Crédit : Assemblée nationale.
Par Dominique de Villepin
Source : La France Humaniste
Le Premier ministre, François Bayrou, s’apprête à mobiliser l’article 49-1 de notre Constitution pour demander la confiance de l’Assemblée nationale. La simple évocation de cette décision comme un acte d’audace, voire de bravoure, par les commentateurs et les acteurs de la vie publique, révèle l’absurdité d’une situation politique où ce qui est la norme fondamentale de la démocratie parlementaire, un gouvernement investi par une majorité de députés, est perçu aujourd’hui comme une bizarrerie ou une anomalie. Chacun se rend bien compte de la portée symbolique et historique du moment. Au regard de la composition de la chambre et des déclarations des différents groupes, la fin du gouvernement Bayrou semble proche. En prétendant donner le choix entre le sursaut et le chaos, il ne laisse en réalité le choix qu’entre le chaos et le chaos. La chute de son gouvernement, dès lors, ne saurait être une fin en soi.
Le 8 septembre ne peut pas être notre seul horizon. Dès aujourd’hui, nous devons penser au jour d’après. Et si Marine le Pen ou Jean-Luc Mélenchon jouent avec outrance de la stratégie du désordre, l’un réclamant la démission du Président de la République, l’autre la dissolution de l’Assemblée, espérant chacun tirer profit d’un retour précipité aux urnes, il nous faut regarder au-delà de ces postures et préparer le sursaut.
Nous devons dire clairement une chose pourtant : c’est bien au Président de la République que revient la responsabilité de la situation. C’est lui qui a commis le péché originel, et tous ceux qui ont suivi. C’est bien lui qui, décidant seul de dissoudre l’Assemblée nationale, a conduit à cette tripartition de l’espace parlementaire. C’est bien lui qui, en nommant des gouvernements minoritaires dignes du transformisme de music-hall, a esquivé la sanction électorale pour maintenir artificiellement un cap clairement rejeté par les Français. Il faut entendre aujourd’hui la colère suscitée par la gesticulation politique, ce festival de grenouilles qui toutes veulent se faire plus grosses qu’un bœuf. Colère, mais aussi inquiétude et angoisse, et parfois, le dégoût.
« Il est temps de proposer à l’opposition de gouverner et d’accepter la rupture avec la politique macroniste. »
Pour sortir de l’impasse, trois exigences s’imposent. La normalité, la stabilité et la clarté.
La normalité, car de gouvernement minoritaire en gouvernement minoritaire nous basculons dans le régime d’exception et, de plus en plus, dans la crise de régime. Depuis 2022 nous nous enfonçons dans une Ve République-bis où ne valent que les articles les plus méconnus de notre arsenal institutionnel, les artifices extraordinaires : 49.3, gouvernement minoritaire, loi spéciale budgétaire des douzièmes reconductibles, sans compter les consultations citoyennes jamais traduites en lois. La normalité, c’est un gouvernement appuyé sur une majorité claire.
Nous avons besoin aussi de clarté parce que les Français n’en peuvent plus des postures politiques où chacun repasse au suivant le mistrigri de l’échec collectif sans jamais à avoir à assumer la responsabilité de décider. Quel confort pour tous les rentiers de la politique et de l’opposition permanente ! Quel confort pour les gouvernants qui peuvent continuer sans assumer l’échec de huit ans de ruissellement et de premiers de cordées ! C’est pourquoi nous avons besoin de clarté sur la lecture du scrutin de 2024 : le bloc macroniste a été désavoué, il faut aujourd’hui une coalition et une rupture avec la politique de la dernière décennie. Clarté aussi des oppositions : que chacun clarifie les alliances et les concessions qu’il est prêt à envisager.
Enfin, troisième exigence, la stabilité est tout aussi nécessaire, car ces divisions de tribus gauloises sont un luxe que nous ne pouvons nous offrir dans un monde néo-impérial déchiré entre Donald Trump et Vladimir Poutine, bouleversé par le réchauffement climatique et la rareté des ressources. Nous avons besoin d’un gouvernement appuyé sur un contrat de coalition assurant la continuité du budget 2026 et du budget 2027, ainsi que les grandes priorités d’avenir.
La France ne peut plus perdre de temps. L’urgence sociale et écologique impose des décisions fortes, et les Français ne peuvent plus être les victimes collatérales du refus d’obstacle présidentiel.
L’esprit des institutions impose aujourd’hui au président de la République deux décisions fortes et complémentaires.
La première, c’est celle de la cohabitation. Le centre a échoué depuis plus d’un an à former une majorité. Il est temps de proposer à l’opposition de gouverner et d’accepter la rupture avec la politique macroniste.
Loin d’être une anomalie, la cohabitation peut être une respiration démocratique lorsque le Président et le Premier ministre acceptent de respecter mutuellement leurs prérogatives. Si le Président persiste dans une lecture personnelle et étroite du pouvoir exécutif, il continuera de creuser le gouffre démocratique qui éloigne de plus en plus les Français de leurs représentants, qui nourrit les populismes et le rejet de la vie politique et citoyenne.
La cohabitation fait partie intégrante de l’esprit de la Ve. Dans les circonstances actuelles, elle peut être une chance pour la France et pour nos institutions, une chance de réforme et une chance budgétaire. Nous ne perdons jamais à écouter les Français. La logique des urnes, des alternances et du vote oriente le pays et permet à la démocratie de respirer, au débat de vivre, à notre modèle d’évoluer.
Dans un pays qui pense, qui vit, qui respire politique, dans un monde chaque jour un peu plus bouleversé, nous avons besoin à la tête de notre exécutif de femmes et d’hommes capables de porter une vision, une stratégie, une ambition politique. La République des techniciens ou le gouvernement technocratique sont des illusions et, souvent, la dépossession des citoyens de leur propre avenir au nom des compétences de banques d’investissements, de cabinets de conseil étrangers ou d’intérêts particuliers qui n’ont d’autre objectif que le statu quo.
La deuxième décision, c’est la coalition, c’est-à-dire fixer d’emblée le principe que le prochain gouvernement devra obtenir la confiance du parlement, sur la base d’un contrat de coalition fixant les orientations pour les deux prochains exercices budgétaires. Il s’agit de suivre la pratique parlementaire de toutes les démocraties d’Europe et du monde. Poser un regard lucide sur les rapports de force parlementaires nous oblige à distinguer les forces arrivées en tête en 2024, c’est à dire dans l’ordre le NFP, puis le bloc central, et enfin l’extrême-droite.
Le premier bloc de l’assemblée doit donc être chargé de préfigurer, dans un temps donné, de deux semaines, un gouvernement de coalition et d’engager les contacts préliminaires. Il doit donc charger une personnalité du bloc de gauche de cette mission. S’il échoue, au moins les électeurs auront-ils obtenu la clarification nécessaire sur la capacité de La France Insoumise et du Parti Socialiste, notamment, à travailler ensemble, et sur les forces du centre à pratiquer l’esprit de compromis qu’ils exigent des autres, puisque le véritable vainqueur de l’élection législative issue de 2024 est le front républicain des femmes et des hommes qui se sont levés pour maintenir un cordon sanitaire entre le pouvoir et l’extrême droite. Ainsi les prochaines élections n’en seront-elles que plus sincères.
Deuxième étape, si cette option échoue. Il faudra charger un représentant du bloc central de former une majorité avec les forces de gauche qui pourrait être en mesure désormais d’apporter leur concours. Si ce scénario échoue, la clarification fera ressortir nettement la ligne de fracture entre la droite et la gauche.
Enfin, troisième étape, aujourd’hui heureusement largement théorique, et pour éliminer l’hypothèse, il reviendra au bloc suivant, c’est-à-dire le Rassemblement national, de mener le travail de préfiguration. S’il échoue, ce qui est presque certain en l’état des rapports de force, au moins aurons-nous clarifié l’ampleur de la tentation de la droite républicaine de passer un accord avec le RN.
Enfin, en cas d’échec de tous les efforts de préfiguration d’une coalition, pendant la durée desquels le gouvernement démissionnaire expédiera les affaires courantes, le Président sera logiquement conduit à l’ultime décision : une nouvelle dissolution, mais sur fond d’une clarification du paysage politique et d’une responsabilisation des principaux partis.
Nous venons de perdre plus d’un an. Un an d’instabilité. Un an de bataille politicienne. Un an de moins pour agir, redresser notre pays et lui redonner sa voix dans le monde.
Il nous faut reprendre à zéro, revenir au dernier résultat des urnes et cesser l’obstination. Reprendre à zéro, ce n’est pas abdiquer. C’est redonner aux Institutions leur sens et leur vitalité. Parce que nous avons besoin de croire encore, de croire à nouveau dans notre République.
– Dominique de Villepin
Source : La France Humaniste
https://lafrancehumaniste.fr/…
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