Par Marc Vandepitte

Après des années de confrontations indirectes, Israël est désormais passé à une guerre ouverte contre l’Iran. Ce qui avait commencé comme une série d’attaques de précision contre des cibles militaires s’avère faire partie d’une stratégie beaucoup plus large visant à affaiblir l’État iranien et à réorganiser durablement l’équilibre des forces dans la région.

Aux premières heures du 13 juin, Israël a entamé une guerre directe avec l’Iran, après des décennies de guerre de l’ombre composée d’assassinats ciblés, de cyberattaques et de confrontations indirectes, de Damas à la mer Rouge.

La règle non écrite était d’escalader sans que la situation ne devienne incontrôlable. Avec une attaque surprise des services de renseignement israéliens et de lourds bombardements, suivis d’une riposte iranienne contre des objectifs militaires et des infrastructures stratégiques en Israël, cette limite a désormais été franchie.

Objectif de cette guerre

La situation s’aggrave rapidement et montre les signes d’un conflit bien plus vaste que la seule prétendue démilitarisation nucléaire. Netanyahou a déclaré ouvertement qu’il visait un changement de régime en Iran.

La probabilité que cela se produise est faible. D’un côté, il existe un grand mécontentement en Iran. De nombreux jeunes rejettent le mode de vie traditionnel strict et le paternalisme clérical. En raison des sanctions économiques imposées par les États-Unis, l’économie va très mal, la pauvreté est omniprésente et un quart des jeunes est au chômage. Le système politique est théocratique et peu transparent. Les Iraniens sont las de la corruption généralisée et de la répression brutale.

D’un autre côté, le gouvernement peut encore compter sur le soutien d’une part importante de la population conservatrice et religieuse, surtout en milieu rural, mais aussi partiellement dans les villes. De plus, les bombardements d’un agresseur étranger tendent à resserrer les rangs.

Un changement de régime est sans doute trop ambitieux, mais un objectif plus réaliste serait la neutralisation de l’Iran en tant que puissance régionale secondaire. L’objectif à long terme des États-Unis au Moyen-Orient est de fragmenter les États en entités plus petites et plus faibles, incapables d’agir de manière autonome, et, dans le meilleur des cas, dirigées par des forces pro-américaines.

Cela s’inscrit dans l’effort du « collectif occidental » pour empêcher l’émergence de pays rebelles ou de blocs de pouvoir alternatifs qui pourraient menacer cinq siècles de domination mondiale. Cette motivation découle de la nature même du capitalisme global et de son instinct de survie par l’impérialisme.

Au sein du bloc anti-hégémonique (incluant la Russie, la Chine et la Corée du Nord), l’Iran, sans armes nucléaires, représente le maillon faible. Au Moyen-Orient, l’objectif est de créer une région où aucun pays ne serait plus grand ni plus puissant qu’Israël, afin que celui-ci puisse garantir sa domination régionale. Pour atteindre cet objectif, Israël est censé faire le sale boulot.

À cette fin, il est armé par les États-Unis et leurs alliés occidentaux avec les armes les plus létales et les plus avancées, et peut également compter sur un soutien militaire et logistique de Washington.

Stratégie

Selon des analystes, Israël applique aujourd’hui en Iran la même stratégie qu’il avait utilisée précédemment au Liban : assassinats ciblés de dirigeants militaires, destruction de systèmes de communication et bombardements de précision sur des cibles préalablement sélectionnées. Cette stratégie s’est en tout cas révélée efficace au Liban.

Par ailleurs, l’État sioniste tente de perturber l’approvisionnement en pétrole du pays. Tel-Aviv a laissé entendre dimanche que lors des récentes attaques en Iran, il avait frappé des dépôts de carburant servant à la fois à l’approvisionnement civil et militaire. L’objectif n’est pour l’instant pas de gêner les exportations de pétrole — principalement à destination de la Chine — mais de perturber l’approvisionnement intérieur de l’Iran.

Après les attaques contre des installations militaires et nucléaires, les frappes contre les infrastructures énergétiques marquent une nouvelle phase, avec le même but : paralyser les infrastructures de défense et affaiblir le gouvernement ainsi que la société.

Un scénario possible serait similaire à ce qui s’est produit en Irak et en Syrie. Dans les deux pays, l’autorité centrale et l’armée ont été fortement affaiblies, et le territoire a été de facto morcelé en zones échappant au contrôle du gouvernement. Dans les deux cas, cela s’est produit à la suite d’une agression militaire extérieure et de la division des groupes de population les uns contre les autres.

Quelque chose de similaire sera également tenté en Iran. Comme en Irak et en Syrie, les Kurdes y représentent une importante minorité.

Rôle des États-Unis

Selon le journaliste d’investigation Ben Norton, l’attaque israélienne contre l’Iran n’est pas une action unilatérale, mais le résultat d’une opération coordonnée entre Israël et les États-Unis, approuvée et dirigée par l’administration Trump.

Alors que les États-Unis participaient publiquement à de soi-disant négociations de paix sur un nouvel accord nucléaire avec l’Iran, Trump aurait secrètement aidé Israël à préparer l’attaque. Il a fourni des armes, notamment 300 missiles Hellfire, a donné accès aux renseignements américains et a personnellement approuvé l’attaque.

Trump avait donné à l’Iran un “ultimatum” de 60 jours pour accepter un accord — le jour 61 est devenu le moment de l’attaque. Trump s’est vanté publiquement de l’attaque, l’a qualifiée de “massacre” et a déclaré que “beaucoup d’autres allaient suivre”.

Des responsables ont affirmé que les États-Unis n’étaient pas impliqués, mais selon Norton, des informations divulguées et des reportages médiatiques montrent que les États-Unis ont fourni un soutien militaire et logistique crucial, et ont même intercepté des missiles iraniens lorsque l’Iran a riposté.

Ils avaient d’ailleurs déjà fait cela lors des précédentes attaques de missiles en provenance d’Iran (en avril et octobre 2024). À ce jour, il n’est pas encore clair si les États-Unis participeront directement aux attaques israéliennes. Il semble qu’au sein de son gouvernement, tout le monde ne soit pas encore sur la même longueur d’onde.

Trump a en tout cas déjà déplacé un porte-avions nucléaire de la mer de Chine méridionale vers la mer d’Arabie, pour renforcer, aux côtés de l’USS Carl Vinson et de plusieurs destroyers, une présence dans la région semblable à celle de l’OTAN. En outre, des dizaines d’avions ravitailleurs ont été envoyés en Europe, prêts pour des opérations au-dessus du Moyen-Orient.

Pourquoi maintenant ?

Washington et Tel-Aviv estiment que le moment est venu d’attaquer l’Iran et de tenter de lui porter un coup fatal. La destruction des systèmes de défense aérienne iraniens par Israël il y a quelques mois, la chute du gouvernement d’Assad et l’installation d’un régime “sous contrôle” là-bas, le quasi-effondrement du Hezbollah au Liban et la dévastation de Gaza — ces facteurs ont fortement fait pencher l’équilibre des forces régionales en faveur d’Israël et de ses alliés occidentaux.

La manière dont ce conflit va évoluer est pour l’instant totalement incertaine. Israël a causé de sérieux dégâts militaires lors de ses premières frappes en Iran, touchant des structures de commandement et retardant possiblement certaines parties du programme nucléaire.

Mais l’euphorie initiale en Israël a rapidement laissé place à la lucidité lorsque l’Iran a frappé en profondeur le territoire israélien avec des missiles. La destruction dans les villes israéliennes a fait voler en éclats l’illusion d’invulnérabilité.

Étant donné le grand nombre de missiles balistiques dont dispose Téhéran (environ 2 000), l’Iran pourrait être en mesure de maintenir de tels bombardements pendant encore trois à quatre semaines.

Reste à savoir si l’Iran s’en tiendra là ou s’il ira plus loin, par exemple en bloquant le détroit d’Ormuz, un passage maritime crucial pour le pétrole. Cela ferait fortement grimper les prix du pétrole et aurait des conséquences considérables pour l’économie mondiale.

Si Trump décide, de son côté, de participer directement à l’attaque contre l’Iran, nous entrerons de toute façon dans une nouvelle phase d’escalade aux conséquences incalculables.

Les prochains jours nous le diront.


Sources :

Israel’s war on Iran was made in USA: Trump supported attacks, while faking peace talks
Israel started a war with Iran, but it doesn’t know how it ends
Fuel and Fury: Middle East becomes a Middle East battlefield

Source : Investig’Action
https://investigaction.net/…

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