Par Me Maurice Buttin
La France, par votre intervention le 22 septembre à l’Assemblée générale des Nations Unies, vient de reconnaître (enfin) l’Etat de Palestine. J’attendais ce moment depuis près de soixante ans – j’ai 96 ans. J’ai, de fait, commencer à me battre pour la reconnaissance des droits du peuple palestinien dès juin 1967, aux côtés des Maxime Rodinson, Jacques Berque, Pierre Cot, l’abbé Moubarac et bien d’autres personnalités.
C’est un moment historique pour notre pays, mais pas encore pour vous, Monsieur le Président, n’en déplaise à vos thuriféraires.
Vous ignorez dans cette intervention un point capital l’occupation de la Palestine depuis cette époque, comme l’a fait remarquer voici peu Leïla Shahid, l’ancienne ambassadrice de la Palestine à Paris, c’est-à-dire cinquante-huit années, pour le peuple palestinien, d’oppression, d’humiliation et aujourd’hui de génocide dans la bande de Gaza, sans oublier le régime d’apartheid en Israël depuis sa création.
Vous évoquez les 48 otages détenus pas le Hamas – ce qui est un crime de guerre lorsqu’il s’agit de civils, je vous l‘accorde – mais vous ignorez les quelques 8 000 à 10 000 prisonniers palestiniens en Israël, dont une grande partie a été arrêtée sans aucun motif, qui sont donc des otages, eux aussi.
Vous évoquez le partage du mandat britannique en 1947 (Résolution 181 du Conseil de Sécurité) en deux Etats, l’un juif et l’autre arabe « et reconnaissait ainsi le droit de chacun à l’autodétermination ». Et, vous citez l’Etat d’Israël proclamé en 1948 « qui a pu fonder une belle démocratie ». Mais vous oubliez les 22 % de la population (Les Palestiniens israéliens) qui vivent toujours sous un régime d’apartheid ! De même, vous ignorez que pour son adhésion à l’ONU, Israël a dû accepter la résolution précitée et la 190 (retour des expulsés chez eux – la Nakba), résolutions dont Israël n’a tenu aucun compte, méprisant le droit international, ce « chiffon de papier » selon ses dirigeants.
Vous évoquez le « 7 octobre 2023, blessure encore vive, évidence même qui s’est imposée à nous, lorsque le peuple israélien a subi la pire attaque terroriste de son histoire ». Et, vous précisez que « 1224 hommes, femmes et enfants ont été tués, 4834 hommes, femmes et enfants blessés, 250 enlevés en otages ». Mais vous ignorez que près de la moitié de ces décès sont des policiers ou des militaires, et qu’une bonne partie des victimes ont été frappées par le tir d’hélicoptères israéliens arrivés après l’attaque du Hamas.
Vous évoquez « la barbarie du Hamas et de ceux qui ont contribué à ce massacre, qui a stupéfait Israël et le monde ». Et, vous ajoutez : « Le 7 octobre est une blessure encore vive pour l’âme israélienne, comme pour la conscience universelle. Nous le condamnons sans aucune nuance, car rien ne peut justifier de recourir au terrorisme. Nous pensons en ce jour aux victimes et à leur famille. Nous disons notre compassion aux Israéliens et exigeons, avant toute autre chose, que tous les otages encore détenus à Gaza soient libérés sans aucune condition ». Mais, ni vous condamnez le terrorisme de l’Etat israélien à l’égard du peuple palestinien depuis 1948 ; ni vous demandez la libération de tous les Palestiniens détenus en Israël sans aucuns motifs, donc otages.
Vous évoquez « l’hommage particulier rendu par les Français, surtout à nos 51compatriotes assassinés ce jour-là, et à toutes les victimes du 7 octobre ». Et vous précisez : « Nous ne l’oublierons jamais ». Mais, lorsque vous évoquerez, par la suite, « les vies des centaines de milliers de personne déplacées, blessées, affamées, traumatisées, qui continuent d’être détruites par les Israélien », ni vous précisez que vous ne l’oublierez jamais ; ni vous en donnez le nombre – plus de 60 000 morts, 150 000 blessés, 220 journalistes tués ; ni vous dites que vous pensez à eux et à leur famille, pas plus que vous faite état de votre compassion à leur égard.
Vous évoquez la présence du Premier ministre israélien, lors du « témoignage de fraternité » offert par la France le 7 janvier 2015 aux victimes du « 7 octobre ». Mais vous ignorez que Benyamin Netanyahou a fait depuis l’objet d’un mandat d’arrêt du Tribunal pénal international ; que son avion aurait dû être intercepté, lorsque, se rendant il y a quelques mois aux Etats-Unis, il a survolé notre pays ; et qu’il vous a traité récemment d’antisémite. Un comble !
Vous évoquez que même si « le Hamas a été considérablement affaibli », la « négociation d’un cessez-le-feu durable est le moyen le plus sûr d’obtenir la libération des otages ». Mais vous ne précisez pas que cela arrêterait aussi le génocide, causé par l’armée israélienne – prétendue la plus morale du monde -, reconnu par toutes les grandes ONG, des rapports des Nations Unies, et même par de nombreuses personnalités israéliennes.
Vous évoquez une « solution (la reconnaissance de la Palestine) qui « existe pour briser le cycle de la guerre et de la destruction, la reconnaissance de l’autre, de sa légitimité, de son humanité » et vous précisez qu’Israéliens et Palestiniens vivent dans une solitude persistante, solitude des Israéliens après le cauchemar historique du « 7 octobre », solitude des Palestiniens à bout de force dans cette guerre sans fin », et vous en concluez que « cette reconnaissance de l’Etat de Palestine est une défaite pour le Hamas, comme pour tous ceux qui attisent la haine antisémite, nourrissent des obsessions antisionistes et veulent la destruction d’Israël ». Mais vous ignorez que le « 7 octobre » est la plus grande victoire militaire du Hamas et autres combattants Palestiniens, qui ont su rompre techniquement une barrière infranchissable construite par Israël en 2008, faisant depuis dix-sept ans de la bande de Gaza une prison à ciel ouvert.
Vous ignorez que si le combat contre l’antisémitisme doit être permanent, le combat contre le sionisme doit l’être de la même façon.
Vous ignorez tout autant que le Hamas n’évoque plus la destruction d’Israël depuis sa nouvelle charte élaborée en 2017, et accepte la solution d’un Etat palestinien réduit à 22 % du mandat britannique – solution que vous venez vous-même de reconnaître.
Vous évoquez des « objectifs concrets » (…) : déclencher une mécanique de paix qui répondra aux besoins de chacun ». Vous précisez que « le premier temps est celui de l’urgence absolue, celle de coupler la libération des 48 otages et la fin des opérations militaires sur tout le territoire de Gaza ». Mais vous ignorez la libération parallèle des détenus palestiniens sans motif en Israël. Vous précisez que « le deuxième temps est celui de la stabilisation et de la « reconstruction de Gaza ; qu’une administration de transition intégrant l’Autorité palestinienne, la jeunesse palestinienne accompagnée de forces de sécurité (…) aura le monopole de la sécurité à Gaza ; qu’elle mettra en œuvre le démantèlement et le désarmement du Hamas ». Mais vous ne précisez pas que Mahmoud Abbas et autres responsables palestiniens n’ont pas été autorisés se rendre à New York ; que tous les Palestiniens ont des cartes d’identité portant un numéro donné par l’administration israélienne. Et, vous méconnaissez le démantèlement parallèle des forces israéliennes en Palestine occupée (Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza).
Vous évoquez l’engagement du président Mahmoud Abbas, auprès du prince Mohamed bin Salman et de vous-même de « condamner avec force les attaques terroristes du 7 octobre 2023 » ; « d’affirmer son soutien au désarmement du Hamas et de l’exclure de la gouvernance à venir de Gaza comme de l’ensemble du territoire palestinien ». Mais vous méconnaissez le fait que « le Hamas est devenu la force dominante de la société et de la politique palestinienne » (1) par son attaque du 7 octobre avec d’autres combattants palestiniens, opération qui a montré les capacités du peuple palestinien de résister avec succès à l’occupant. Vous n’ignorez pas non plus que, selon l’enquête du Palestinian Center for Policy and Survey Research, publié en mai, un seul Palestinien sur cinq se dit satisfait de la présidence Abbas, que 81 % des interrogés souhaitent sa démission.
C’est dans tout ce rappel que le bât blesse Monsieur le Président. L’ancien porte-parole de l’OLP Xavier Abu El relève pour sa part, depuis Ramallah, que « dans cette étape les Palestiniens font beaucoup de concessions ».
Alors, Monsieur le Président, revoyez votre copie et je vous assurerai de ma haute considération.
1- Extrait de l’interview d’Amir Tibon, journaliste à Haaretz dans La Croix du 7 octobre
*Me Maurice Buttin, présidant par intérim du Comité de Vigilance pour une Paix réelle au Proche-Orient, membre des C.A. de « Pour Jérusalem » et des « Amis de Sabeel-France », membre de « Chrétiens de la Méditerranée » et de l’AFPS 14
Source : France-Irak Actualité
https://www.france-irak-actualite.com/…