Par Rifaat Ibrahim Al-Badawi

La reprise de la participation de la Syrie aux réunions de la Ligue arabe, annoncée par les ministres des Affaires étrangères le dimanche 7 avril dernier, a suscité un grand nombre de réactions plus ou moins violentes et a occupé, ou préoccupé, de nombreux analystes et commentateurs des médias locaux et internationaux.

Les réactions du peuple syrien ; le premier concerné par cette décision, permettent de distinguer trois groupes bien distincts :

  • Les « furieux » qui se retrouvent essentiellement chez les dissidents, notamment ceux qui se sont dispersés à l’étranger. Ils persistent à diffuser la haine, la discorde et les mensonges. Ils ne semblent pas décidés à accepter une solution politique tant que le « Regime change » voulu par les ennemis de la Syrie n’a pas abouti. Autrement dit, ils n’ont pas encore accepté leur défaite ou, plus exactement, la défaite de leurs parrains nourriciers dont ils demeurent les outils destructeurs.
  • Les « optimistes » qui se retrouvent aussi bien chez les patriotes de l’intérieur que de l’extérieur. Ils considèrent la décision de la Ligue arabe comme une victoire contre les ennemis de leur pays, de leur armée et de son commandant en chef. Et bien qu’ils n’oublient pas la trahison des pays frères, ils estiment que cette décision aura prochainement un impact positif sur l’économie syrienne et la vie quotidienne des Syriens de l’intérieur dont les difficultés sont devenues intolérables et, pour nombre d’entre eux, insurmontables.
  • Les « pessimistes » qui se retrouvent également parmi les patriotes et dont certaines réactions pourraient rejoindre la pensée d’Antonio Gramsci : ‘Il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté’. Contrairement au précédent, ils ne croient pas que la décision de la Ligue arabe aura les répercussions positives souhaitées. Certains vont jusqu’à penser que cette décision a été prise de connivence avec les États-Unis. D’autres n’oublient pas le rôle tenu par des États arabes dans la guerre destructrice de leur pays et considèrent que ces États restent liés aux puissances hégémoniques occidentales et, par conséquent, qu’ils ne pourront pas ou ne voudront pas refuser de poignarder encore la Syrie si elles le redemandent.

Trois groupes dont les raisonnements ne sont pas négligés par l’auteur de cet article. Nous le faisons suivre par les déclarations de l’ex-ministre Qatari pour étayer ses propos. [NdT]

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Pendant onze années, les Syriens ont enduré les plus odieuses injustices et les pires calomnies accompagnées d’un torrent de mensonges, de déformations des faits, de désinformations médiatiques et de l’implantation du terrorisme international sur leur territoire en association avec tous les démons de la terre, lesquels ont excellé dans l’art du meurtre et des massacres laissant des milliers de morts et des millions de déplacés, dans le but de mettre à exécution une décision américano-arabo-occidentale visant à renverser la dernière forteresse arabe : la Syrie.

Et le complot ne s’est pas arrêté là. Toujours sous direction américaine, les conspirateurs sont allés jusqu’à isoler la Syrie de ses frères arabes et les empêcher de lui venir en aide; ce qui a abouti à la décision inique de suspendre son adhésion à la Ligue arabe au mépris de sa charte, à la fermeture des ambassades et au retrait des ambassadeurs de la plupart des États arabes.

Onze années d’injustices et de souffrances auxquelles la Syrie a fait face avec un courage hors du commun, une résistance historique et une formidable capacité d’endurance et de patience de sa diplomatie ; le tout au prix d’énormes sacrifices à tous les niveaux.

Ce qui précède ne consiste pas à répéter de simples allégations ou fabrications médiatiques, mais correspond aux aveux diffusés du promoteur chargé d’exécuter le complot ourdi contre la Syrie : l’ancien ministre qatari des Affaires étrangères, Hamad ben Jassem ben Jaber Al Thani, ou [HBJ].

[En effet, HBJ s’est exprimé sur le sujet en 2016, 2017 et 2022, successivement via le Financial Times, la Télévision officielle qatarie Al- massrh TV et la Télévision koweïtienne Al-Qabs ; cette dernière série d’émissions ayant été en grande partie censurée à cause de la levée de boucliers qu’elle a suscitée parmi les Saoudiens jugeant qu’elle comportait des erreurs historiques que le journaliste aurait dû réfuter ; NdT]. [1] 

Lequel, HBJ, a révélé ce qui se tramait dans les cellules obscures par certains Arabes ayant cherché à piloter le complot visant justement à attaquer la Syrie, à renverser le président Bachar al-Assad conformément à une décision américano-arabo-occidentale, tandis que plus de 80 pays menés par le Qatar et la Turquie d’Erdogan s’étaient engagés envers les États-Unis à exécuter leur décision et à dépenser des milliards de dollars afin de se mettre à « chasser la proie syrienne » et à démolir son identité arabe ; mais que des désaccords entre les conspirateurs sur le meneur et les parts du butin ont fait que la proie s’est envolée… [2][3].

Et voici qu’après tant de malfaisances, le Conseil ministériel de la Ligue arabe prend unanimement la décision historique de corriger la grave erreur commise à l’encontre de la Syrie, membre fondateur, en l’invitant officiellement à participer aux travaux de la Ligue [au niveau de toutes ses organisations et ses organes affiliés à partir du 7 mai 2023 ; [4]. À signaler que cette décision a été annoncée depuis la même capitale où la décision de suspendre l’adhésion de la Syrie avait été prise en 2012 [le Caire ; NdT].

Mais bien que nous soutenons et félicitons les dirigeants et le peuple syriens, ainsi que leurs institutions, ce pas important ne peut aboutir sans une action arabe conjointe pour la levée du blocus économique injustement imposé à la Syrie et à son peuple, le lancement du processus de reconstruction et le retour des déplacés vers leur mère patrie. Cette action est urgente et plus que nécessaire, afin de confirmer  le véritable retour des Arabes vers le « cœur battant de l’arabité » [Affirmation prononcée par feu le président égyptien Gamal Abdel Nasser ; NdT].

À ce stade, il nous faut rester réalistes et ne pas exagérer l’évènement, car la démarche arabe, en elle-même, n’est qu’une étape sur un long chemin rempli de mines américaines. Mais c’est une étape importante qu’il faudra dépasser et traduire sur le terrain par une action efficace des États arabes visant à combattre le terrorisme implanté en Syrie et à éliminer toutes les causes et tous les outils de la conspiration politique, militaire et économique, afin de préserver l’unité de la Syrie, de son peuple et de sa société, non se contenter du retour des ambassades et ambassadeurs arabes à Damas.

Il nous faut également souligner que le retour des Arabes vers le cœur de l’arabité ne signifie pas que la guerre universelle contre la Syrie est terminée, ni que les milliards de dollars nécessaires pour démarrer le processus de reconstruction arriveront dans quelques semaines à destination, ni que la Syrie sortira demain de ses difficultés économiques.

Nous devons plutôt préparer l’étape de la libération des ressources pétrolières, hydriques et alimentaires de la Syrie, par la poursuite de la résistance aux occupations américaines et turques dans les régions de l’est et du nord-ouest du pays respectivement, ainsi qu’à la libération du Golan syrien de l’occupation sioniste.

Par conséquent, que signifie le retour des Arabes vers le cœur de l’arabité ?

Premièrement : La reconnaissance officielle de la défaite du projet américano-arabo-occidental et l’accession de la Syrie à l’étape de la victoire politique, grâce à la vision stratégique et aux positions fermes des dirigeants syriens représentés par la personne du président Bachar al-Assad, lequel a fait preuve d’un courage rare et d’une résilience historique nourrie par une foi solide en la victoire de la Syrie, sans jamais s’en départir.

Deuxièmement : La confirmation que la résilience du peuple syrien, ses énormes sacrifices et sa résistance en dépit de toutes sortes de contraintes, d’injustices, de tourments et d’errances n’ont pas été vains, car ils ont amené à la reconnaissance arabe et internationale de la victoire de la Syrie et, qu’en conséquence, il est le seul parti autorisé à tracer l’avenir de son pays.

Troisièmement : L’invitation de la Ligue arabe adressée à la Syrie pour qu’elle revienne occuper son siège en son sein est arrivée pour corriger une erreur fatale commise contre la Syrie et son peuple, surmonter un douloureuse étape et ouvrir une nouvelle page de « relations bilatérales » entre la Syrie et ses frères arabes, notamment avec la remise des lettres de créance des ambassadeurs des pays arabes au président Al-Assad en personne.

[Ce dernier point est à souligner étant donné que le président Bachar al-Assad a déclaré, suite à sa dernière visite à Moscou, que le renforcement et le développement des relations bilatérales entre les pays arabes est plus important que la suspension ou la restitution du siège de la Syrie au sein de la Ligue arabe, car elles sont à la base d’une action arabe plus efficace et plus percutante. NdT]

Quatrièmement : Le retour des Arabes vers le cœur de l’arabité est le début et non la fin de la guerre sur la Syrie. Néanmoins, en plus d’être le résultat de la résilience et de la constance des dirigeants politiques, diplomatiques et militaires syriens, il est aussi le résultat de la conviction absolue du peuple syrien que la Syrie ne sera pas vaincue quels que soient les sacrifices.

Cinquièmement : Les masques des perfides qui sont tombés, tant dans le pays que dans la région et à l’étranger, ne sont pas dus à la décision de la Ligue, en elle-même, mais à ses conséquences diplomatiques et politiques, puisqu’elle est venue prouver la justesse de la vision stratégique syrienne et que le droit finira par l’emporter.

Sixièmement : La prétention de certains quant aux conditions imposées à la Syrie pour son retour dans la Ligue arabe est usée et sa validité a expiré. Elle a été utilisée pour dissimuler l’échec, avouer l’erreur et sous-estimer l’importance de la victoire syrienne. C’est, en effet, le vainqueur qui pose ses conditions, non l’inverse. D’ailleurs, nous ne divulguons pas un secret en faisant savoir que c’est la Syrie qui a posé le vote à l’unanimité comme condition de son retour dans la Ligue.

Aujourd’hui, nous pouvons dire : les voici revenus au cœur même de l’arabité et, aussi, que le silence éternel des martyrs de l’armée arabe syrienne, du Hezbollah, d’Iran et de Russie restera ancré en terre syrienne. À nos yeux, ils sont les héros qui ont sonné la charge vers la victoire qui sied à la Syrie et à son arabité.

Quant à ceux qui se tenaient sur la rive du fleuve en attendant que le cadavre passe, nous disons ; même si elle a failli se noyer, le fleuve de la véritable arabité a jailli de Syrie et qu’il est désormais suffisant pour les balayer…

Rifaat Ibrahim Al-Badawi

09/05/2023

Source : Al-Watan (Syrie)

https://alwatan.sy/archives/345070

Notes :

[1]Le journaliste Amar al-Taqi révèle ce qui a été censuré dans la série des émissions consacrées à HBJ (vidéo non traduite)
https://www.youtube.com/watch?v=u4GrbpzNR7A

[2]Qatar : Voici venu le temps des aveux… ; déclarations de 2016 et 2017
https://www.mondialisation.ca/qatar-voici-venu-le-temps-des-aveux/5615461

[3] Extraits des aveux de HBJ à la TV koweïtienne Al-Qabs en 2022 :

Résumé du journaliste concernant l’armement des « rebelles » en Syrie : Le désaccord entre les Qataris et les Saoudiens a commencé dès août 2013. Les Frères Musulmans soutenus par le Qatar et la Turquie ont voulu superviser la remise des armes aux rebelles afin de renforcer leur domination sur le terrain, ce qui a suscité la colère des Saoudiens et a mené à la scission des combattants. Dès lors, les Frères Musulmans soutenus par le Qatar ont combattu d’un côté, et les Salafistes soutenus par l’Arabie saoudite ont combattu d’un autre côté ?

Réponse de HBJ : Dès que la crise (syrienne) a débuté et qu’elle a commencé à évoluer, la coordination saoudo-qatarie était totale. Le cheikh Hamad (ben Khalifa Al Thani) m’a envoyé vers le roi Abdallah (ben Abdelaziz Al Saoud). Je me suis entretenu avec lui sur le sujet.

Ici, je vais dire des choses inédites : le roi Abdallah était mécontent et a dit que Bachar avait du sang sur les mains, etc. Il a ajouté : « il m’a envoyé ses services du renseignement pour m’expliquer les choses, mais nous, nous nous tenons du côté du peuple syrien, et après le printemps arabe et tout ce qui s’est passé dans le monde arabe, il n’est pas possible que nous soutenions quelqu’un de ce genre, car cela rejaillirait sur nous de manière négative. Nous nous tiendrons du côté du peuple. Nous sommes de votre avis [ou nous en avons discuté avec vous, ce n’est pas clair ; NdT] et, maintenant, nous vous voulons en façade pendant que nous resterons derrière vous. Voyez ce qu’il faut et informez-nous », autrement dit, restez sur le siège arrière.

Je lui ai répondu qu’il fallait que nous nous coordonnions avec les États-Unis, la Jordanie et le Qatar ». Nous avons alors commencé à en discuter avec eux. Deux cellules d’opérations ont été créées, l’une en Jordanie, l’autre en Turquie. Notre but était de soutenir la résistance [au gouvernement syrien ; NdT].

À l’époque, le flot de réfugiés avait commencé et les Turcs nous disaient : « si leur nombre dépasse une certaine limite, nous entrerons en Syrie et en ramènerons la moitié dans la partie (du territoire) que nous occuperons », ce qui signifie une Syrie déchirée. Et cela, car mis à part le sujet kurde, les turcs ont d’autres calculs.

Les cellules d’opérations ont donc été créées au sein desquelles il y avait des représentants saoudiens, qataris, turcs, jordaniens et américains. Tout passait par ce comité pour l’une ou l’autre cellule.

Bandar (devenu le chef) des renseignements saoudiens a pris en charge le dossier (syrien) et a commencé à planifier d’en finir avec l’affaire Bachar en quelques mois, dans le but de changer les autorités en Syrie. C’est ce que nous voulions tous et pas seulement l’Arabie saoudite. Tel était le but, vu qu’il y avait une révolution qui demandait d’écarter Bachar. Vous aviez deux cellules d’opérations. Pourquoi croyez-vous qu’elles étaient là ? Dans ce but (évidemment) !

Bandar a alors demandé un financement colossal aux environs de 2000 milliards de dollars. Nous, nous n’avions la primauté sur ce dossier que les quelques premiers mois. Quand Bandar est arrivé, il y eut un désaccord entre nous quant à la manière de le gérer. Bandar a demandé la participation d’autres États, mais à l’époque le Qatar n’a pas participé.

Puis, il y a eu une réunion, à Riyad, des ministres des Affaires étrangères, des Renseignements et des ministres de la Défense du Qatar, de l’Arabie saoudite, des États-Unis, des Émirats arabes unis et je crois, de la Turquie. Si je ne me trompe pas, étaient présents tous les pays du Conseil de Coopération du Golfe, mais je n’en suis pas sûr. Bandar nous a alors expliqué comment il comptait assiéger Damas par 4 ou 5 groupes disposant de bazookas afin d’y créer le chaos, se rendre au palais de la république [plus exactement, le palais du peuple ; NdT] et écarter Bachar. Une cinquantaine de personnes étaient présentes (à la réunion) et pourraient en témoigner.

Là, j’ai compris que l’affaire était fichue…

[4] Les ministres arabes des Affaires étrangères annoncent la reprise de la participation de la Syrie aux réunions de la Ligue arabe

http://sana.sy/fr/?p=297458&fbclid=IwAR0WRVVIbJkJZ3EPLpix)jPb9Sy2LwJY4-oPSaZsQwWcBKTyOmw9_TGdekjI

Transcription et Traduction par Mouna Alno-Nakhal

Source : Mouna Alno-Nakhal

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