Par Naram Sarjoun

Toutes sortes de rumeurs circulent depuis l’éloignement, pour ne pas dire la disparition, du président Bachar al-Assad et la livraison de la Syrie à un individu estampillé « terroriste », mais prétendument repenti, impuni, et assisté par toutes les forces maléfiques de la planète : le dénommé Al-Joulani dont les missions ne semblent pas s’arrêter à ce qui est résumé par cette caricature tirée de Business News.

En effet, l’agence syrienne Sana, a annoncé que son ministre des Affaires étrangères, Assaad al-Chibani, a rencontré mardi 19 août Ron Dermer, le titulaire du portefeuille des Affaires stratégiques israéliennes, à Paris, précisant que les échanges ont notamment porté sur la conclusion d’accords en faveur de la stabilité dans la région, ainsi que la réactivation de l’accord de désengagement de 1974. Un désengagement qui n’a plus lieu d’être discuté, vu l’évidente coopération entre les deux parties pour achever la Résistance libanaise et notamment le Hezbollah, après avoir achevé l’État syrien… [1].

Et ce, d’autant plus que le médiateur est Thomas J. Barrack, ambassadeur des États-Unis en Turquie, envoyé spécial de l’ami Trump pour la Syrie, admirateur déclaré d’Al-Joulani, négociateur du désarmement du Hezbollah au Liban passant par la menace de son invasion par les hordes d’Al-Joulani, concepteur d’un bail de cent ans du potentiel « Corridor de Zanguezour » de l’Arménie vers l’Azerbaïdjan [2], lequel pourrait rejoindre le « Corridor de David » passant par le sud de la Syrie vers l’Irak, afin de concrétiser « la mission historique et spirituelle du Grand Israël » telle que déclarée par Netanyahou à la chaîne i24NEWS le 12 août dernier.

Une déclaration qui n’a fait que susciter l’ire de pays arabes dont les propos ont été largement repris par le quotidien Times of Israël [3], ainsi que la condamnation de 31 pays arabes et islamiques, sans plus ! [4].

Ce qui n’a pas empêché, et n’empêche toujours pas, certains malins d’accuser le président Al-Assad de tous les maux et notamment d’avoir trahi la Résistance régionale. Une accusation qui a poussé le patriote syrien Naram Sarjoun à lever un coin du voile obscur jeté sur la Syrie. [NdT].

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Le silence incite les bavards à parler. C’est ainsi que depuis l’éloignement du président Bachar al-Assad, qui est resté silencieux et dont nous n’avons pas eu de nouvelles, l’horizon est saturé de bavardages.

J’espère que tous ceux qui prétendent savoir ce qui est arrivé à l’État syrien la dernière semaine de son existence [semaine du 8 décembre 2024], cessent d’avancer des analyses dont ils ignorent les détails.

Je pense aussi qu’il serait plus convenable que quiconque impute au seul président Al-Assad la responsabilité de la tragédie syrienne [et de ses conséquences régionales] respecte son silence qu’il soit volontaire ou probablement forcé. En effet, il se peut qu’il soit contraint de garder le silence pour des raisons que nous ignorons. Sinon, comment expliquer qu’un homme qui tenait le destin de la région entre ses mains disparaisse sans communiqué ou conférence de presse, sans même une apparition, en dépit de la propagation de milliers de rumeurs et des multiples massacres [notamment de Syriens alaouites, chrétiens et druzes] survenus depuis son éloignement.

La plus absurde des rumeurs concerne son retour ou ses prochaines prises de parole. Une rumeur propagée par les services de renseignement chaque fois qu’ils sentent que même les Syriens sunnites [qui ne sont pas épargnés] commencent à s’agiter et à désavouer Al-Joulani et ses gangs au point d’approcher l’explosion du système terroriste mis en place grâce à leurs efforts.

Ce qui rend les sunnites « extrémistes » encore plus furieux, oubliant que leur pays est vendu à des sociétés étrangères, oubliant l’accumulation des ordures dans tous les aspects de leur vie, oubliant la perte de leur Sud envahi par Israël, oubliant la perte de leur nord-ouest désormais inféodé à la Turquie, oubliant la perte de leur nord-est et donc de leur grenier et de leurs puits de pétrole aux mains des États-Unis, oubliant que les Européens et d’autres s’approprieront leur côte méditerranéenne par la force…

Autrement dit, bien qu’Al-Assad détienne la vérité, l’accord international [ayant abouti à la remise du pouvoir entre les mains d’Al-Joulani] ne permettra pas au peuple syrien de l’entendre, si bien que la confusion, le chaos, les spéculations et la détresse persisteront, et les analystes fanfarons continueront à bavarder tels des diseurs de bonne aventure.

Ainsi, il y a quelques jours, le libanais qui se présente en tant que spécialiste des affaires régionales, Khalil Nasrallah, nous a gratifiés d’une émission télévisée [5], affirmant qu’« Al-Assad avait poignardé l’Axe de la Résistance en plein cœur ». Ce que j’entends comme une tentative d’atténuer la part de responsabilité de ce même Axe quant à la chute de l’État syrien…

Je ne suis pas ici pour défendre ou juger le président Al-Assad. Seule l’Histoire jugera les dirigeants et les événements. Il n’empêche qu’il a indubitablement mené la bataille la plus difficile de notre histoire. Il a eu raison et a pu commettre des erreurs. Mais nous aussi devons dire où nous avons eu raison et où nous avons commis des erreurs.

Par conséquent, il ne s’agit pas d’échanger des coups de poignards, mais de juger l’Axe dans son ensemble, car M. Khalil Nasrallah n’a pas répondu à la question suivante : «  Où l’Axe a-t-il commis des erreurs et où les alliés ont-t-il trahi le président Al-Assad, la plupart du temps involontairement, mais parfois intentionnellement ? ».

Dans le cas de la région d’Idleb [devenue le fief de l’émirat islamiste d’Al-Joulani], la Russie et l’Iran s’étant portés garants d’Al-Assad, la Turquie étant garante des milices armées anti-gouvernementales [dans le cadre des réunions d’Astana], la Russie a empêché Al-Assad de s’en prendre à cet émirat [soutenu par la Turquie] pour ne pas contrarier Erdogan.

Et c’est avec l’approbation de la Russie que la Turquie a envahi nos terres et a pu établir ses bases dans le nord du pays. Des bases où le plan de changement du régime syrien a pu être soigneusement préparé.

« Pour rappel,

Août 2016 : premier feu vert donné par le président Poutine à l’armée turque entrée à Jarablos, Al-Bab et A’zaz, trois villes du Nord-Ouest syrien lors de l’opération militaire baptisée par les Turcs «Opération bouclier de l’Euphrate».

Janvier 2018 : deuxième feu vert donné par le président Poutine à l’armée turque pour envahir Afrin, ville syrienne que les Kurdes ont refusé de remettre à l’Armée syrienne, lors de l’opération militaire baptisée par les Turcs : «Opération rameau d’olivier».

Octobre 2019 : « accord turco-russe » dont les détails sont résumés par la carte ci-dessous ».[[6] ; Ndt].

L’Iran aussi était préoccupé par le mécontentement d’Erdogan et ne voulait pas le contrarier ; ce qui a également protégé les terroristes réfugiés à Idleb d’une intervention militaire envisagée par le président Al-Assad.

Quant à la réduction de la présence iranienne en Syrie, elle exprimait sa volonté de mettre fin à la guerre et d’apaiser les tensions, confiant que les garanties russe et iranienne ne permettraient pas à la Turquie de les violer. Mais la Turquie a ouvertement préparé, entraîné et armé les prétendus révolutionnaires, puis les a ouvertement poussés en terre syrienne sous les yeux des deux garants. Qu’ils aient été surpris, la vérité est qu’Al-Assad a rempli ses engagements, mais que l’Iran, et particulièrement la Russie, n’ont pas respecté leurs garanties, intentionnellement, par négligence, erreur, faute, mauvais calcul, ou manque de compréhension d’Erdogan, qu’Al-Assad comprenait mieux que quiconque.

Ce qui nous explique pourquoi il n’a pas rencontré Erdogan. La vérité est que les communications entre les deux hommes n’ont pas cessé, mais Erdogan voulait se rendre à Damas sans s’engager à se retirer d’Idleb et d’autres territoires qu’il considérait comme un prix de consolation. De plus, il avait posé une condition indiscutable, à savoir l’installation d’un gouvernement « frériste » dont certains membres seraient toujours nommés par la Turquie. Ce qui signifie qu’Istanbul deviendrait la porte d’entrée à Damas comme c’est le cas aujourd’hui, vu qu’Al-Joulani repose sur Hakan Fidan, le ministre turc des Affaires étrangères, et d’Ibrahim Kalin, le chef du renseignement turc, qui décident de tout à sa place.  Mais Al-Assad a refusé d’être une marionnette entre les mains de la Turquie. Le plus étrange est que la Russie n’ait pas vu d’inconvénient à ce qu’il accepte de le devenir.

Et lorsque les Israéliens bombardaient le sud de la Syrie, Al-Assad ne pouvait pas  répliquer, car l’allié russe ne voulait pas embarrasser Israël ou provoquer les États-Unis. De son côté, l’allié iranien avait clairement décidé d’éviter tout affrontement, comme en témoigne l’absence de riposte suite à l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani.

De plus, la pression économique était très forte, surtout sur la classe loyaliste et militaire, les États-Unis ayant privé les Syriens de leur pétrole dans l’intérêt de leurs projets communs avec Netanyahou. La Russie ne l’ignorait pas, mais elle s’est abstenue d’accorder ce qu’elle était en mesure de fournir : notamment du pétrole pour remettre en marche la machine électrique et économique. Alors que chaque navire en partance de l’Iran assiégé vers la Syrie était poursuivi par tous les navires du monde, surveillé et intercepté, pendant que les forces militaires étatsuniennes étaient postées aux côtés des prétendues « forces démocratiques syriennes » [FDS] au milieu de la route terrestre entre l’Iran et la Syrie. Par conséquent, chaque camion arrivé au poste-frontière d’Al-Qaïm [ou Boukamal, situé à la frontière syro-irakienne] était immédiatement bombardé.

Et c’est dans le cadre de cette énorme pression économique que les Arabes ont présenté à Al-Assad une offre conçue par les Israéliens et les Étatsuniens. Cette offre les aurait autorisés à fournir une aide financière, et Israël aurait cessé de bombarder le sud de la Syrie, s’il était vidé de toute présence iranienne. Ses officiers et ses généraux faisaient également pression sur lui pour qu’il aille dans cette direction.

Bien que le risque fût réel, Al-Assad n’avait pas d’autres options, d’autant plus que confiant dans les garants russe et iranien censés freiner une attaque venue du nord, la percée économique obtenue en répondant à la demande américaine de libérer le sud de la présence iranienne aiderait le pays à sortir de l’impasse en stimulant l’économie, en consolidant les institutions étatiques, et en lançant des initiatives politiques sans céder aucune terre dans le nord ou dans le sud.

Mais la guerre avait trop duré et la vision stratégique avait changé dans le camp des alliés, notamment en Russie, où il est devenu évident qu’un lobby russe contrôlait les décisions du Kremlin. Par conséquent, refuser l’offre des Arabes signifiait qu’il devait combattre seul à la tête d’une armée épuisée…

L’Histoire aura son mot à dire sur la suite. Ne tirez donc pas de conclusions hâtives. Quant à nous, nous ne nous fierons à aucune propagande d’où qu’elle vienne. Nous ne tiendrons compte que de la parole du président absent lorsqu’il pourra s’exprimer.

Naram Sarjoun

17/08/2025

Source ; Bloc de l’auteur,

من ذا الذي يطعن القلب في القلب .. ؟ الرجل الغائب لو تحدث !!

Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Notes :

[1][Syrian, Israeli officials discussed ‘regional stability’ in Paris]

[2][les États-Unis proposent à l’Arménie de gérer le corridor de Zanguezour vers l’Azerbaïdjan]

[3][En déclarant être sensible au « Grand Israël », Netanyahu suscite l’ire de pays arabes]

[4][ 31 pays arabes et islamiques : les déclarations de Netanyahu sur le « Grand Israël » constituent une menace pour la sécurité nationale arabe.]

[5][ هل طعن بشار الأسد المحور بالقلب؟]
https://www.youtube.com/watch?v=DonuHHpZI4k&ab_channel=Alwaaqe3%7C%D8%A7%D9%84%D9%88%D8%A7%D9%82%D8%B9

[6][Syrie : Des conséquences de l’accord russo-turc du 22 octobre 2019

Source : Mouna Alno-Nakhal

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