Par Naram Sarjoun
Il ne devrait y avoir aucun débat sur le droit du peuple syrien à exprimer sa joie suite à la levée des sanctions américaines annoncée par le président des États-Unis, Donald Trump, au Forum d’investissement saoudo-américain 2025 tenu à Riyad le 13 avril courant. Oui, mais…
C’est une annonce qui répond à la demande du président turc Recep Tayyip Erdogan et du prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane comme M. Trump l’a précisé dans son discours, sans jamais prononcer le mot « démocratie » en tant qu’exigence des États-Unis en Syrie :
« Je suis très heureux d’annoncer que le secrétaire d’État Marco Rubio rencontrera le nouveau ministre syrien des affaires étrangères en Turquie dans le courant de la semaine et, surtout, après avoir discuté de la situation en Syrie avec le prince héritier, votre prince héritier, et avec le président turc Erdogan, qui m’a appelé l’autre jour pour me demander une chose très similaire, ainsi qu’avec d’autres amis, des personnes pour lesquelles j’ai beaucoup de respect au Proche-Orient. Je vais ordonner l’arrêt des sanctions contre la Syrie afin de lui donner une chance de s’épanouir… ». [1]
Partant de là et étant donné que l’Arabie saoudite, la Turquie, comme le Qatar, ont été les principaux états régionaux responsables de la chute de l’État syrien prospère et indépendant ; qu’il est indéniable que les sanctions américaines ont atteint leur objectif, le pays étant détruit et appauvri en richesse humaine et matérielle ; que les Syriens sont désormais à la merci de la clique d’Al-Joulani, le terroriste même pas repenti, dont la capture devait être récompensée de 10 millions de dollars par Washington, mais qui aurait plu à M.Trump parce que « jeune, séduisant et costaud » en dépit des massacres qui se déroulent depuis sa prise du pouvoir jusqu’aujourd’hui à Homs, sur la côte syrienne, etc. ; peut-on mettre quelques bémols sur cet hymne joyeux de Syriens portant aux nues Trump, Ben Salmane et Erdogan ?
Savent-ils que les investisseurs de tous bords à qui Al-Joulani a ouvert grand les portes de leur patrie, pour asseoir son pouvoir, sont sincèrement plus joyeux qu’ils ne le sont de la levée des sanctions ? Pensent-ils que les États-Unis ont vraiment freiné les ambitions d’Israël de voler leur terre juste parce que M. Trump a caressé Al-Joulani dans le sens du poil ?
La réponse appartient aux Syriens qui ont vécu la tragédie syrienne, les massacres, les deuils et les privations parfois mortelles des sanctions. Le célèbre écrivain et patriote syrien, Naram Sarjoun, en fait partie et nous répond. [NdT].
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Je sais que vous ne me lirez peut-être pas ni ne m’entendrez, à cause des festivités et des coups de feu assourdissants dont les douilles risquent d’embouteiller les réseaux sociaux, parce que les imbéciles dansent de joie suite à l’annonce du « deal » payé avec la chair de la Syrie, son cœur et son sang.
Je sais que ceux qui se prosternent et louent Dieu matin et soir, à cause de la bénédiction du président des États-Unis d’Amérique, ne se soucieront pas plus de mes paroles, car les musulmans sont devenus des « adorateurs de Trump », lequel s’est montré satisfait d’eux et a accepté Al-Joulani en tant que support de leur foi.
Personne ne s’attendait à l’approche généreuse de Trump envers Al-Joulani parce qu’il n’y était pas obligé. Mais le fait est qu’il obtiendra tout ce qu’il voudra de lui et des Arabes sans accorder aucune concession. En effet, son annonce dit clairement que la Syrie d’Al-Joulani a accepté un traité de paix avec Israël et qu’elle s’est retirée du conflit arabo-sioniste.
Plus précisément, cette annonce dit que les hauteurs du Golan sont désormais officiellement cédées, vendues ou louées pour 99 ans. Elle dit aussi que, comme convenu avec le gouvernement Al-Joulani, les hauteurs du mont Hermon sont également cédées à l’État israélien ; que le Sud de la Syrie est démilitarisé, soumis au contrôle israélien et n’a le droit de disposer de ses richesses et de ses eaux sans l’approbation d’Israël. En conséquence, le gouvernement syrien n’aura qu’une présence formelle dans les provinces du sud, qui bénéficieront d’un régime autonome formellement lié à Damas, mais dont les relations économiques et commerciales seront implicitement liées à Israël.
Autrement dit, le statut du Sinaï démilitarisé sera appliqué au sud de la Syrie, le gouvernement d’Al-Joulani s’étant engagé à poursuivre tout acte hostile contre Israël et à sécuriser les frontières israéliennes. Et les forces de sécurité syriennes agiront comme les forces de sécurité palestiniennes de Mahmoud Abbas contre tout acte de résistance à l’occupation israélienne.
Concernant l’Est syrien, Al-Joulani et son équipe ont convenu qu’il n’y aurait aucune ingérence de leur part et que son administration sera laissée aux autorités des FDS [Forces Démocratiques syriennes dominées par les Kurdes] qui jouiraient d’une relative indépendance. À noter que l’annonce de Trump a coïncidé avec l’annonce, deux jours plus tôt, de la dissolution du Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK] en Turquie. Ce qui signifie que Trump a désormais confié la question kurde aux FDS, lesquelles ont transféré leurs armes de Turquie vers la Syrie. Par cette opération, la Turquie a donc exporté son fardeau kurde vers la Syrie où le PKK transférera ses cadres et ses membres pour construire le Rojava à ses dépens.
Quant au Nord de la Syrie et plus précisément le gouvernorat d’Alep, le gouvernement américain a convenu avec Erdogan qu’il sera sous tutelle turque. Ce qui signifie que la Turquie aura un contrôle absolu jusqu’aux frontières de Homs.
En revanche, la côte syrienne reste un sujet à l’étude entre les États-Unis et le partenaire russe. Les Turcs proposent que le gouvernement Al-Joulani accorde aux États-Unis des investissements dans le gaz et le pétrole syriens, ainsi que des bases militaires en Syrie, tout en réservant une petite part à la Russie et à la Turquie.
Les Turcs proposent aussi de maintenir la côte syrienne dans un statut moins indépendant que le Sud et l’Est de la Syrie, car elle pourrait voir le retour de l’Iran et doit rester contrôlée par la peur. D’où la fonction des massacres des Alaouites au cas ils songeraient à une alliance avec l’Iran. Et si l’accord de paix irano-américain se concrétise, la côte syrienne est candidate à l’auto-administration sur laquelle le gouvernement syrien n’aura aucune autorité et aura le droit de conclure des accords économiques avec les États-Unis sans en référer à Damas.
La raison pour laquelle Trump et Netanyahou veulent donner à Al-Joulani un tel élan est simple : Al-Joulani signera le traité de paix avec Israël en tant que représentant de l’islam étant donné qu’il est un djihadiste sunnite. En effet, Israël doit faire la paix avec l’islam politique afin que l’islam et ses représentants renoncent à leurs lieux saints en Palestine occupée. La signature de l’accord de paix par Al-Joulani constitue donc la reconnaissance par l’Islam de la judéité d’Israël et l’acte de concession de la mosquée d’Al-Aqsa et de Jérusalem à Israël. Cela libère Erdogan et le royaume d’Arabie saoudite du fardeau moral de la vente de ces deux lieux saints de l’Islam.
La légitimité des djihadistes qui ont signé le document de concession viendrait du fait qu’ils ont obtenu le pouvoir par une conquête musulmane qui leur donnerait la force morale d’agir à leur guise. Ce sont les conquérants. Le conquérant peut faire ce qu’il veut car il est le plus compétent en matière d’affaires et d’intérêts des musulmans. À partir d’un tel raisonnement, nous comprenons pourquoi l’administration américaine a soutenu le projet d’islamisation de la région et a soutenu les Frères musulmans en Turquie, en Syrie, en Égypte et même en Tunisie. Elle voulait une signature légale approuvant la vente d’Al-Aqsa et de Jérusalem à Israël. Pour cela, il lui fallait un dirigeant musulman sunnite. Lorsque l’ex-président égyptien Mohamed Morsi a échoué, elle a immédiatement pris Al-Joulani à son service.
Et après la signature de l’accord de paix avec Israël par les islamistes syriens, l’Arabie saoudite pourra justifier un accord de paix et de normalisation avec l’֤État sioniste, car le régime syrien prétendument successeur des Omeyyades, musulman sunnite, frériste et djihadiste a déclaré la fin du djihad avec les Juifs et s’est réconcilié avec eux. C’est pourquoi Mohammed ben Salmane a applaudi avec enthousiasme l’annonce de la levée des sanctions et a sauté de joie comme lorsqu’un footballeur favori marque un but. Il ne sera plus gêné par un tel accord.
Mais la raison la plus importante de l’annonce de la levée des sanctions par Trump est qu’Al-Joulani a accepté de mettre en œuvre la partie la plus dangereuse de l’accord, celle qui consiste à se joindre à la bataille de règlement des comptes avec le Hezbollah libanais, l’une des dernières poches de résistance qu’Israël veut éliminer. D’où une deuxième raison pour laquelle l’administration américaine n’a pas encore décidé du statut de la côte syrienne : la crainte que des cellules dormantes ne participent à la prochaine bataille avec le Hezbollah une fois qu’Al-Joulani l’aura lancée en coordination avec Israël.
Ensuite, il est probable qu’Al-Joulani accepte de travailler avec les États-Unis pour combattre les Forces irakiennes de mobilisation populaire afin d’expulser l’Iran d’Irak. Deux éliminations censées précéder la chute de l’Iran soit pacifiquement, soit par la guerre, afin d’exclure définitivement la Chine et la Russie de toute compétition après avoir fermé le Moyen-Orient à ces deux pays.
Pour finir, voici le résumé du prix de la levée des sanctions, que des imbéciles célèbrent comme ils ont célébré la chute de leur pays et de leur État :
- Signer un traité de paix entre la Syrie et Israël.
- Créer une ambassade d’Israël à Damas.
- Prendre ses distances avec la question palestinienne, modifier les programmes scolaires et éducatifs, enseigner aux générations futures que les frontières sud de la Syrie sont Israël et la Jordanie avec des cartes géographiques d’ores et déjà imprimées.
- Accepter la judaïsation de Jérusalem et d’Al-Aqsa.
- Accepter la judéité de l’État israélien et le transfert de population.
- Le plateau du Golan est désormais israélien.
- Le mont Hermon est désormais israélien.
- Le Sud de la Syrie est une région auto-administrée.
- La Syrie de l’Est est kurde et la Turquie est soulagée du casse-tête kurde pour au moins dix ans.
- Alep est devenue turque.
- Les djihadistes du monde entier se concentreront à Damas et dans le centre de la Syrie pour lancer des batailles djihadistes au sud du Liban, puis en Irak, puis en Asie et en Afrique.
- Les djihadistes syriens participeront à la guerre contre le Hezbollah et faciliteront le recrutement de tous les immigrants djihadistes qui souhaitent rejoindre la bataille pour achever le Hezbollah et les dernières poches de l’Iran.
- La côte syrienne est une plaque tournante internationale avec un projet d’indépendance à venir après l’expiration du mandat d’Al-Joulani.
- Toutes les richesses de la Syrie ont été cédées à des entreprises américaines, britanniques, françaises et allemandes… et Israël aura sa part.
- Un prix exorbitant… pour une barbe, un voile et un président sunnite !
C’est le sens de l’annonce de Trump car la levée des sanctions doit précéder une déclaration de paix avec Israël pour qu’elle soit légitime, et pour qu’Al-Joulani soit légitimé en tant que conquérant qui a levé les sanctions et allégé le fardeau du peuple syrien. Il est donc devenu un héros comme le président égyptien Anouar al-Sadate est devenu un héros de la paix lorsqu’il a lâché la Syrie pendant la guerre israélo-arabe d’Octobre 1973.
Le prix exorbitant payé par les islamistes pour une telle reconnaissance étrangère sera payé par les générations futures pendant des décennies. Et cette génération devra rendre des comptes pour ce crime et ce suicide collectif, À moins qu’une force inattendue n’apparaisse, les musulmans verront bientôt le Dôme de la mosquée Al-Aqsa détruit et seront humiliés pour toujours, car quiconque vend la Syrie et la mosquée d’Al-Aqsa vendra la Kaaba.
C’est donc ici que l’histoire commence ou prend fin. L’avenir nous le dira. Les adorateurs de Trump veulent une chose, mais Dieu pourrait vouloir autre chose…
Naram Sarjoun
14/05/2025
Source ; Le blog de l’auteur
الآن أعلن ترامب توقيع السلام بين سورية واسرائيل .. وبيع الجولان رسميا .. والتنازل عن الأقصى .. نهاية التاريخ ..
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : Mouna Alno-Nakhal
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