Les habitants de #Nablus participent aux funérailles de dix Palestiniens assassinés, ce 23 février 2023, par les forces coloniales israéliennes au cours d’une opération militaire visant des combattants palestiniens de la résistance dans la ville. La majorité des victimes n’étaient pas armées
Photo : Wahaj Bani Moufleh / Activestills

Par Ramzy Baroud

Le 20 février, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté une déclaration, présentée dans les médias comme une version « édulcorée » d’un projet de résolution antérieur, qui aurait exigé qu’Israël « cesse immédiatement et totalement toutes les activités de colonisation dans le territoire palestinien occupé ».

Les intrigues qui ont conduit à la disparition de ce qui était censé être une résolution contraignante feront l’objet d’un prochain article. Pour l’instant, cependant, je voudrais m’arrêter au fait que la relation de la ainsi-nommée communauté internationale avec la lutte palestinienne, a toujours tenté « d’escamoter » une réalité horrible.

Si nous nous insurgeons souvent contre les déclarations des politiciens américains qui, comme l’ancien secrétaire d’État Mike Pompeo, refusent de reconnaître qu’Israël occupe la Palestine, nous avons tendance à oublier que beaucoup d’entre nous sont, d’une certaine manière, impliqués dans l’édulcoration de la réalité palestinienne.

Si les rapports de B’tselem, de Human Rights Watch et d’Amnesty International, qui qualifient Israël d’ « État d’apartheid », sont des avancées bienvenues avec un discours politique de plus en plus marqué avec des affirmations similaires, on peut se demander pourquoi il a fallu des décennies pour que ces conclusions soient tirées aujourd’hui. Et quelle est la justification morale et juridique de « l’escamotage » de la réalité de l’apartheid en Israël durant toutes ces années, étant donné qu’Israël a été, dès sa création – et même avant – une entité d’apartheid ?

L’ « escamotage » va cependant beaucoup plus loin que cela, comme s’il existait une connivence pour ne pas décrire la réalité de la Palestine et du peuple palestinien par ses qualificatifs qu’elle mérite : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, apartheid, etc…

J’ai passé la moitié de ma vie à vivre dans des sociétés occidentales et à interagir avec elles, tout en insistant pour la solidarité avec les Palestiniens et pour qu’Israël soit tenu responsable de ses crimes permanents contre le peuple palestinien. À chaque étape, dans chaque société et sur chaque plateforme, il y a toujours eu des réactions allant dans le sens contraire, même venant de la part des partisans de la Palestine.

Qu’ils soient motivés par un « amour » aveugle pour Israël, par la culpabilité des crimes historiques commis contre le peuple juif, par la crainte de « faire des vagues », de heurter la sensibilité des sociétés occidentales ou de subir des représailles de la part des partisans d’Israël, le résultat tend à être le même : si ce n’est pas un soutien inconditionnel à Israël, ce sont des déclarations « édulcorées » sur la réalité tragique des Palestiniens.

Naturellement, une version qui escamote la vérité n’a rien à voir avec la vérité. Pire encore, il est peu probable qu’elle conduise à des prises de position morales résolues ou à des actions politiques significatives.

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Si, en effet, l’affaiblissement de la vérité avait une quelconque valeur, la Palestine aurait été libérée depuis longtemps. Non seulement ce n’est pas le cas, mais il subsiste un véritable déficit de compréhension des causes profondes, de la nature et des conséquences des crimes israéliens quotidiens en Palestine.

Il est vrai que les dirigeants palestiniens qui collaborent, dont l’Autorité palestinienne est l’exemple, ont joué un rôle important dans l’affaiblissement de notre perception des crimes israéliens. En fait, la déclaration « écornée » à l’ONU n’aurait pas remplacé la résolution contraignante si l’Autorité palestinienne n’avait pas donné son feu vert.

Cependant, dans de nombreux espaces palestiniens où l’AP n’exerce aucune influence politique, nous continuons à adopter une compréhension déformée de la Palestine.

Presque chaque jour, quelque part dans le monde, un conférencier, un écrivain, un artiste ou un militant palestinien ou pro-palestinien est désinvité d’une conférence, d’une réunion, d’un séminaire ou d’un contrat universitaire pour ne pas avoir atténué sa vision de la Palestine.

Si la peur des répercussions – refus de financement, campagnes de diffamation ou perte de position – sert souvent de logique à cette tendance constante à la modération, il arrive que des groupes et des organisations médiatiques pro-palestiniens tombent dans le piège de la « modération » de leurs propres engagements.

Pour se protéger des campagnes de dénigrement, de l’ingérence du gouvernement ou même des actions en justice, certaines organisations pro-palestiniennes cherchent souvent à s’affilier à des personnes “réputées” issues de milieux traditionnels, des politiciens ou d’anciens politiciens, des personnalités connues ou des célébrités, afin de donner une image de modération.

Pourtant, consciemment ou non, avec le temps, elles commencent à modérer leur propre discours afin de ne pas perdre le soutien durement acquis dans la société dominante. Ce faisant, au lieu de dire la vérité au pouvoir, ces groupes commencent à développer un discours politique qui ne garantit que leur propre survie et rien de plus.

Dans les « Cahiers de prison », l’intellectuel italien antifasciste Antonio Gramsci nous a exhortés à créer un large « front culturel » pour établir notre propre version de l’hégémonie culturelle.

Toutefois, Gramsci n’a jamais préconisé l’édulcoration du discours radical en premier lieu. Il voulait simplement étendre le pouvoir du discours radical pour atteindre un public beaucoup plus large, comme point de départ d’un changement fondamental de la société.

Dans le cas de la Palestine, cependant, nous avons tendance à faire le contraire : au lieu de maintenir l’intégrité de la vérité, nous avons tendance à la rendre moins « véridique » afin qu’elle puisse paraître plus acceptable.

Bien qu’ils fassent preuve de créativité pour rendre leurs messages plus accessibles à un public plus large, les sionistes atténuent rarement leur langage. Au contraire, le discours sioniste est intransigeant dans sa nature violente et raciste qui, en fin de compte, contribue à effacer les Palestiniens en tant que peuple avec une histoire, une culture, des griefs réels et des droits.

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Il en va de même pour la propagande pro-ukrainienne et anti-russe qui envahit les médias occidentaux 24 heures sur 24. Dans ce cas, il est rare que l’on s’écarte du simple slogan, pour savoir qui est la victime et qui est l’auteur.

Historiquement, les mouvements anticoloniaux, d’Afrique ou d’ailleurs, n’ont guère adouci leur approche du colonialisme, ni dans le langage ni dans les formes de résistance.

Les Palestiniens, en revanche, subsistent dans cette réalité édulcorée et trompeuse, simplement parce que l’allégeance de l’Occident à Israël rend la description véridique de la lutte palestinienne trop « radicale » pour être soutenue. Cette approche n’est pas seulement moralement problématique, elle est aussi ahistorique et impraticable.

Ahistorique et impraticable parce que les demi-vérités, ou les vérités partiellement étouffées, ne mènent jamais à la justice et à un changement durable. Peut-être qu’un point de départ pour échapper au piège de la « dilution » dans lequel nous nous trouvons, est de réfléchir à ces mots de l’un des plus grands intellectuels engagés de l’histoire récente, Malcolm X :

« Je suis pour la vérité, peu importe qui la dit. Je suis pour la justice, peu importe pour qui ou contre qui elle est. Je suis un être humain, d’abord et avant tout, et en tant que tel, je suis pour quiconque et quoi que ce soit qui profite à l’humanité dans son ensemble. »

La vérité, dans sa forme la plus simple et innée, est le seul objectif que nous devrions continuer à poursuivre sans relâche jusqu’à ce que la Palestine et son peuple soient enfin libres.

Auteur : Ramzy Baroud

* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle.
Il est l’auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s’intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out ». Parmi ses autres livres figurent « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française)
Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.

28 février 2023 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…