Par Paul Robinson

Les informations selon lesquelles des troupes russes se « massent » près de l’Ukraine visent à présenter le pays en légitime défense comme l’agresseur.

Par Paul Robinson, professeur à l’Université d’Ottawa, spécialiste de l’histoire russe et soviétique, de l’histoire militaire et de l’éthique militaire.

Source : RT, 5 avril 2021

Traduction : lecridespeuples.fr

Alors que les tensions s’intensifient dans l’est de l’Ukraine, le vrai danger n’est pas une invasion russe, mais que le gouvernement ukrainien fasse interprète les signaux de soutien américains comme un feu vert pour lancer une attaque contre les Républiques rebelles du Donbass.

La Russie est sur le point d’envahir l’Ukraine. Du moins, c’est ce que vous pensez probablement si vous croyez les gros titres récents des médias dominants. « Les tensions montent en flèche alors que la Russie masse ses forces près de l’est de l’Ukraine », déclare le Kiev Post. « Les troupes et les chars russes se massent à la frontière ukrainienne », déclare le Sun britannique. La Russie « inonde la Crimée de trains remplis de chars », affirme le Daily Mail. Etc., etc.

Les ruines du monastère des femmes Iversky à la périphérie du village de Veseloe, dans la région de Donetsk.

Depuis le printemps 2014, l’armée ukrainienne combat les forces rebelles dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine. Le gouvernement ukrainien a longtemps accusé la Russie de soutenir, d’armer et de financer les rebelles, mais il prétend maintenant que Moscou pourrait aller encore plus loin. Selon l’agence de presse de Kiev, UNIAN, « la Russie pourrait tenter de faire une incursion et déployer ses troupes plus profondément sur le territoire ukrainien, a rapporté l’agence de renseignement militaire ukrainienne, GUR MO ».

En effet, UNIAN rapporte ces déclarations de GUR MO :

« La Fédération de Russie achève les préparatifs d’un ensemble de mesures visant à pousser notre pays à une réponse militaire à l’action hostile des envahisseurs… en étendant la présence militaire de la Russie sur le territoire des soi-disant ‘RPD’ et ‘LPR’ [Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk] en introduisant des unités régulières des forces armées russes, justifiant cette décision par la nécessité de protéger les citoyens russes. »

Par ailleurs, le journal économique OilPrice.com rapporte :

« En Biélorussie et en Ukraine, l’Occident est perçu comme menant une guerre hybride contre Moscou. Du point de vue de Poutine, la seule option est désormais de contre-attaquer activement. Les analystes militaires se disputent encore sur les options de Moscou dans les prochains jours. La majorité s’attend à une soi-disant escalade localisée, dramatique et dévastatrice, conduisant au déploiement de ‘soldats de la paix’ russes. »

L’identité de cette « majorité » d’experts n’est pas révélée, peut-être parce qu’elle n’existe pas. Mais le scénario de base décrit par les médias est clair : la Russie se prépare à attaquer l’Ukraine, utilisant une sorte de provocation pour donner l’impression que l’attaque est justifiée afin de défendre le peuple du Donbass contre l’armée ukrainienne.

La logique ici est quelque peu similaire à celle souvent utilisée lors de l’examen de la guerre de 2008 entre la Russie et la Géorgie. Car on prétend souvent que la Russie a « provoqué » les Géorgiens pour à attaquer l’Ossétie du Sud, afin de lancer sa propre invasion planifiée de longue date. La vérité était très différente. Une commission indépendante créée par l’Union européenne a estimé que la Géorgie était le principal responsable du déclenchement de la guerre de 2008. Néanmoins, l’exemple géorgien soulève le spectre que l’armée ukrainienne et ses amplificateurs occidentaux préparent le terrain informationnel pour justifier une attaque contre les forces rebelles dans le Donbass en donnant l’impression qu’elle agit en légitime défense pour prévenir un assaut russe imminent.

Il est vrai que l’armée russe a organisé des exercices militaires près de la frontière ukrainienne ces dernières semaines. Leur ampleur est cependant bien inférieure à celle requise pour une invasion de l’Ukraine. Plutôt qu’une préparation à l’invasion, il semblerait plus probable que l’activité russe vise à dissuader une attaque ukrainienne contre le Donbass.

La guerre dans le Donbass a éclaté et continué depuis qu’un cessez-le-feu théorique a été convenu en février 2015. Depuis le début de cette année, le cessez-le-feu s’est largement effondré. La Mission spéciale de surveillance de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe dénonce chaque jour des dizaines de violations. Pendant ce temps, des images non corroborées d’une accumulation de forces ukrainiennes dans l’est de l’Ukraine sont apparues sur les réseaux sociaux, alimentant la spéculation sur une offensive ukrainienne imminente dans le Donbass.

Les accusations de Kiev contre Moscou sont aussi sérieuses que cette vidéo

La crainte est que l’Ukraine tente de répéter le succès récent de l’Azerbaïdjan dans la récupération des territoires perdus au moyen de la guerre contre l’Arménie. L’Ukraine a beaucoup investi dans son armée depuis 2015. Elle est désormais mieux équipée et entraînée que lorsqu’elle a subi une défaite à Debaltsevo en 2015. Kiev pourrait penser qu’il peut reprendre le Donbass par des moyens militaires.

Ce n’est pas impossible, mais une offensive militaire dans le Donbass se heurterait à de nombreuses difficultés, notamment la nature urbaine du terrain. L’armure ukrainienne serait extrêmement vulnérable aux armes antichar portatives, et les troupes ukrainiennes devraient probablement compter sur un usage intensif de l’artillerie. Cela entraînerait d’énormes destructions. Le chef de l’armée ukrainienne, le général Khomchak, l’a noté la semaine dernière et « a mis en garde contre d’énormes pertes civiles ».

Face à de telles pertes, il y a une forte probabilité que la Russie intervienne, surtout maintenant qu’un grand nombre d’habitants du Donbass ont acquis des passeports russes. Le résultat serait une guerre totale entre la Russie et l’Ukraine.

Il ne fait aucun doute que la Russie gagnerait une telle guerre, probablement très rapidement. Par conséquent, si l’Occident souhaite vraiment aider l’Ukraine, il devrait utiliser toute sa puissance diplomatique pour s’assurer que le gouvernement ukrainien ne cherche pas à résoudre ses problèmes par des moyens militaires. Malheureusement, les signaux en provenance de Washington vont plutôt dans le sens contraire. Lors d’un appel téléphonique le 1er avril avec le ministre ukrainien de la Défense Andrii Taran, le secrétaire américain à la Défense Lloyd J. Austin III « a réaffirmé le soutien indéfectible des États-Unis à la souveraineté, à l’intégrité territoriale et aux aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine ».

Documentaire sur la guerre de 2008 (sous-titré en anglais)

La déclaration d’Austin ne va pas jusqu’à approuver explicitement une offensive militaire, mais un langage tel que « soutien sans faille » pourrait facilement être interprété à tort comme un feu vert. En 2008, les États-Unis n’ont pas encouragé le Président géorgien Mikheil Saakashvili à attaquer l’Ossétie du Sud, mais il semble avoir interprété le soutien américain à l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN comme une preuve que Washington le soutiendrait s’il le faisait. Le danger est maintenant que le gouvernement ukrainien fasse la même erreur en pensant que l’Occident le soutiendra quoi qu’il arrive. Il est important que l’Occident désabuse l’Ukraine de cette notion.

Voir l’indispensable documentaire sur l’EuroMaïdan et la réintégration de la Crimée dans la Fédération de Russie (VOSTFR)

Les propos du général Khomchak au sujet des pertes civiles massives suggèrent que l’Ukraine est consciente qu’une action militaire comporterait de terribles risques. Nous devons espérer que cette prise de conscience fournira la retenue nécessaire pour empêcher une guerre qui ferait un tort immense à toutes les parties impliquées.

Paul Robinson

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Source : Le Cri des Peuples
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