Par Naram Sarjoun

Le retour des pays arabes vers la Syrie n’est rien d’autre que le retour de ceux qui sont convaincus que la guerre est finie, nous dit M. Naram Sarjoun dans son article du 7 avril courant, dont nous tirons les conclusions à partir de son deuxième article publié hier, 15 avril.

Conviction qui ne serait pas partagée par le Qatar qui s’est déclaré hostile à la normalisation des relations avec la Syrie. Dès lors, la question qui se pose est : quel est le prix exigé pour que le chasseur qatari abandonne la proie syrienne qui s’est envolée, de l’aveu même de son ancien Premier ministre Hamad Ben Jassem ?

En effet, les Syriens ne sont pas prêts d’oublier ses aveux inattendus sur la chaîne nationale qatarie le 25 octobre 2017 :

« Dès que les choses ont commencé en Syrie, je me suis rendu en Arabie saoudite à la demande de son altesse père. J’ai rencontré le roi Abdallah, que Dieu lui accorde Sa miséricorde. Il m’a dit : « Nous sommes avec vous, vous avancez, nous coordonnons, mais vous prenez les choses en mains ». Ce que nous avons fait. Je ne voudrais pas entrer dans les détails… Nous possédons des preuves complètes sur ce sujet.

Tout passait par la Turquie, tout se faisait en coordination avec les forces américaines, les Turcs, nous-mêmes et nos frères saoudiens. Tous étaient présents via leurs militaires.

Il se peut que des erreurs aient été commises au niveau de certains détails en matière de soutien [au terrorisme, Ndt], mais pas en ce qui concerne Daech. Là, ils exagèrent !

Il se peut qu’il y ait eu relation avec le Front al-Nosra. C’est possible. Par Dieu, je n’en sais rien ! Cependant, si tel était le cas, je peux dire que dès qu’il a été décrété que le Front al-Nosra était inacceptable, il n’a plus été soutenu et les efforts se sont focalisés sur la libération de la Syrie… [Ici, sans transition, NdT]…nous nous sommes disputés la proie… la proie s’est envolée… et nous nous la disputons encore ! » [*]

Certes, selon le communiqué du ministère des Affaires étrangères saoudien, diffusé le samedi 15 avril, les chefs de la diplomatie des six pays du Conseil de coopération du Golfe [Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie saoudite, Emirats arabes unis] ainsi que leurs homologues égyptien, irakien et jordanien, réunis la veille à Djeddah, ont affirmé vouloir jouer un rôle de premier plan dans les initiatives visant à mettre fin à la crise en Syrie et se sont engagés à multiplier les consultations pour garantir le succès de leurs efforts.

Pour autant, la guerre sur la Syrie est-elle vraiment finie ? Que se passera-t-il si les ambassades des États-Unis et de leurs alliés, en pleine effervescence à Ankara, réussissaient à amener au pouvoir l’opposition turque pro-atlantiste ? Mais tel n’est pas le sujet du jour [NdT].

***

Qu’elle est douce la nostalgie du bon vieux temps, comme lorsque l’un ou l’autre d’entre nous avance dans la vie à la poursuite de son avenir et finit par découvrir que tous ses souhaits se regroupent en un seul : revenir au temps passé et se laisser envahir par ses souvenirs.

Les souvenirs… La seule machine à remonter le temps dont nous disposons pour nous rendre vers n’importe quel endroit du passé, nous y tenir et observer le cours des évènements, sans rien pouvoir changer, avant de nous envoler vers d’autres lieux de ce même passé.

Or, si les équations de la Relativité formulées par Einstein autorisent de voyager d’un point de vue mathématique aussi bien vers le futur que vers le passé, il semble bien qu’en politique il se passe quelque chose d’étrange ces jours-ci. C’est comme si nous remontions du futur vers le passé et que nous revenions à notre point de départ.

Il y a nombre d’années, les Arabes sont sortis de Damas et ont sorti Damas de leur monde, tout comme nous sommes sortis de la Ligue arabe et qu’elle est sortie du nôtre. Puis, le Hamas est sorti à son tour de Damas et nous a expulsés de Gaza comme de l’Islam, alors que la Turquie entrait en Syrie comme si elle revenait victorieuse de sa bataille de Marj Dabiq [bataille qui a eu lieu le 8 août 1516 entre les Ottomans et les Mamelouks près d’Alep ; NdT], suivie de l’Arabie saoudite entrée à Deraa en sa qualité d’État wahhabite.

Entretemps, des centaines de milliers d’étrangers sont entrés dans tout le pays comme s’il s’agissait de l’invasion de Gog et Magog, tandis que l’Occident se préparait à se partager un deuxième Sykes-Picot.

En ces temps là, Netanyahou se rendait sur le plateau du Golan pour jouir de la chute de Canaan après la chute de Babylone. Et à chaque fois qu’il en descendait, déçu, il se disait : « Demain nous descendrons du plateau pour nous diriger vers le nord et réciter une prière juive, à Damas, aux côtés de notre ami Erdogan qui nous aura précédé à la mosquée des Omeyyades ».

Et les Israéliens jubilaient de voir Damas, qui a fait trembler les rues de Tel-Aviv en soutenant un soulèvement palestinien massif ou en faisant don de ses roquettes, goûter à ce qu’avait vécu Tel-Aviv sous les coups de la même arme suicidaire islamiste, les obus lancés depuis la Ghouta damascène tombant au cœur de la place des Omeyyades au lieu de tomber sur les places de Tel-Aviv ; comme si la Ghouta était devenue Gaza en Syrie et que la Syrie était devenue Israël.

Mais ce spectacle n’est plus et, aujourd’hui, nous nous retrouvons comme si nous regardions le film à partir de sa fin. Les Arabes accourent, déclarent leur amitié et demandent à revenir. La Turquie veut rétablir le zéro problème à n’importe quel prix. L’Arabie saoudite n’est plus celle dont le ministre des Affaires étrangères nous menaçait de la capitulation de Damas par la paix ou par la guerre.

Et Israël qui dégustait le café sur les hauteurs du Golan, le regard rivé sur ses jumelles pour le plaisir de voir les incendies, la fumée et l’effondrement de Damas tout en profitant du film de la soi-disant révolution syrienne… ce même Israël a perdu tout espoir de déambuler et de prier dans les rues de Canaan. Il a même commencé à vivre son printemps hébreu et c’est à notre tour de siroter notre café en observant le conflit entre les religieux et les laïcs dans les rues de Tel-Aviv.

Quant à l’armée de l’air israélienne qui avait l’habitude de parader au-dessus de notre palais présidentiel, elle se cache désormais derrière les nuages et frappe de loin, consciente que son orgie de frappes ne durera plus longtemps et que bientôt les souvenirs de ses raids impunis se transformeront en une nostalgie douloureuse de l’époque où elle nous lapidait de ses missiles lancés depuis le Golan et de plus loin encore.

La chaîne qatarie Al-Jazeera se taira. Son animateur Fayçal al Qassem et tous les bavards des médias du Golfe, ainsi que tout ce qu’ils ont pu produire comme commérages, seront mis dans le même sac et jetés à la poubelle ou dans les eaux du Golfe.

Et au fur et à mesure que le temps reviendra en arrière jusqu’au 14 mars 2011 et que les soldats américains quitteront le pays, les séparatistes kurdes se retrouveront dans des bus verts en partance vers le Kurdistan de Barazani, certains allant jusqu’à dire : l’« Idleb de Barazani » ! Dès lors, Ils vivront à leur guise au sein de ce régime de corruption où la famille Barazani et son parti considèrent les Kurdes comme des serviteurs et les vendent pour leur propre compte, tout comme les prétendus révolutionnaires de la Ghouta sont devenus les serviteurs d’Al-Joulani.

N’allez surtout pas imaginer que les Arabes sont devenus plus arabes, que leurs cœurs ont changé ou que leur conscience et leur âme se sont réveillées. De même, n’allez surtout pas croire que l’esprit des amis turcs est revenu vers le concept du zéro problème ou que le Monde a décidé de ne s’occuper que de l’Ukraine.

Non, la raison de tous ces changements est que le monde va vers de grands bouleversements, l’ancien monde étant arrivé à sa fin. Par conséquent, celui qui était malade, étouffé, blessé ou envahi par les chiens de chasse dans l’ancien monde, se lèvera et celui qui était chassé deviendra chasseur. Et comme le cow-boy n’a jamais fait peur qu’à son troupeau et ses vaches, ce qui demeure inchangé, le troupeau et les vaches rebroussent chemin lorsqu’il en donne l’ordre !

Autrement dit, certains se rendent compte que le « Nouveau Moyen-Orient » va démarrer du pays qui a failli s’effondrer sous les sabots des Arabes, les semelles des Turcs et les souliers des Européens. Ce retour n’est donc rien d’autre que le retour de ceux qui sont convaincus que la guerre est finie.

À partir de là, tous ceux qui ont rejoint ou théorisé la prétendue révolution syrienne devront chercher le refuge, le repentir ou le chemin du retour ; l’ancien vaste monde dans lequel ils évoluaient a pris fin et les clés du salut se trouvent dans un pays qui a failli être tué par les Arabes et les Islamistes : la Syrie !

Contre toute attente, la Syrie a posé sa main sur l’horloge du temps et a enclenché son retour en arrière. Désormais, le monde attend, la proie revêt la tenue du chasseur, tandis que les chasseurs de l’ancien monde doivent craindre que n’importe lequel d’entre eux ne devienne une proie.

En vérité, si les souvenirs sont la seule machine dont nous disposons pour remonter le temps en notre for intérieur, il en existe une autre réelle, véritable et merveilleuse. C’est la machine de la force populaire, la seule force capable de bouger les aiguilles des horloges cosmiques. C’est la force de tous ces gens qui ont refusé la défaite et la soumission en acceptant de mettre leur sang et le sang de leurs enfants dans la machine à remonter le temps. Leurs sacrifices l’ont fait fonctionner malgré tous les obstacles, tous les mensonges, toutes les manœuvres et toutes les armes meurtrières. Ils ont ainsi ramené l’univers à des temps antérieurs.

La roue du temps tourne toujours plus vite vers la libération du nord et de l’est et vers l’année 2011. Lorsque nous l’atteindrons, les endormis se réveilleront. Nous leur souhaiterons le bonjour et nous leur dirons : ce fut un rêve terriblement douloureux et un maudit cauchemar, mais c’est un matin lumineux qui part de Damas.

Conclusions du 15 avril  

Il ne fait aucun doute que le cœur se réjouit d’entendre les chants des Arabes qui se saluent, se congratulent et embrassent les moustaches et les barbes des uns et des autres après une guerre féroce durant laquelle les mots, la religion et Dieu Lui-même étaient armés. […]

Et qu’aujourd’hui ressemble à hier ! Ainsi, lorsque le Prophète est arrivé à La Mecque après qu’elle l’ait opprimé, combattu et maltraité, il s’est adressé à sa population en disant ; «  Que pensez-vous que je doive faire de vous ? ». Ces gens qui l’ont insulté pendant des années, ont douté de lui, l’ont traité de sorcier malveillant, ont tenté de l’assassiner dans sa maison alors qu’il dormait, ont même levé leurs armées par trois fois contre lui et l’ont assiégé, voilà qu’ils changent de dictionnaire pour lui dire : « noble frère, noble neveu ». Et, le même jour, le Prophète a annoncé : « Quiconque entre dans la maison d’Abou Soufiane est en sécurité, comme s’il entrait dans la Kaaba ». Autrement dit le prophète a rendu la maison d’Abou Soufiane équivalente à la maison de Dieu. Le même Abou Soufiane qui lui a fait la guerre pendant vingt ans, a tenté de le tuer et de tuer ceux qu’il aimait ! Telle fut la diplomatie du Prophète, bien qu’il n’eût pas ignoré l’inimitié persistante d’Abou Soufiane.

Aujourd’hui, nous sortons peu à peu de la guerre et des temps difficiles alors que la Mecque lève les drapeaux blancs. Et voici que les Syriens disent aux Saoudiens : « Que pensez-vous que nous devions faire de vous » ? Les Saoudiens leur disent : « noble frère, noble neveu ». Et les Syriens répondent : « Quiconque entre dans la maison de Mohammed ben Salmane est en sécurité et quiconque entre dans la Kaaba est en sécurité », bien que notre habile diplomatie n’ignore pas qu’ils ne sont pas toujours maîtres de leurs décisions.

Globalement, cette réconciliation devrait être vue comme similaire à la conquête de la Mecque et, finalement, tout le groupe des pays du Golfe rejoindra l’Arabie Saoudite quel que soit le retard de l’un ou de l’autre. Elle doit être bénéfique. Nous devons en profiter et aller à sa rencontre en dépit de nos doutes. Elle ne sera pas un nouveau piège, comme ce fut le cas du roi Abdallah, d’Erdogan et d’autres encore qui nous rendaient visite, embrassaient nos moustaches, alors qu’ils ne cherchaient qu’à s’infiltrer à l’intérieur du pays à notre insu. C’est pourquoi, nous dirons que le retour des Arabes ne se fera pas vers la Syrie quittée en 2011, mais plutôt vers la Syrie qui ne tourne pas le dos aux assaillants, ne dort que d’un seul œil et ne se laissera pas mordre une deuxième fois […]

Faisons en sorte que les réconciliations profitent à notre peuple. Sans sa résilience, la Mecque ne lui aurait pas ouvert ses portes. Néanmoins, même si nous disons que « celui qui entre dans la maison de Ben Salmane est en sécurité » ou que nous sommes amenés à dire que « celui qui entre dans la maison d’Erdogan est en sécurité », nous savons qu’il n’y a jamais de maison sûre autre que celle de la patrie. Les patries sont la sécurité et non la maison d’Erdogan ou de Ben Salmane.

Naram Sarjoun

15/04/2023

Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Sources : le blog de Naram Sarjoun

عندما يعود الزمن الى الوراء .. الصيدة التي صارت الصياد

من دخل دار محمد بن سلمان فهو آمن .. فتح مكة عام 2023

 

Note :

[*][Qatar : Voici venu le temps des aveux…]

Source : Mouna Alno-Nakhal

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