Des personnes en deuil assistent aux funérailles de Palestiniens tués lors de frappes israéliennes, à l’hôpital Nasser, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, vendredi. Photo : Hatem Khaled/ REUTERS

Par Gideon Levy

Il n’y a pas un seul juste à Sodome

Gideon Levy Haaretz, 25/5/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

En Israël, il y a plus de quelques politiciens et personnalités publiques qui appellent à mettre fin à la guerre. Il y a beaucoup de gens qui se battent courageusement pour la libération des otages. Beaucoup d’autres souhaitent ardemment que le gouvernement actuel soit renversé. Certains craignent pour la position internationale d’Israël, qui devient un État paria. Beaucoup s’inquiètent également des conséquences de l’ostracisme d’Israël et de ses coûts économiques et sociétaux. 

Et il n’y a pas un seul juste à Sodome. Rares sont ceux qui s’inquiètent publiquement non seulement de la réputation et de la moralité d’Israël, mais aussi et surtout du sort des habitants de Gaza.

Aucune personnalité israélienne ne voit son sommeil troublé par les enfants qui hurlent de terreur et de douleur dans les hôpitaux, par les personnes âgées qui sont transportées d’un endroit à l’autre dans des charrettes tirées par des ânes et par l’élimination de familles entières, l’une après l’autre.

La souffrance de Gaza est un bruit secondaire dans la conversation publique, un bruit de fond dans un tout autre débat. Même les meilleurs d’entre nous ne s’intéressent qu’aux implications de la guerre pour Israël.

La voix humaine est absente ; l’humanisme est mort. Il est complètement absent de la politique ; la plupart des intellectuels ont été frappés de mutisme, et il n’y a aucune allusion à cela dans les médias. Il n’y a pas un seul Yeshayahu Leibowitz, Janusz Korczak ou Bertrand Russell pour crier : cela doit cesser quel qu’en soit le prix, à cause de ce que Gaza a subi. L’ensemble de la société israélienne n’a pas l’humanité élémentaire pour être ébranlée par la souffrance des pires victimes.

Le choc humain provoqué par ce qui s’est passé le 7 octobre n’a pas été remplacé par un choc similaire provoqué par ce qu’Israël fait à Gaza. Comment cela se fait-il ? Parce que nous sommes juifs et qu’ils ne le sont pas ? La bonté humaine ne peut-elle pas franchir les frontières et estomper les affinités nationales face à la destruction ? « Ne nous dérangez pas, nous sommes encore au 7 octobre ».

Des enfants palestiniens attendent devant un camion de distribution de repas chauds dans un camp de déplacés près du port de la ville de Gaza, jeudi.
Photo Omar Al Qattaa/AFP

Mais depuis, nous avons commis mille 7 octobre qui n’ont pas réussi à toucher le cœur des Israéliens. Les médias traîtres aident en effet les gens à ne pas voir les horreurs. Mais même sans les médias, on peut savoir qu’une catastrophe épouvantable est en train de se produire là-bas grâce à notre travail.

Les protestations contre ça ne sont pas entendues ici. Les causes de cette situation sont nombreuses, mais rien ne la justifie. Il est évident que les gens se soucient davantage de leurs propres concitoyens, et chaque nation s’occupe d’abord de son propre peuple. Mais ça ? Dans quelle mesure ? Lorsqu’il y a quelques jours, j’ai montré à une parente une horrible vidéo de Gaza, elle m’a demandé machinalement : « Tu es sûr que ce n’était pas une vidéo truquée ? ». Rien ne fissurera le mur de protection que les Israéliens ont construit autour d’eux. Rien à Gaza ne suscite la moindre culpabilité. Nous n’avons même pas le genre de protestation qui a secoué les USA pendant des années, celle contre la guerre du Viêt Nam. Il n’y a pas d’Eugène McCarthy qui se présente avec un programme anti-guerre.

Prenons l’exemple de l’article d’Orna Rinat, paru jeudi en hébreu, qui est peut-être l’article le plus dérangeant publié en Israël au sujet de la guerre. A-t-il fait des vagues ? Où est la personne qui montera sur les podiums pour dire que l’horreur doit cesser avant tout en raison de la souffrance des habitants de Gaza, et au diable toutes les autres considérations savantes ?

L’ancien Premier ministre Ehud Barak, l’un des leaders du mouvement de protestation, a écrit jeudi un autre essai mordant appelant à la fin de la guerre. Je l’ai lu deux fois. Il n’y a pas la moindre trace de compassion ou de sympathie humaine pour la bande de Gaza. La dernière chose qui intéresse Barak, c’est la souffrance qui y règne. Il a de nombreuses explications sur les raisons pour lesquelles la guerre doit être arrêtée. Il parle même de la nécessité d’une « aide humanitaire », principalement pour apaiser le monde. Mais où sont les protestations contre les destructions ?

L’éditorial de l’ancien Premier ministre Ehud Olmert dans le même numéro était à la fois plus courageux et plus humain.

À l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, les Juifs blancs se sont engagés dans la lutte, oui, la lutte contre l’apartheid, aux côtés des Noirs. Ils ont été blessés, emprisonnés pendant des années et sont même morts. En Israël, il n’y a même pas quelqu’un pour exprimer la douleur des victimes.

La guerre doit cesser avant tout parce qu’il s’agit d’une guerre de destruction, qui cause des souffrances inhumaines à la population de Gaza. Il n’y a personne en Israël qui puisse l’exprimer en ces termes.

Source : TLAXCALA
https://tlaxcala-int.blogspot.com/…

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