle enferme.
Ce qu’il faut, c’est la responsabilité : la capacité d’un peuple à se confronter à ses actes, à ouvrir ses archives, à juger ses dirigeants, à indemniser ses victimes et à reconstruire des institutions capables d’empêcher la répétition.

L’Afrique du Sud post-apartheid n’a pas été sauvée par la honte des Blancs, mais par un processus politique de vérité et de réconciliation  imparfait, mais historique.
L’Allemagne ne s’est pas relevée par le remords, mais par la dénazification, les procès, l’éducation civique, l’interdiction du révisionnisme. Il faut le même courage en Israël : un courage juridique, pas moraliste ; collectif, pas abstrait.

La mémoire, pas la mythologie

Chaque nation construit une mémoire sélective. Israël n’y échappe pas.
L’Holocauste a forgé une conscience tragique et légitime : celle d’un peuple qui ne veut plus jamais être persécuté. Mais cette mémoire est devenue, dans les mains des dirigeants actuels, un instrument de justification permanente.
Quand « plus jamais ça » devient « plus jamais pour nous », la mémoire se transforme en mythe nationaliste.
Le devoir de mémoire doit être universalisé : il ne consiste pas à hiérarchiser les souffrances, mais à tirer des leçons politiques de la douleur humaine.
Dire « plus jamais ça » doit signifier : plus jamais de ghettos, plus jamais de famines imposées, plus jamais de bombardements contre des populations civiles — où que cela se produise.

Conclusion :

Comment un peuple peut-il sortir du déni ? Trois conditions, au moins, sont nécessaires.

La vérité des faits. : Les crimes ne doivent pas rester noyés dans la propagande. Les organisations de défense des droits humains — israéliennes et internationales — doivent être protégées, pas criminalisées. Les journalistes doivent pouvoir documenter, les tribunaux doivent pouvoir enquêter, les archives doivent être ouvertes.

La pression extérieure : Aucune société ne se réforme seule quand elle bénéficie d’une impunité totale. Les alliés d’Israël — États-Unis, Europe, Australie, Canada — doivent cesser de parler de “préoccupations humanitaires” tout en livrant des armes et en couvrant diplomatiquement la guerre. L’histoire jugera ces complicités.

La reconstruction morale intérieure. : Les Israéliens doivent être encouragés à penser autrement leur sécurité. Un pays ne peut vivre éternellement derrière des murs. La paix ne viendra pas d’une victoire militaire, mais d’une reconnaissance : celle de la dignité égale du peuple palestinien et du droit de tous à vivre libres sur la même terre.

Être optimiste n’est pas nier la catastrophe. C’est refuser d’abandonner la croyance que la vérité finit toujours par fissurer le mensonge.
Oui, certains Israéliens, demain, diront peut-être : « J’ai toujours été contre ». Mais ce jour-là, il faudra leur rappeler que la morale ne réside pas dans les paroles tardives, mais dans les actes que l’on accomplit quand il est encore temps.

L’optimisme utile n’est pas celui des illusions, mais celui de la responsabilité : croire que les sociétés peuvent changer parce que des individus, aujourd’hui, refusent le silence.
Il n’est pas trop tard pour que des Israéliens — soldats, enseignants, parents — disent « pas en mon nom ». Il n’est pas trop tard pour que le reste du monde cesse de détourner le regard.

Les petits-enfants de criminels de guerre potentiels ne se poseront ces questions que s’ils grandissent à l’étranger ou si, sous la pression extérieure, Israël doit mener une guerre d’anéantissement ultra-moderne contre une population civile sans défense. L’État d’Israël est aussi endoctriné que l’Afrique du Sud de l’apartheid blanc. Maintenant que les otages ont été libérés et que le cessez-le-feu a été respecté, ils vont reprendre leurs activités habituelles, espérant que le monde oubliera Gaza, la Cisjordanie et la solution à deux États. Aucun scrupule, aucun regret, aucune honte !

Ce n’est pas la honte qui libérera la Palestine ni la vengeance qui sauvera Israël.
C’est la justice, lente, exigeante, universelle, qui seule peut transformer le deuil en avenir partagé

Kader Tahri
Chroniqueur engagé, observateur inquiet                                                                                    
« Il faut dire les choses comme elles sont, mais refuser qu’elles soient comme ça. » 
https://kadertahri.blogspot.com/

Source : auteur

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