Des douilles de balles ont été trouvées dans l’un des deux bureaux d’où des coups de feu ont été tirés dans la rue.

Par Gideon Levy

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 26/8/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Salah Sawafta, 58 ans, quittait la mosquée et rentrait chez lui lorsqu’une balle dans la tête l’a tué. Le tir a probablement été effectué par l’un des tireurs d’élite des FDI depuis le quatrième étage d’un immeuble de bureaux, qui arrosaient la rue en contrebas de balles réelles. L’armée essaie maintenant de fuir ses responsabilités.

Le mariage de sa fille Dunya, 22 ans, était prévu pour aujourd’hui, vendredi. Des invitations avaient été envoyées à environ 1 000 personnes pour la célébration dans la salle de mariage Al-Kalah à Naplouse. Son nouveau costume était également prêt. Vendredi dernier, à la fin des prières du matin à la mosquée de Tubas, il a dit à ses amis qu’il se dépêchait de rentrer chez lui parce qu’il devait se rendre à Naplouse : il y avait encore des dispositions à prendre pour le mariage.

Quelques minutes après avoir quitté la mosquée et commencé à marcher vers la maison, il a reçu une balle dans la tête alors qu’il tentait de s’abriter dans la rue. La balle s’est logée dans son cerveau et a explosé ; il est mort peu après. Le mariage de sa fille a été annulé, bien sûr, et la famille a été plongée dans un profond deuil.

Salah Sawafta était mort.

Il avait 58 ans, était un agriculteur qui vendait des aliments pour animaux, père de quatre filles et d’un fils, grand-père de deux enfants en bas âge. Tous les jours à l’aube, il se rendait à pied de son domicile, situé dans le centre de cette ville du nord de la Cisjordanie, à la vieille mosquée de Tubas – construite en 1818 – où il récitait les prières du matin avec les autres fidèles habituels, la plupart de son âge, avant de rentrer chez lui pour commencer sa journée de travail.

Salah Sawafta

Vendredi dernier n’a pas été différent. La veille au soir, il avait rencontré son fils, Mohammed, 26 ans, marié et père d’un petit garçon. Mohammed travaillait avec son père. Ils ont parlé, naturellement, du mariage qui approchait à grands pas, et se sont séparés à 22 heures. Le lendemain matin, Salah s’est réveillé après 4 heures. A 5h25, il était allongé sur le trottoir de la rue principale avec un trou dans la tête.

Dans le bâtiment d’en face, des tireurs d’élite des Forces de défense israéliennes avaient pris possession de deux bureaux au quatrième étage, l’un appartenant à une société d’ingénierie, l’autre à un avocat, et de leurs fenêtres avaient tiré sur la rue en contrebas. C’est l’un de ces soldats qui aurait tué Sawafta. Des affrontements avaient éclaté dans la rue entre les soldats – qui étaient arrivés la nuit précédente pour arrêter une personne recherchée, prétendument affiliée au Jihad islamique – et les habitants du quartier qui fulminaient après l’invasion violente de leur ville relativement calme. Les tireurs d’élite ont tiré une trentaine de balles dans la rue depuis leur position en hauteur. L’une des balles visait apparemment le fidèle innocent, qui rentrait chez lui, et l’a touché.

La fenêtre d’où les coups de feu ont été tirés

Il fait bon vivre dans le nord de la Cisjordanie ces jours-ci : des terres agricoles verdoyantes que l’on cultive et pas de colons – une vision rare et très réjouissante. Tubas se situe entre Naplouse et Jénine. Cette semaine, avec le directeur de la clinique mobile de l’ONG Physicians for Human Rights, Salah Haj Yahya, nous avons reconstitué les événements qui s’y sont déroulés à l’aube de vendredi dernier. Voici l’endroit où Sawafta est sorti de la mosquée, a descendu les escaliers, a tourné à gauche, a emprunté la ruelle qui mène à la rue principale, puis a tourné à droite pour rentrer chez lui. Il était seul, ayant laissé ses amis derrière lui, car il était pressé de finir son travail et d’aller à Naplouse. Quatre ou cinq véhicules militaires étaient garés devant l’immeuble de bureaux à ce moment-là, avec un groupe de soldats qui s’agitaient à côté d’eux. Sawafta est passé à côté d’eux sans faire de bruit ; ils ne lui ont pas prêté attention. Il ne se doutait pas que des snipers étaient tapis au-dessus de lui, à l’intérieur du bâtiment. Il a continué dans la rue principale jusqu’à ce qu’il entende soudain des coups de feu. Il s’est précipité vers un magasin, la boulangerie Siraj, ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, qui vend des petits pains aux travailleurs qui se vont au boulot en Israël ou qui en reviennent. Mais il est arrivé un peu trop tard.

Le propriétaire, Abdel Majid al-Masri, raconte dans un hébreu courant ce qui s’est passé. Il a entendu des coups de feu et s’est précipité dehors pour voir ce qui se passait. Il a vu Sawafta qui essayait d’entrer dans la boulangerie, mais juste sur le seuil, la balle l’a frappé à la tête et il s’est effondré, en sang, sur le seuil, non sans s’être à nouveau blessé en tombant sur l’un des pieds en fer du stand à l’entrée de la boulangerie.

Abdel Majid al-Masri, témoin de l’exécution

 Masri lui-même a survécu par miracle. « C’est venu de Dieu. Dieu m’a donné une autre chance de vivre », raconte-t-il. « Si j’avais fait un pas de plus en avant, je serais tombé aussi. Heureusement, j’ai fait un pas en arrière ».  Légèrement blessé au cou par des éclats d’obus, il est entré en état de choc pendant un certain temps. « Ils ont tiré pour le tuer », poursuit-il. « Tuer un homme comme lui, âgé de 58 ans, qui venait de faire des prières ? C’est là qu’est le problème : Ils viennent pour tuer » .

Masri raconte que Sawafta portait des tongs et une jellaba à la mosquée, et qu’il souffrait de douleurs au genou, ce qui explique pourquoi il n’a pas pu fuir plus vite la fusillade. Masri l’a vu remonter le bord de sa robe pour qu’il puisse se déplacer plus vite. Cela ne l’a pas aidé.

Le propriétaire de la boulangerie a essayé d’appeler une ambulance du Croissant-Rouge, mais entre-temps une ambulance privée est arrivée – appartenant à un voisin du bas de la rue – et a transporté Sawafta à l’hôpital turc de Tubas. Dans un état critique, il a été rapidement transféré à l’hôpital Rafidia de Naplouse, où il a été opéré – mais en vain. Quelques minutes après l’opération de deux heures, les médecins ont constaté son décès.

Deux impacts de balles sont visibles sur le panneau de signalisation situé à côté de la boulangerie. Dans le supermarché voisin, Super Fiaz, on nous montre les images des caméras de sécurité de ce matin fatal. Il est 5h24 du matin, et Sawafta, dans sa jellaba beige, passe seul devant le magasin. Cette partie de la rue semble calme et déserte. Quelques secondes plus tard, on voit Sawafta se faire tirer dessus.

L’endroit où Salah Sawafta a été tué

Au quatrième étage de l’immeuble de bureaux, l’ingénieure Rova Daragma, propriétaire de l’entreprise Royal Design, nous montre un sac en plastique dans lequel elle a recueilli 11 douilles de balles éparpillées sur le sol du bureau. Vendredi matin, après le départ de l’armée, elle a reçu un appel téléphonique lui disant que des soldats s’étaient introduits dans son bureau et avaient pris possession des lieux pendant la nuit. Elle s’y est précipitée et a trouvé le cadre de la porte cassé, la fenêtre donnant sur la rue ouverte et les douilles sur le sol. Elle a trouvé une vingtaine d’autres douilles sur le sol du bureau de l’avocat voisin.

C’est à partir de là que la rue a été la cible de tirs. La fenêtre du bureau de Daragma donne sur l’entrée de la boulangerie où Sawafta a été tué. Il y a une bonne vue d’ici, il était très facile de viser et de tirer depuis cette fenêtre.

Les troupes étaient arrivées cette nuit-là pour arrêter Karam al-Haraz, un jeune homme de 18 ans qui, selon le service de sécurité du Shin Bet, est actif dans le Jihad islamique. Les habitants de Tubas s’interrogeaient à ce sujet cette semaine. Son père dirige le bureau de Radio Palestine à Tubas pour le compte de l’Autorité palestinienne ; il est journaliste et affilié au Fatah. Il n’était peut-être pas au courant des activités de son fils. Ils habitent non loin de l’immeuble de bureaux, plus haut dans la rue principale.

Personne ne nie que des affrontements avaient lieu en ville à ce moment-là, mais les choses étaient relativement calmes autour de l’endroit où Sawafta a été tué. Les jeunes qui ont jeté des pierres, tiré des pétards et apparemment aussi fait usage de tirs réels, étaient concentrés en bas de la rue, à gauche de la boulangerie si vous lui faites face. Salah Sawafta a reçu une balle du côté droit de la tête ; c’est sur le côté droit de la rue que les tireurs d’élite étaient positionnés.

Le fils de Salah Sawafta, Mohammed (en noir)

Après l’incident, les FDI n’ont pas cherché à affirmer que Sawafta avait pris part aux affrontements. Mais l’armée a déclaré à l’époque que, selon une enquête préliminaire, la force n’avait apparemment pas tiré à l’endroit où Sawafta a été tué. Bien entendu, l’armée n’a pas non plus tiré sur l’endroit où la journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh a été tuée en mai, ni sur les cinq enfants qui ont été tués à Jabalya, dans la bande de Gaza, le dernier jour de l’opération Aube naissante ce mois-ci. C’est la nouvelle stratégie de l’unité du porte-parole des FDI : d’abord vous publiez un démenti, et après, eh bien, Dieu est grand.

Cette semaine, l’unité du porte-parole de Tsahal a déclaré à Haaretz : « Les soldats de Tsahal ont opéré le week-end dernier pour arrêter un groupe terroriste qui avait l’intention de perpétrer un attentat, dans le village de Tubas, qui se trouve sur le territoire de la Brigade du Jourdain et des Vallées. Suite à l’activité opérationnelle dans le village, il y a eu des tirs massifs et indiscriminés de la part de Palestiniens armés, et en réponse, une unité des FDI a retourné des tirs précis sur lesdits individus armés. Les circonstances de la mort de Sawafta sont en cours d’éclaircissement ».

Dans la belle et spacieuse maison en pierre du frère aîné du défunt, l’avocat Jihad Sawafta, 62 ans, amis et famille étaient assis en deuil cette semaine. Lors de notre visite, lundi, Mohammed, le fils du défunt, était là, ainsi que d’autres habitués qui prient chaque matin à la vieille mosquée.

Un peu après 5 h 30 vendredi, Mohammed a reçu un appel, dit-il, mais son téléphone portable était en mode silencieux et il a fallu quelques minutes de plus pour que quelqu’un puisse le joindre. Il s’est précipité à l’hôpital, où il a vu son père s’éteindre, une semaine exactement avant le mariage de sa fille, qu’il attendait avec impatience. 

Source : TLAXCALA
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