Par Régis de Castelnau

La fort brillante tête de liste aux élections européennes embauchée par Emmanuel Macron pour succéder à Nathalie Loiseau, dont la niaiserie était déjà pourtant vertigineuse, nous a mis en garde.

Il est minuit moins une, vraiment ?

C’est le retour des heures sombres, nous dit-elle, des terribles années 30 avec Marine Le Pen dans le rôle de Daladier et Victor Orban dans celui de Neville Chamberlain. « Édouard Daladier et Neville Chamberlain hier, Marine Le Pen et Viktor Orban aujourd’hui. Les mêmes mots, les mêmes arguments, les mêmes débats. Nous sommes à Munich en 1938. […] Il est minuit moins une ». L’imbécillité de cette comparaison saute aux yeux mais la petite musique sur le retour des heures sombres vise en fait à disqualifier toute critique des politiques françaises et européennes quand celles-ci portent sur les rodomontades va-t-en-guerre de Macron, où le soutien unilatéral de l’État d’Israël dans sa guerre meurtrière contre le peuple palestinien. Ceux qui préconisent l’arrêt de la tragédie ukrainienne et l’usage de la diplomatie vis-à-vis de la Russie sont traités de « capitulards » et pour faire bon poids de « collabos » d’un Poutine qualifié nouvel Hitler. Le tout dans une bouillie historique qui oublie de rappeler que ce sont précisément les Russes qui nous ont débarrassé d’Hitler et que c’est l’actuel pouvoir de Kiev qui glorifie les Ukrainiens ayant fait le choix du nazisme génocidaire.

Ceux qui demandent l’arrêt du massacre infligé par l’État d’Israël à la population civile de la bande de Gaza, sont bien sûrs d’abord traités d’antisémites, ou d’antisionistes qualificatif devenu encore pire. Mais dans la mesure où les Palestiniens sont majoritairement musulmans et que le Hamas se revendique d’un islam frériste, ce qui se joue à Gaza est ni plus ni moins que le combat pour sauver la « civilisation occidentale judéo-chrétienne ». Et c’est la ruée, intellectuels, écrivains, journalistes, politiques, chrétiens, athées, revendiquent soudain leur appartenance à cette « magnifique » civilisation et apportent bruyamment leur « soutien inconditionnel » à l’armée israélienne qui la protège en bombardant les femmes et les enfants palestiniens. Jusqu’à Philippe de Villiers offrant à William Golnadel une « fraternité de tranchée » pour ce combat, l’assurant qu’il irait le chercher « jusque dans les barbelés ». C’est Alain Finkielkraut assurant que la guerre faite à la population de Gaza est « l’intérêt du peuple palestinien ». C’est Michel Onfray, se présentant en défenseur la civilisation judéo-chrétienne, disant son exaspération des « jérémiades palestiniennes », pour rallier avec armes et bagages le camp du bien des BHL, Christophe Barbier, Gilles Herzog, Manuel Valls, Sylvain Tesson et autres libertaires girondins bien connus. La liste est longue qui comprend aussi Éric Naulleau, Geoffroy Lejeune, Céline Pina, Eugénie Bastié, Jean-Pierre Denis tant d’autres…

Deux croisés emblématiques

Revenons sur deux exemples qui expriment la nature de cet engagement. Il y a d’abord Éric Zemmour hérault infatigable de la guerre de civilisation, et qui après s’être rendu au mur des lamentations de Jérusalem pour soutenir Israël dans sa riposte au 7 octobre, n’hésite pas. Dans son discours d’ouverture de campagne européenne, après un panorama historique infantile, il assène « nous sommes en Europe la civilisation qui a rendu l’humanité adulte, gloire à elle, gloire à nous ! » Et vous vous rendez compte, cette merveille est attaquée par les êtres inférieurs que sont les musulmans. Oubliées les autres civilisations parfois grandioses, oubliés les massacres, les génocides, l’esclavage le colonialisme, les guerres mondiales qui ont accompagné les cinq siècles de domination occidentale. Non l’Histoire n’est pas tragique, au contraire de ce que Hegel nous a enseigné, elle n’est ni dialectique ni contradictoire, l’Occident n’est capable que du meilleur, jamais du pire. Quant à Paul Valéry disant après la première guerre mondiale « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », c’est un plaisantin. On connaît les obsessions d’Éric Zemmour et il n’y a là aucune surprise.

En revanche chez d’autres, cela peut paraître plus surprenant, en particulier lorsque cela vient de catholiques militants desquels on aurait pu attendre un minimum de compassion chrétienne pour les milliers d’enfants innocents de Gaza massacrés. C’est Jean-Pierre Denis, qui fut rédacteur en chef de l’hebdomadaire « La Vie » venant sur Twitter insulter Jean-Pierre Mignard chrétien lui aussi, pointant le massacre en rappelant imparablement sa dimension occidentale : « la Shoah, l’apartheid, et les crimes de Gaza ont un lieu de conception commun, l’Occident ». Bardé de sa morale chrétienne élevée, Denis tance d’importance son coreligionnaire déviant : « Certains êtres font naufrage, comme de vieux bateaux sans gouvernail. Leurs démons intérieurs les égarent et leur âme se brise sur les récifs des réseaux sociaux. » Mais enfin Mignard, pauvre épave, vous ne savez donc pas ? La Shoah c’est le grand Mufti de Jérusalem ! L’apartheid, (laissé par les Britanniques), c’était des noirs qui dominaient les blancs venus d’Europe ! Le massacre des innocents de Gaza ce sont des Esquimaux qui le commettent ! Hitler était chinois, Hendrik Verwoerd (architecte de l’apartheid) papou, et Nétanyahou est originaire du pôle Sud ! Parce que, comprenez-vous, l’Occident c’est la pureté, l’exceptionnalité, l’inculpabilité, toujours.

D’Addis Abeba à Gaza : Eric Zemmour, sors de ce corps…

Que nous dit finalement cette mobilisation de tous ces intellectuels, en défense d’une civilisation supérieure et en danger. Elle raconte l’indéracinable sentiment de supériorité, ou si l’on préfère le suprémacisme occidentaliste. Mais aussi l’angoisse devant un monde qui se dérobe à cette domination, qui la conteste et qui a manifestement emprunté le chemin pour y mettre fin. La civilisation occidentale qui s’est imposée au monde a fait des choses magnifiques et grandioses mais comment nier qu’elle les a accompagnées d’horreurs. L’Holocauste a vu l’extermination méthodique avec les moyens de la modernité industrielle d’un peuple choisi sur la base de critères prétendument scientifiques et pourtant absurdes. Il a été réalisé par la Nation la plus civilisée d’Europe, et avec l’accord de tout son peuple. Alors s’il faut continuer à aimer ce dont nous sommes issus, il y a urgence à regarder les choses en face et cesser de nous aveugler, de nous inventer des prétextes et de nous laisser dominer par nos peurs. Et surtout à se débarrasser de ce sentiment de supériorité qui nous amène à justifier les enfants morts de Gaza au nom de la défense de « valeurs » qui n’expriment pour l’instant que notre part la plus sombre. Dominique de Villepin a raison qui pointe la catastrophe morale que subit l’Occident vis-à-vis du reste du monde et dont il sera difficile de nous remettre.

Alors si les années 30 ont véhiculé des « heures sombres », cette défaillance d’une partie de l’intelligentsia et de nos « élites » y renvoie également. Oh, avant Munich, mais c’est bien oublié aujourd’hui.

Le 3 octobre 1935, les troupes de l’Italie de Benito Mussolini avaient envahi l’Éthiopie, État africain indépendant, membre de la Société des Nations (SDN), lui infligeant une guerre coloniale atroce. Pour la première fois la SDN condamnait explicitement l’agression italienne et prononçait quelques sanctions qui se révéleront inapplicables. Lancée par Henri Massis écrivain maurassien, une pétition soutenant l’invasion fut lancée et recueillit un nombre considérable de signatures. Rassemblant académiciens, poètes, écrivains, cinéastes, parlementaires, il fut le texte le plus signé de l’entre-deux-guerres. Les termes utilisés montrent à quel point les mêmes causes produisent les mêmes effets. Et que beaucoup des arguments utilisés aujourd’hui au soutien d’Israël apparaissent singulièrement comme le recyclage de ceux de 1935, venant au soutien d’une agression coloniale meurtrière.

Intitulé : « Manifeste des intellectuels français pour la défense de l’Occident et la paix en Europe » on pouvait y lire les choses suivantes : « Lorsque les actes des hommes à qui le destin des nations est confiée, risquent de mettre en péril l’avenir de la civilisation, ceux qui consacrent leurs travaux aux choses de l’intelligence se doivent de faire entendre avec vigueur la réclamation de l’esprit. » Éric Zemmour, sors de ce corps…

« On n’hésite pas à traiter l’Italie en coupable à la désigner au monde comme l’ennemi commun – sous prétexte de protéger en Afrique l’indépendance d’un amalgame de tribus incultes [….] Par l’offense d’une coalition monstrueuse, les justes intérêts de la communauté occidentale seraient blessés, toute la civilisation serait mise en posture de vaincue. [….] C’est à cette alliance désastreuse que Genève prête les redoutables alibis d’un faux universalisme juridique qui met sur le pied de l’égalité le supérieur et l’inférieur, le civilisé et le barbare […] Aussi les soussignés croient-ils devoir s’élever contre tant de causes de mort, propres à ruiner [….]toutes choses que l’Occident a tenues jusqu’ici pour supérieures et auxquelles il a dû sa grandeur historique avec ses vertus créatrices. »

On sait comment Benito Mussolini a fini à la fin de la deuxième guerre mondiale. Concernant les signataires beaucoup furent confrontés, du fait de leurs engagements postérieurs, qui à Vichy, qui dans la collaboration, à l’indignité nationale, à la paille humide des cachots, voire au peloton d’exécution dans les fossés de Vincennes. Il n’est pas question évidemment de souhaiter un tel sort aux tenant de cette nouvelle croisade. Mais de relever cette curieuse parenté.

Et également de rappeler que les heures sombres ne sont pas à géométrie variable. En constatant que les quelques formules ci-dessus reproduites, résonnent d’un écho déplaisant avec ce que l’on entend aujourd’hui de la part de ceux, qui approuvent ou s’accommodent de ce qu’Israël a entrepris à Gaza, depuis maintenant six mois.

Source : Vu du Droit
https://www.vududroit.com/…