Par Dominique Natanson

Indigéniste ! L’adjectif tue !

Tous ceux qui s’en prennent à l’antiracisme politique, de l’extrême droite au Printemps républicain, de Valeurs actuelles aux épigones du PS, de Clavreul à Valls, des macronistes à certains secteurs de la gauche bien pensante, se ruent à l’assaut de la forteresse indigéniste. Ainsi, quand une tribune d’universitaires et de personnalités est publiée en soutien à Houria Bouteldja, il suffira pour Le Point1, dès les premières lignes d’un article, de la désigner comme « militante indigéniste » pour discréditer, sans peine, toute leur démarche intellectuelle. L’offensive de l’extrême droite et de ses suiveurs de tout poil ne vise pas seulement à salir une militante et une intellectuelle qui a beaucoup apporté à la réflexion sur le racisme contemporain, mais à contaminer, dans le rejet, par la contagion d’un bad buzz, tous ceux qui pensent que le racisme, dans notre société post-coloniale, reste un instrument de domination sociale et d’interdire, en fin compte, de mener les débats antiracistes, dans un cadre intersectionnel.

Indigéniste ! Comprenez racialiste. Être indigéniste, c’est parler des races (sociales). C’est évoquer la racisation de notre société et donc mettre en cause la façon dont le racisme d’État discrimine, dans le jeu même des institutions et des décisions politiques, créatrices d’apartheid social et géographique. Parler des races construites, des races perçues, des races désignées, serait donc raciste puisque c’est baser son analyse de notre société sur l’existence de races qui, chacun le sait, n’existent pas.

Indigéniste ! Comprenez antisioniste et donc antisémite, dans cette confusion savamment entretenue par des officines israéliennes et par leurs soutiens en France. Par exemple, un CRIF tellement droitisé qu’il a dû pleurer de chaudes larmes, lors de l’échec de l’invasion du Capitole par les soutiens de Trump. Parmi eux, ces évangélistes antisémites, eux qui sont les principaux piliers du sionisme aux États-Unis, où les Juifs eux-mêmes ont déserté le vote Trump, dans des proportions considérables.

Indigéniste ! Comprenez particulariste, là où, comme on sait, l’universalisme républicain résout tous les problèmes de notre société, comme il a régenté l’émancipation de la planète entière, de l’Indochine à la Guyane et à Mayotte, de l’AOF et l’AEF, à la Nouvelle Calédonie, du Maghreb aux Antilles, du Mali à l’Afghanistan…

Indigéniste ! Comprenez séparatiste, cible virtuelle des lois visant les Musulmans ou supposés tels, lois concoctées par un gouvernement qui flirte avec l’extrême droite et qui désigne un ennemi de l’intérieur pour renforcer le vivre-ensemble. Un gouvernement qui profite de chaque attentat terroriste pour mettre au pas toute contestation issue des quartiers populaires et de ces descendants de nos indigènes des colonies, toujours susceptibles de chevaucher la contestation anticapitaliste. Séparatiste, car préférant un combat agressif pour la justice et la dignité, à la signature de douces chartes des valeurs républicaines, assorties de menaces de sanctions. Car l’adhésion à la République ne peut que se renforcer en appliquant fortement les valeurs républicaines grâce aux contrôles au faciès, à cette énergie toute républicaine de nos forces de l’ordre, au sein des territoires perdus de la république, n’hésitant jamais dans l’usage républicain des matraques télescopiques, des LBD, des Tasers et des clés d’étranglement.

Indigéniste ! Comprenez décolonial, déboulonnant les statues ou les maculant d’une peinture rouge sang et exigeant la repentance universelle, l’humiliation des élites blanches devant tristement abandonner leur chaleureux récit national, colonialiste et raciste, au profit d’histoires d’une sauvagerie peu racontable, dans le bruit et la fureur.

Présentation des valeurs républicaines, 1906

Indigéniste ! Comprenez intolérant, voulant importer l’antiracisme des universités américaines, subverties par Black Lives Matter et leur politiquement correct. Intolérant, car poursuivant des études de genre, de race, de classe contre le savoir académique ancestral et se permettant même de les croiser de manière intersectionnelle, tout en accusant honteusement les mandarins de proposer une vision blanche, masculine, hétérosexuelle et élitiste de la réalité.

Indigéniste ! Comprenez antirépublicain, réticent à fêter les défilés militaires du 14 juillet et à accepter l’héroïsation des vieilles badernes des expéditions coloniales françaises, comme le font les auteurs de cette épidémie de Guides2, dénonçant l’omniprésence, dans les statues et les noms de rues, des négriers, des tortionnaires coloniaux, des hommes d’État organisant les guerres coloniales et de ces généraux de 1914 pourvoyant généreusement les fosses communes des cadavres d’indigènes sénégalais ou marocains « morts pour la France ».

Indigéniste ! Comprenez communautariste, replié sur sa triste banlieue et refusant de traverser la rue pour trouver cet emploi qui permettrait son intégration, passeport nécessaire pour sortir du ghetto volontaire dans lequel les indigènes se sentent comme un poisson dans l’eau et qu’ils veulent faire perdurer, à travers rayons halal des hypermarchés, apprentissage de l’arabe et fréquentation douteuse de mosquées nécessairement intégristes.

Indigéniste ! Comprenez terroriste, ou du moins soutien aux absurdes revendications forcément antirépublicaines des Musulmans qui réclament l’égalité des droits, la liberté de culte et la fin des discriminations, comme le faisait le CCIF, une organisation bêtement antiraciste, s’appuyant sur le droit français de lutte contre le racisme, dans un insupportable djihad judiciaire, constituant ainsi, par capillarité, le terreau même du djihadisme, puisqu’il est bien connu que réclamer justice, c’est le premier pas vers le rétablissement du Califat.

« C’est la canaille ! Eh bien j’en suis ! » chantait Jean-Baptiste Clément, en 1871, pendant la Commune de Paris.

Face à cette offensive de ceux qui accusent sur la base même de leurs crimes – la création par le colonialisme d’une catégorie infériorisée, gouvernée par le Code noir, puis par le Code de l’indigénat, le Bumidom ou la déportation des enfants réunionnais –, déclarons-nous indigénistes.

De sales indigénistes.

Dominique Natanson

Note

  1. Le Point, 22 janvier 2021, L’invraisemblable pétition de soutien à Houria Bouteldja, article de Nathalie Heinich, se définissant comme membre de l’Observatoire du Décolonialisme (sic)
  2. Aux éditions Syllepse : Guide du Paris colonial et des banlieues, Guide du Bordeaux colonial, Guide du Soissons colonial. D’autres sont en préparation dans d’autres villes indigénistes comme Marseille.

Source : UJFP
https://ujfp.org/…