Revue de presse par Mouna Alno-Nakhal

Le 29 juin 2023 l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé de créer une Institution indépendante chargée de la question des personnes disparues en Syrie.

Cette décision a été prise suite à l’adoption -par 83 voix pour, 11 voix contre [Bélarus, Bolivie, Chine, Cuba, Érythrée, Fédération de Russie, Iran, Nicaragua, République populaire démocratique de Corée, Syrie, et Zimbabwe] et 62 abstentions-  d’une résolution présentée par le Luxembourg qui a indiqué que les chiffres officiels font état d’au moins 100 000 personnes disparues en Syrie mais que le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé, alors que le délégué des États-Unis a estimé que ce nombre s’élevait à 155 000.

Il est intéressant d’apprendre par le représentant luxembourgeois que le projet de résolution soumis au vote de l’Assemblée générale a été élaboré par un groupe interrégional d’États membres comprenant l’Albanie, la Belgique, le Cap-Vert, le Costa Rica, la République dominicaine, la Macédoine du Nord et son propre pays, le Luxembourg.

Autrement dit, l’idée de cette nouvelle institution n’a même pas effleuré les grandes puissances prédatrices qui cherchent ouvertement -par tous les moyens dont l’accumulation de sanctions illégitimes censées ne pas accabler les civils- à saper la relation syro-saoudienne et la coopération  entre la Syrie et les pays arabes, telle qu’elle a été décidée par le communiqué publié suite au Sommet de la Ligue des États arabes, le 19 mai dernier à Djeddah . Qui peut le croire ? 

Lesquels pays arabes se sont abstenus dans leur grande majorité [Algérie, Bahrein, Égypte, Iraq, Jordanie, Liban, Maroc, Oman, Arabie saoudite, Tunisie, Émirats arabes unis, Yémen], tandis que le Koweït et le Qatar ont voté pour la création de cette nouvelle institution, [tout comme la Turquie]. Ce dernier vote est-il surprenant  vu l’hostilité déclarée du Qatar à l’égard de la reprise des relations des États arabes avec la Syrie et son financement des « bons projets » d’Erdogan en terre syrienne ?

Quant à l’Union européenne, c’est par la voix de la Suède qu’elle a souligné le caractère purement humanitaire de cette décision, espérant que cette nouvelle institution pourra panser « certaines » plaies de la guerre en Syrie. Les plaies de quelle catégorie de Syriens et dans quel objectif ?

Pour répondre à ces questions, le lecteur intéressé pourra suivre « les arguments humanitaires » justifiant l’adoption de cette nouvelle institution, sur le budget de l’ONU, en lisant le compte rendu non officiel en langue française [1] ou en visionnant la vidéo officielle sur le site de l’ONU [2].

Il en déduira, peut être, que la manœuvre cible la société civile syrienne et laisse à penser que le gouvernement syrien et ses institutions sont indifférents face à la tragédie des personnes disparues, comme si le peuple syrien n’avait pas appris à ses dépens que la Coalition dite internationale s’en fiche éperdument, notamment les États-Unis et tous les autres États qui occupent illégalement son territoire et continuent à financer son malheur.

L’ancien député et rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Binaa, Nasser Kandil, a abordé brièvement la création de cette nouvelle institution dans son émission « 60 minutes » en expliquant qu’elle est la conséquence du conflit actuel entre l’approche des États arabes et l’approche des États occidentaux de la situation en Syrie. De plus, comme le représentant de la Russie, il a posé la question de savoir quels sont les outils dont disposeraient les États occidentaux pour établir leur liste des personnes disparues à l’intérieur de la Syrie tout au long des douze années de guerre sans coopérer avec le gouvernement syrien, alors qu’il leur suffirait d’arrêter leurs hostilités et de s’adresser au ministère syrien des Affaires étrangères pour obtenir les renseignements qu’ils souhaitent. Pour lui, il est clair qu’ils préfèrent persévérer dans leurs manœuvres ennemies même si les personnes disparues qu’ils prétendent défendre devaient en payer le prix [4].

Mais il semble que ce ne soit pas l’unique raison, comme nous l’explique, sur sa page FB, le citoyen syrien Imad Jabbour en nous rapportant sa discussion avec son ami réel ou imaginaire :

« Votre frère Zouheir et moi-même avions pris la décision de ne plus parler de politique pour de nombreuses raisons, la principale étant que vous ne pouvez pas avancer une vérité dans un monde envahi par les mensonges. Mais, quelles que soient les circonstances, la réalité vous pousse à dire cette vérité ne serait-ce que pour soulager votre conscience.

J’ai donc fini par demander à l’ami Zouheir : C’est quoi cette histoire d’institution indépendante qui a nécessité une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU séparée de la résolution 2254 (2015) et même des négociations adoptées par les Nations unies pour une solution politique en Syrie ?

Il a pris une gorgée d’Arak et m’a dit : « Écoute mon frère, il y a des résolutions qui ne valent même pas l’encre qui à servi à les écrire et d’autres sur lesquelles se fondent des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité sous le chapitre VI ou le chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; [celles relevant du chapitre VII étant généralement considérées comme contraignantes ; Ndt]. Il est même possible que la nouvelle institution soit actualisée et en arrive à recommander le recours à la Cour pénale internationale.

Dans ce cas précis, l’important est de te demander qui est derrière cette décision, pourquoi maintenant et pour quoi faire ? D’autant plus que la Syrie est réintégrée dans la Ligue des États arabes dans le cadre d’un accord avec la « Commission arabe des Six » approuvée internationalement, pour aller vers une solution politique programmée dont la première clause concerne le retour des réfugiés et la reconstruction.

Et c’est là que le bât blesse, étant donné qu’il est probable que le retour des réfugiés et la reconstruction coûteront au minimum 400 milliards (de dollars). Une somme qui viendra des fonds souverains arabes, de Chine, d’Iran et même de Russie en dépit de sa situation actuelle. Et si tu regardes de plus près, tu constateras que les États-Unis, qui veulent reconstruire l’Ukraine au plus tôt [3], insisteront sur la priorité de sa reconstruction à l’aide des mêmes fonds souverains. Ce qui signifie qu’ils confisqueront tout simplement les capitaux russes déposés dans leurs banques et mettront la pression sur les pays du Golfe à cet effet.

Quant à la reconstruction en Syrie, elle ne peut plus être retardée que par « la liste des personnes disparues et des absents » de toutes les parties, étant donné que cette liste ne pourra être complétée d’ici de nombreuses années. Et cela, sans tenir compte de la possibilité d’une ingérence régionale à ce propos, des commissions internationales qui se sont additionnées depuis le début de la guerre, des différends sur les montants de l’indemnisation des familles des disparus et des désaccords politiques qui contribueront à entraver la reconstruction.

En effet, si tu vas au fond des choses, tu trouveras que même si la Commission arabe des Six se mettait d’accord sur le retour des réfugiés, sur la reconstruction et sur la solution politique, la question des personnes disparues pendant les douze années de guerre sur la Syrie restera liée à cette nouvelle institution, dont la création a été décidée dans ce but.

Ce qui me rappelle la Commission d’inspection créée pour l’Irak, laquelle s’est finalement révélée un tissu de mensonges et a été oubliée lorsque les États-Unis ont occupé l’Irak après l’avoir pillé pendant des années grâce au programme « pétrole contre nourriture » [Résolution 986 (1995) du Conseil de sécurité adoptée à l’unanimité, Ndt]. Les années ont passé, mais si tu t’en souviens, à la tête des pillards il y avait le fils de Kofi Annan, le secrétaire général des Nations Unies.

Plus clairement, les Américains ont ajouté le dossier des personnes disparues à la « loi César » pour accorder une crédibilité internationale aux sanctions qu’elle impose à la Syrie. Dès lors, si tu n’exécutes pas ce qui correspond à leurs intérêts avec, en premier lieu, la sécurité d’Israël et la normalisation de tes relations avec lui, tu seras un criminel de guerre passible de la Cour pénale internationale.

Ne sous-estimes donc pas cette décision, car elle a été soufflée par le Qatar, le Koweït et le groupe de pillards turcs, sous direction américano-israélienne, afin de contrecarrer l’accord saoudo-iranien qui est la réalisation la plus importante du prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammad ben Salmane, vers la multipolarité, le zéro problème dans la région, la solution en Syrie, en plus de son refus de la normalisation des relations de son pays avec Israël ; un refus qui aura des répercussions sur toute la région.

Si le projet de Mohammad ben Salmane échoue, la région ira dans le sens d’une stratégie soutenant les Démocrates et leur guerre à l’intérieur de l’Amérique, mais ce n’est pas notre sujet.

Et si, suite à cet exposé, tu me demandes ce que nous devrions faire, je te dirai qu’il nous faudra refroidir les choses et jouer sur le temps, en attendant l’issue de la guerre en Ukraine ou l’issue des négociations entre la Russie, les États-Unis et l’Europe en général. Entretemps, seule la Chine, qui sait mener le jeu avec le taureau américain, pourrait nous aider. Par conséquent mon frère, bon gré mal gré, il ne nous reste qu’à supporter cette nouvelle étape qui déterminera notre destin… »

Finalement, est-il exagéré d’affirmer qu’une telle internationalisation de la question des personnes disparues cherche à prolonger la guerre sur la Syrie, vu que les gouvernements occidentaux ne peuvent pas accepter l’idée d’une victoire syrienne, comme ils l’ont maintes fois dit et répété ?

Mouna Alno-Nakhal

2023/07/05

Notes :

[1] L’Assemblée général vote la création de l’Institution indépendante chargée de la question des personnes disparues en République arabe syrienne
https://press.un.org/fr/2023/ag12514.doc.htm

[2] VIDÉO : General Assembly: 85th plenary meeting, 77th session
https://media.un.org/en/asset/k1m/k1mc0uh159

[3] À Londres, une conférence internationale pour la reconstruction de l’Ukraine (21-22 juin 2023)
Extrait :
« Si les besoins immédiats sont évalués à 14 milliards par la Banque mondiale, le redressement plus global de l’économie du pays coûtera 411 milliards de dollars selon une étude récente de la Banque mondiale, l’ONU, l’Union européenne et le gouvernement ukrainien. Une somme appelée à grossir à mesure que le conflit se poursuit. »
https://www.euractiv.fr/section/economie/news/a-londres-une-conference-internationale-pour-la-reconstruction-de-lukraine/

[4] ViDÉO : Émission du 2 juillet 2023 de Nasser Kandil
https://www.youtube.com/watch?v=IVsQ0IJZBAM

Source : auteure

Notre dossier ONU
Notre dossier Syrie