Par Laurent Brayard

Dans les questions qui reviennent souvent parmi les lecteurs, celles dubitatives concernant l’implication des États-Unis avec les néonazis en Ukraine est révélatrice de la désinformation que nous subissons. Lorsqu’elle est posée, c’est toujours dans le doute que les États-Unis, les hommes du débarquement en Normandie, le pays de la « Démocratie » puissent avoir la faiblesse de travailler, utiliser, protéger et même privilégier des partis ou des régimes d’extrême droite ou dictatoriaux à travers le monde. La grande ignorance vient à la fois du fait des intenses propagandes menées depuis 70 ans, mais aussi de l’idée, à travers par exemple le cinéma, que l’Américain est forcément toujours « le gentil ». Les Américains ne nous ont-ils pas sauvé à la fois du nazisme, puis du communisme durant la Guerre froide ? Que serions-nous sans les Américains ?

La drôle d’alliance « éternelle » entre la France et les États-Unis d’Amérique.

C’est oublier l’histoire agitée des relations entre nos deux pays. S’il y eut dans le monde un pays redevable de la France, ce sont bien les États-Unis. Sans la flotte française, les manufactures d’armes qui produisirent à crédit celles dont avaient besoin les insurgés américains, la révolte américaine serait restée dans l’histoire comme une insurrection écrasée. Cette guerre coûta à la France l’équivalent du prix de trois châteaux de Versailles, une somme colossale qui ne fut jamais remboursée. Pire encore, elle aggrava la situation économique de la France, jusqu’à l’éclatement de la Révolution française. Les traités de commerce et d’alliance éternels signés par les États-Unis avec la France furent dénoncés par les Américains, dès l’appel à l’aide contre l’Angleterre (1793). Malgré un convoi de blés, resté fameux, qui sauvant sans doute la France révolutionnaire (1794, ce dernier ayant été payé rubis sur l’ongle), l’Amérique penchait dangereusement dans le camp de la perfide Albion. Il en découla une guerre franco-américaine larvée, qui fut notre récompense pour notre aide (1798-1800). Cette guerre exclusivement navale, fit le bonheur des corsaires français qui ravagèrent les rangs de la flotte de commerce américaine, près de 2 000 navires furent pris par la France… contre seulement 22 perdus pour les Français. Ce fut Bonaparte, Premier Consul qui en termina, avec un traité de paix signé par son frère Joseph à Mortefontaine (30 septembre 1800), puis pour éviter une guerre future, préféra leur vendre la Louisiane (1803, immense territoire composé de plus d’une dizaine d’états américains actuels), contre argent… dégrevé du prix des fameux navires. Les Anglo-saxons ne perdent jamais le Nord… du dieu argent.

Au secours de La Fayette… si vous payez l’addition.

Les droits de l’Homme et le respect des traités signés par les États-Unis s’arrêtent toujours à leurs intérêts marchands. Toute l’histoire de ce pays le démontre avec éclat, l’incident des sous-marins français devant être vendus à l’Australie, le prouve hélas de nouveau (automne 2021). Il n’y a pas d’alliés pour les USA, seulement des serviteurs ou des territoires à exploiter. C’est ainsi que les traités signés avec les Amérindiens furent dénoncés et que l’ensemble de leurs terres furent volées, tandis que les différents peuples furent quasiment exterminés, durant la longue conquête de l’Ouest. Les États-Unis étaient également absents en 1914, tout au plus quelques dizaines de pilotes volontaires dans une escadrille et se fut tout jusqu’en 1917. Lorsque les Américains chantèrent « La Fayette nous voilà ! », la France était au bord de la rupture et manqua bien d’être vaincue, surtout après la Révolution en Russie, qui mit hors de combat l’allié russe. Ils n’entrèrent en guerre qu’après la naissance de la menace des sous-marins allemands et des incidents maritimes notables (torpillage du Lusitania). Si les USA avaient « fini par y aller », ce n’était pas politiquement de bon cœur. Leur intervention eut un prix, le matériel et les usines américaines ne tournèrent pas à plein régime comme nos manufactures de 1780, sans compensation financière… Entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, 80 % des stocks d’or du Monde qui se trouvaient en Europe, principalement entre Londres, Paris et Berlin se retrouvèrent entre les mains des États-Unis. Un coup de maître pour les USA, devenant dès lors la première puissance économique mondiale.

Ford, eugénisme et nazisme.

L’intervention dans la Seconde Guerre mondiale fut encore plus tardive, et le fait par ailleurs, de l’attaque japonaise de Pearl Harbour (7 décembre 1941), et d’une déclaration de guerre de l’Allemagne hitlérienne (12 décembre). Sans cela, nous pouvons légitimement nous demander, si les Américains seraient finalement intervenus. Avant la guerre, une importante frange du peuple américain, par ailleurs liée à l’Allemagne, avait de fortes sympathies avec l’Allemagne nazie. Rappelons simplement Ford et son amitié pour Adolf Hitler, ou encore les théories communes de l’eugénisme dans les deux pays, le parti fasciste américain à l’influence réelle, et enfin l’importante diaspora allemande. La suite nous la connaissons, la victoire, le plan Marshall, la Guerre froide, des guerres par procuration partout dans le monde, la création de l’OTAN (1947). Prenant fermement le rôle de gendarme de l’Humanité, les États-Unis n’ont dès lors cessé d’interférer dans toutes les parties du globe, souvent militairement, à chaque fois pour des raisons économiques, de maintien de leur hégémonie, politiques ou stratégiques. Ces raisons d’État ont même été la cause des ratlines américaines, à savoir le recyclage de plus de 20 000 nazis et collaborateurs européens, sans parler de l’accueil ou l’organisation de la fuite de dizaines de milliers d’autres.

Le recyclage systématique des élites nazies par les USA.

Partout, elles furent réutilisées, au niveau de la recherche et des sciences, citons simplement Wernher von Braun (1912-1977), le père des fusées américaines, nazi notoire qui termina directeur de la NASA. Mais aussi des spécialistes des services secrets, comme Reinhard Gehlen (1902-1979), nazi, chef des services allemands sur le front de l’Est, bientôt chef des services secrets de l’Allemagne de l’Ouest, ou encore Klaus Barbie (1913-1991), chef de la Gestapo de Lyon, meurtrier, réutilisé par la CIA dans ses actions souterraines en Amérique du Sud, notamment comme spécialiste de la torture. Otto von Bloschwing (1909-1982), nazi et SS, agent des services secrets de la SS, le SD, recyclé par la CIA et opérant ensuite Europe, décédé en Californie. Que dire encore de Wilhelm Höttl (1915-1999), également SS, travaillant dans le contre-espionnage pour le RSHA (énorme organisation de police politique nazie), lui aussi recyclé comme agent de la CIA (1947-1949), ou Guido Zimmer (1911-1977), officier SS du SD, criminel de guerre impliqué dans des massacres et l’Holocauste, lié également aux services américains et qui échappa toujours à la justice grâce à eux. Plus de 20 000 nazis de cette sorte, imaginez l’énorme dictionnaire qu’il faudrait faire pour en étaler l’histoire et la teneur… Car après la vitrine des procès autour de Nuremberg (1945-1949), les États-Unis ne se privèrent pas dans leur lutte contre l’URSS d’employer des milliers de nazis. Ils ne furent pas seulement Allemands ou Autrichiens, mais aussi Croates, Hongrois, Roumains, Bulgares et bien sûr Ukrainiens. Le principal repli des partisans de Bandera et Choukhevytch fut justement l’Europe occidentale et surtout le Canada et les États-Unis. Les membres de l’UPA furent massivement employés comme Yaroslav Stetsko (1912-1986), lieutenant de Bandera, mouillé dans les massacres de Juifs et de Polonais (1941-1944), qui fonda aux USA l’ABN, le Bloc des nations anti-bolcheviques. Ainsi les États-Unis ne cessèrent jamais d’employer des nazis, puis des fanatiques religieux, des régimes militaires ou dictatoriaux. Nous pouvons d’ailleurs repérer quatre phases distinctes.

Au nom de la lutte contre le communisme, le « spécialiste » nazi au cœur des services américains.

La première commença dès avant 1945, et perdura jusque dans les années 70. Elle consistait à recycler et utiliser les nazis dans toutes les parties du monde. en Europe particulièrement, afin de lutter contre l’Union soviétique dans l’âpre combat de la Guerre froide. Ils participèrent à du renseignement, à la formation de réseaux, au recrutement d’agents, de saboteurs, d’hommes de main. Ils furent très actifs dans les pays du Pacte de Varsovie, dans les Balkans, en Grèce, en Europe Centrale et de l’Est. Mais ils furent aussi utilisés en Amérique du Sud ou dans les Caraïbes (assassinat de Trujillo en Républicaine Dominicaine, avec l’aide de la CIA, en 1961). Sur le continent sud-américain, ils installèrent ou supportèrent des régimes militaires et fascisants et différentes dictatures, verrouillant l’Amérique du Sud, terrain propice à la propagation du communisme avec la proximité de Cuba. Très soucieuse de ne pas voir tomber la zone sous l’influence soviétique, les Américains fermèrent les yeux sur les exactions terribles des différents régimes, commises parfois avec leur aide, comme le prouve Naomi Klein dans sa Stratégie des chocs (2007). Partout, en Argentine, au Paraguay, en Uruguay, au Chili, en Bolivie, au Brésil, des agents nazis ou fascistes, Allemands, Autrichiens, Italiens, Hongrois, Croates furent à la base des polices secrètes, des méthodes concentrationnaires, d’interrogatoires et de tortures, d’assassinats. Avec le temps, ces régimes furent abandonnés, les sbires nazis autrefois d’utiles agents, finalement lâchés et parfois poursuivis. Ce fut le cas par exemple de Klaus Barbie. Les USA se débarrassaient alors de tout un système afin de laver ses écuries et se donner bonne conscience.

Réseau Gladio, financement du terrorisme d’extrême-droite et supports aux dictatures dans le monde.

Dans cette deuxième phase qui commença au début des années 70, les néonazis furent employés sans vergogne. Ce fut le cas de Stefano Delle Chiaie (1936-2019) un militant italien néofasciste utilisé ainsi que beaucoup d’autres, pour mener des actions terroristes financées et pilotées par la CIA, dans le cadre de la stratégie de la tension. Il s’agissait ici de terroriser la population en maintenant une pression avec des attentats meurtriers (années de plomb), soit mis sur le dos de mouvements terroristes d’extrême-gauche, soit pour montrer le danger de la montée des forces d’extrêmes gauches. L’exemple italien ne fut pas isolé, cette stratégie, pouvant d’ailleurs être couplée avec celle du choc (soutien à des régimes dictatoriaux meurtriers). Cette dernière fut déployée par les USA partout dans le monde, en Amérique du Sud (assassinat du président Allende au Chili, le 11 septembre 1973, par exemple), mais aussi en Afrique (avec le soutien à Mobutu au Zaïre, des années 60 à 80), au Moyen Orient (soutien aux islamistes contre le Shah d’Iran dont le régime prit fin en 1979), et en Asie (financement des premiers fanatiques religieux, comme en Afghanistan de 1979 à 1989). Elle fut généralisée et permis la construction de digues contre le communisme, le contrôle des électorats, la mainmise sur des économies et des richesses stratégiques. A la fin de l’Union soviétique, l’écroulement du bloc de l’Est et la disparition du Pacte de Varsovie, cette deuxième phase se termina, ayant donné lieu aussi à l’infiltration des syndicats comme en France (Trotskistes, révolution de 1968). La chute de l’URSS lança bientôt les États-Unis dans des opérations militaires de contrôles directs de différents pays.

Des interventions militaires à la multiplication des révolutions colorées.

C’est donc au début des années 90 que commença la troisième phase. Ce fut le cas au Moyen Orient avec l’intervention au Koweit (1990), la déstabilisation puis la destruction de la Yougoslavie (1991-2001, dont la guerre du Kosovo, 1998-1999), suivie de l’intervention en Somalie (1993), l’invasion de l’Afghanistan (2001-2021), puis de l’Irak (2003-2011), le soutien et le financement d’une révolution colorée en Géorgie (2003), puis de la Révolution Orange en Ukraine (2004), d’un coup d’État militaire à Haïti (2004), d’une révolution colorée au Kirghizistan (2005), d’une autre avortée en Biélorussie (2005), de celle dite du Cèdre au Liban (2005) et de celle de Jasmin en Tunisie (2005), d’opérations militaires de nouveau en Somalie (2006-), puis de l’invasion de la Libye (2011), de la tentative de destruction de la Syrie (2011-2018). La liste donne déjà le tournis et ne doit pas faire oublier que dans le monde arabe, les USA étaient à l’œuvre depuis longtemps. Ils soutinrent dans le passé des régimes, comme celui de l’Irak dans sa lutte contre l’Iran (1980-1988), qu’ils allaient ensuite détruire. Les Américains ont ainsi réalisé dans le monde musulman la même chose qu’ils avaient faite avec les nazis : supporter et armer les islamistes à des fins machiavéliques visant à atteindre des objectifs concrets de contrôles de points stratégiques et de ressources capitales pour le virage du XXIe siècle. Ces plans se sont jusqu’alors en partie réalisés, alors que les États-Unis prenaient quasiment le contrôle de l’Union européenne en passe de vassalisation totale.

Une révolution colorée de trop, la révolution du Maïdan et l’écueil russe.

C’est la réapparition de la Russie dans le jeu international, concurrente de nouveau gênante, qui a entamé la quatrième phase de cette longue liste de manipulations et d’agressions à l’internationale. Pour frapper la Russie, les États-Unis ont imaginé refaire le coup des révolutions colorées, quasiment réussies partout, en visant l’Ukraine. Ce pays apparaissait comme une cible de choix, car elle comprenait une composante néonazie très importante. En renouant avec les stratégies du temps passé, les USA pouvaient espérer faire tomber le pion ukrainien en utilisant toute la violence et force des nombreux réseaux et milieux néonazis en Ukraine. Ce fut la Révolution du Maïdan (2013-2014), commencée alors que la Russie était sur le point de fonder l’Union Eurasiatique, s’étant d’ailleurs rapprochée de pays non-alignés comme le Venezuela, le Brésil, l’Inde ou la Chine. En Ukraine, les Américains n’ont donc eu aucun scrupule, à financer et utiliser les partis néonazis comme le Parti National-Socialiste d’Ukraine, Svoboda, et d’autres groupuscules émergeant, comme le Pravy Sektor (Secteur Droit), le Marteau Blanc et autres. En se cachant derrière une pléiade de politiciens et oligarques corrompus (Porochenko, Timonchenko, Zelensky), qui apportaient une couleur légale, européiste et sociale-démocrate, cette dernière révolution fut en partie un échec. Les mercenaires, l’argent, les bataillons néonazis, rien ne put empêcher le rattachement de la Crimée à la Russie (mars 2014), puis l’insurrection du Donbass (avril-mai 2014), conduisant cette fois-ci à une guerre larvée de huit ans, puis à l’intervention russe (24 février 2022).

Historiquement, il n’y a donc aucune impossibilité aux Américains de faire alliance avec des néonazis. La realpolitik américaine depuis l’indépendance du pays en 1776 a été construite sur les seuls intérêts américains, envers et contre tous. Les États-Unis furent le dernier pays esclavagiste occidental, la terre de création du Ku Klux Klan, des ségrégations raciales, mais aussi la mère des théories eugénistes et récemment de celles du Gender. Elle fut aussi à l’origine de l’extermination systématique des Amérindiens, la mère de la bombe atomique et seule nation l’ayant utilisée contre d’autres hommes, en l’occurrence seulement des civils. En faudrait-il plus pour démontrer que le gouvernement américain a toujours été prêt à tout ? Qui peut croire encore à la bienveillance des États-Unis, à sa parole donnée, à ses bonnes intentions et au fait que selon nos médias occidentaux, il n’y a pas de néonazis en Ukraine, encore moins au service des USA ? Qui ?

Laurent Brayard pour le Donbass Insider

Source : Donbass Insider

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