Par Régis de Castelnau

Le pouvoir macroniste utilise sans aucun scrupule la période pandémique pour commettre discrètement ses mauvais coups. Nous avons eu les trois décrets rétablissant le fichage politique des citoyens à l’image de ce qui se passait pendant l’occupation. L’Assemblée nationale vient d’adopter en première lecture une réforme qui aurait dû être fondamentale de l’ordonnance de 1945 sur la Justice des mineurs. Pendant que tout le monde regardait ailleurs, cela a permis le vote d’un texte dont la première caractéristique est surtout de communication et naturellement ne pose pas la question centrale qui est celle des moyens budgétaires.

J’ai répondu à quelques questions d’Atlantico sur le sujet.

Atlantico.fr : Pourquoi la justice des mineurs est un domaine historiquement difficile à réformer ? Cette réforme est-elle nécessaire ?

Régis de Castelnau : Elle n’est pas seulement nécessaire, elle est indispensable. La fameuse ordonnance de 1945 qui régit cette matière est devenu un joyeux fouillis. Pas moins de 39 réformes ont été adoptées qui en font aujourd’hui une espèce de millefeuille compliqué à manier. Or cette question est particulièrement sensible dans l’opinion et le monde politique pour des raisons assez évidentes liées à la montée de certaines formes de violence sur les biens et des personnes dans ce que l’on appelle les quartiers difficiles. La délinquance des mineurs toujours existé, mais elle a pris des formes nouvelles qui font que les standards juridiques de 1945 sont aujourd’hui dépassés. Le problème c’est que tout projet de réforme globale réactive des clivages politiques classiques. Où l’on retrouve l’affrontement entre les partisans d’un durcissement répressif contre ce d’une approche éducative de la justice pénale. Cette réforme globale est devenue un serpent de mer. Et justement pour éviter tout blocage, Emmanuel Macron avait pensé que le meilleur moyen de mettre en œuvre le fameux « en même temps » avait initié une première tentative en juin 2019. Mais en faisant passer le texte par ordonnances, c’est-à-dire en mettant le Parlement hors-jeu. La tentative a échoué.

La corvée a donc été confiée à Éric Dupond-Moretti identifié à tort ou à raison comme plutôt rattaché au courant qui s’oppose au tout répressif.

On va rappeler que le droit de l’enfance délinquante est un droit « autonome » distinct du droit pénal général. Alors pour aborder ce sujet y avait alors deux solutions : soit faire ce que l’on appelle une « consolidation » à droit constant, c’est-à-dire remettre de l’ordre et clarifier mais sans changer les règles, sans toucher au dispositif normatif lui-même. Soit adopter un nouveau texte global en y introduisant des mesures nouvelles.

Le gouvernement a adopté la seconde c’est-à-dire une refonte totale par un nouveau texte qui se substituera à l’ordonnance de 1945. Répétons que la nécessité s’en faisait sentir, ne serait-ce que pour rétablir un peu de clarté dans l’application d’un texte, notamment au regard des règles de procédure. Celles-ci qui évoluaient sans arrêt étaient assez difficile à manier, et notamment par les services d’enquête. Des oublis ou des erreurs étant susceptibles de provoquer la nullité des procédures.

Sur le plan politique, en dehors de la tentative avortée de 2019, personne jusqu’à présent ne s’était risqué à s’attaquer sérieusement à ce problème, par crainte de polémiques et de difficultés politiques. Le pouvoir a-t-il considéré qu’en cette période difficile, les Français auraient la tête ailleurs ? On souhaite en tout cas bien du courage à Éric Dupond-Moretti.

La gauche accuse le texte d’être trop répressif et la droite d’être trop laxiste, dans quelle lignée se place ce texte ? Et que contient-il réellement ?

Il y a bien évidemment la question de l’âge de l’irresponsabilité pénale. Il serait proposé « de ne plus poursuivre les délinquants de moins de 13 ans en instaurant, en deçà de cet âge, une présomption d’irresponsabilité ».

Voilà le type même de mesure « progressiste » annoncée à grand son de trompe et qui ne va dans les faits pas changer grand-chose.

Comment se pose le problème aujourd’hui ?

En France, l’âge de la responsabilité pénale, c’est-à-dire celui à partir duquel les mineurs sont considérés comme suffisamment âgés pour voir leur responsabilité reconnue, n’est pas précisément fixé. Pour l’instant la règle générale est que les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables. La jurisprudence a reconnu que dès huit à dix ans, les enfants possédaient la capacité de discernement suffisante pour être pénalement responsables de leurs actes. Mais en dessous de 13 ans les enfants n’encourent pas de sanctions pénales mais des mesures d’assistance éducative. Les sanctions pénales encourues de 13 à 18 ans, ne sont pas énoncées par le Code pénal mais par l’ordonnance du 2 février 1945.

On nous annonce qu’il existerait désormais une « présomption d’absence de discernement » en dessous de 13 ans. Donc résumons le système proposé : en dessous de 13 ans, présomption d’irresponsabilité pénale, de 13 à 18 ans responsabilité pénale spéciale d’un mineur, au-delà de 18 ans responsabilité pénale du régime général.

Le problème est que pour les enfants de 10 à 13 ans cela ne va rien changer. Car s’il existe une « présomption d’absence de discernement » conduisant à l’irresponsabilité pénale, cette présomption peut être renversée. C’est-à-dire que le juge pourra constater que même en deçà de 13 ans le discernement existait, même si pour le faire il devra motiver explicitement sa décision. Dans la pratique, je vois assez mal ce que cela va changer…

Nul doute que ce genre de questions va animer les polémiques, chaque camp restant bien campé sur ses positions dans une espèce de jeu de rôle.

L’un des principaux mécanismes de la réforme est un système en deux temps qui doit d’abord statuer sur la culpabilité et dans un second temps sur la peine. Cette idée est-elle une bonne chose ? Dispose-t-on des moyens financiers pour l’appliquer ?

Effectivement cette procédure en deux temps, deuxième mesure phare est présentée comme un grand progrès. C’est-à-dire que le mineur sera jugé en deux fois. Une première audience pour constater et déclarer sa culpabilité, une autre audience plus tard pour fixer la peine, en fonction du comportement du mineur depuis sa déclaration de culpabilité. La nouveauté n’est pas aveuglante non plus. En effet, la déclaration de culpabilité et la fixation de la peine se font actuellement en même temps. Mais pour l’exécution de cette dernière il y a le rôle du juge de l’application des peines qui dispose de prérogatives importantes pour la moduler. Et bien sûr en fonction du comportement du mineur condamné…

Mais malheureusement, comme d’habitude la question des moyens est le préalable à toute démarche politique sérieuse.

Et quelle que soit l’ampleur de la réforme, on peut légitimement s’interroger sur ses conséquences réelles.

Depuis plusieurs dizaines d’années la production législative proclamatoire est le plus souvent le masque de l’impuissance budgétaire et administrative.

Comme le reste, pour être efficace dans la lutte contre la délinquance des mineurs, il faudrait d’abord et avant tout considérablement augmenter les moyens. La justice des mineurs comme la justice en général est quasiment faillite, et ce n’est pas avec Emmanuel Macron que cela risque de changer. Les besoins sont considérables dans tous les domaines mais celui de cette délinquance des jeunes est probablement le plus sinistré.

Il faut du personnel spécialisé, magistrats et éducateurs, des centres fermés d’éducation, des lieux particuliers de détention, tout moyen dont on manque aujourd’hui de façon criante.

Un seul critère celui de la détention provisoire. 29 % des majeurs détenus en France sont en détention préventive, ce chiffre monte à 83 % pour les mineurs. Cette situation n’est pas acceptable au plan des principes, mais aussi parce qu’elle génère chez les magistrats un découragement qui amène, ce qui est réel, à relâcher trop vite dans la nature ces jeunes qui se livrent à une délinquance insupportable à l’opinion, celle des vols, des violences et des incivilités graves. Il faut savoir que dans notre pays, 1,5 millions d’infractions avec auteurs connus ne sont pas poursuivis par les parquets faute de moyens.

On peut malheureusement craindre que se joue le scénario habituel. Où deux positions philosophiquement et politiquement antagonistes opposant les gentils et les méchants vont s’affronter. Sans que la question budgétaire qui est centrale soit simplement traitée. Quel que soit le contenu du texte finalement adopté, les clés de la lutte contre la délinquance des mineurs, seront toujours à Bercy.

Source : Vu du Droit
https://www.vududroit.com/…