Par Rosa Moussaoui

Figure de la résistance à l’occupation, cette militante du droit à l’autodétermination subit un atroce acharnement répressif. Elle plaidait à la Fête de l’Humanité la cause de son peuple, livré à l’arbitraire de la monarchie marocaine.

Son pas claudicant trahit un corps cassé par une répression brutale, continue, implacable. Derrière ses lunettes fumées, Sultana Khaya dissimule son œil droit à jamais blessé – une prothèse de verre depuis 2007 et les coups d’un officier marocain alors qu’elle participait à une manifestation pacifique de solidarité avec des étudiants sahraouis d’Agadir arbitrairement détenus et torturés. Figure de la résistance de tout un peuple pour faire valoir son droit à l’autodétermination, elle arpentait, dimanche, les allées de la Fête de l’Humanité pour témoigner du combat à armes inégales que livrent les Sahraouis. Et des épreuves atroces qu’elle a traversées dans la lutte.

Sultana Khaya a fini par quitter les territoires occupés du Sahara occidental, le 1 er juin, pour les Canaries. Elle a trouvé depuis lors un refuge provisoire à Alicante : une parenthèse de « convalescence », dit-elle, sûre de retourner auprès des siens dès que cette possibilité s’ouvrira. Présidente de la Ligue pour la défense des droits humains et contre le pillage des ressources naturelles, membre de l’Instance sahraouie contre l’occupation marocaine (Isacom), Sultana Khaya est une militante respectée dont la voix porte loin : une rebelle à briser pour le palais, qui fait assiéger sa maison de Boujdour par des hordes policières, depuis novembre 2020. Placée sans le moindre fondement légal dans une situation d’assignation à résidence, elle a vu depuis cette date son domicile cerné, bouclé, caillassé. Maintes fois, des séides de Mohammed VI l’ont investi pour y faire pleuvoir les coups, les insultes, les menaces de mort. Au mois de mai 2021, lors d’une telle descente, des membres des forces de sécurité l’ont agressée, ont tenté de la violer, ont violé sa sœur Luaara, défenseuse des droits humains. Quelques mois plus tard, ils récidivaient : elle était violée à son tour, tandis que sa mère Minatu Embeirik, âgée de 84 ans, était passée à tabac. Pour avoir publiquement et pacifiquement exprimé leur soutien à Sultana Khaya, des militants ont été torturés et d’autres femmes sahraouies ont été rouées de coups elles aussi – peau entaillée, visage couvert d’hématomes, os brisés. Certaines d’entre elles ont été agressées sexuellement. Devant cette entreprise de persécution, en juillet 2021, Mary Lawlor, rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, s’était élevée contre les violences physiques et sexuelles visant Sultana Khaya et ses proches, et contre « le ciblage systématique et incessant des défenseurs des droits de l’homme » par le gouvernement marocain au Sahara occidental.

Le corps enveloppé dans une melhfa, une longue étole saharienne brune et fleurie, elle évoque ce calvaire avec retenue, sans haine ni esprit de vengeance, sans jamais perdre de vue l’horizon politique qui est le sien. « Je veux faire entendre la voix du peuple sahraoui partout où mes forces me portent. C’est un message de liberté et d’indépendance, c’est mon credo, c’est tout ce que je demande », sourit-elle. L’acharnement de ses bourreaux a fait d’elle un visage de la cause sahraouie, mais elle n’entend pourtant pas jouer une partition solitaire, elle insiste sur le sort de ses camarades emprisonnées, rend hommage aux femmes en tête des soulèvements qui défient l’occupant, revient toujours au collectif. « Nous sommes les héritières de générations de résistantes. De nos aïeules, nous avons appris à tenir quand il s’agit de liberté et de dignité. Ils ne peuvent pas éteindre cette volonté, ni par la répression ni par la corruption. Nos vies n’ont pas de sens dans l’oppression », insiste-t-elle.

Au fil des rencontres, ici, elle s’est sentie portée par un élan de fraternité, loin du huis clos imposé par le pouvoir marocain aux territoires occupés pour y faire régner l’arbitraire. « J’ai été très impressionnée par l’enthousiasme, l’amitié, l’affection, la solidarité qui irriguent la Fête de l’Humanité. Je n’étais jamais venue, mais c’est pour moi comme des retrouvailles, se réjouit-elle. Pour nous, chaque geste de solidarité est précieux. » Contre elle, contre son peuple, la monarchie marocaine laisse libre cours à ses violations des droits humains, avec la complicité de ses alliés européens, Paris et Madrid en tête. « Les autorités marocaines continuent à restreindre l’accès au Maroc et au Sahara occidental aux journalistes, aux militants pacifiques et aux défenseurs des droits humains, et à empêcher un suivi et des comptes rendus impartiaux et indépendants par les Nations unies au Sahara occidental », dénonce Amnesty International, qui voit dans Sultana Khaya une femme « connue pour militer haut et fort, de façon pacifique, afin d’obtenir que le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination soit respecté ». Les coups, les sévices, les exactions, le viol, les humiliations n’ont pas ébranlé sa ténacité : « Nos bourreaux n’ont aucune pitié. Devant notre souffle, ils redoublent de férocité. Mais nous sommes convaincus d’être dans notre bon droit. » Sa ligne de conduite, sa philosophie : « Ne pas plier », en aucune circonstance.

Rosa Moussaoui
L’Humanité du 14 septembre 2022

Source : Assawra
https://assawra.blogspot.com/…

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