La reine Rania et le roi Abdallah II Ibn Al Hussein de Jordanie au Forum économique mondial
sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord 2015 en Jordanie.
(Creative Commons/Forum économique mondial)

Par Annelle Sheline

Selon les données divulguées dans les explosifs Pandora Papers, le roi Abdallah II de Jordanie a secrètement acheté des maisons de luxe aux États-Unis et au Royaume-Uni, dont la valeur combinée dépasse 100 millions de dollars.

Source : Responsible Statecraft, Annelle Sheline
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Selon les données divulguées dans les explosifs Pandora Papers, le roi Abdallah II de Jordanie a secrètement acheté des maisons de luxe aux États-Unis et au Royaume-Uni, dont la valeur combinée dépasse 100 millions de dollars.

Cela peut sembler assez normal pour un dirigeant arabe, mais la Jordanie diffère des riches monarchies du Golfe. La Jordanie manque de réserves pétrolières ainsi que de ressources en eau adéquates, et environ 16 % de la population jordanienne vit dans la pauvreté. L’économie jordanienne dépend fortement de l’aide étrangère, dont une grande partie est destinée à aider les millions de réfugiés qui ont fui les conflits successifs qui ont secoué le Moyen-Orient : les Palestiniens, les Irakiens et les Syriens en particulier. En raison de l’impécuniosité de la population locale, les rois de Jordanie ont eu tendance à éviter les étalages ostentatoires de richesse qu’un citoyen qatari ou émirati, bien nourri, pourrait trouver moins irritants.

Les révélations selon lesquelles le roi Abdallah a discrètement amassé des propriétés à Malibu, Londres et Ascot – certains des biens immobiliers les plus chers du monde – contredisent ses efforts pour cultiver une image de dirigeant responsable et accessible. Abdullah, son épouse la reine Rania et leurs quatre enfants, sont fréquemment présentés sur les médias sociaux comme une famille normale : la page Instagram de la reine Rania a tendance à mettre en avant ses actions caritatives, ainsi que des photos de sa famille en tenue décontractée. Les aspects les plus fastueux de la vie de la famille royale sont évités d’une manière qui pourrait déconcerter un Al-Saud ou même un Windsor.

Outre la nécessité d’éviter l’apparence d’une richesse manifeste aux yeux d’une population en difficulté, cette gestion minutieuse de l’image reflète probablement le fait que le roi Abdallah a du mal à remplir les fonctions de son père, le roi Hussein, qui a régné sur la Jordanie de 1952 à 1999. Hussein a mené la Jordanie à travers de nombreux défis, notamment deux guerres avec Israël en 1967 et 1973, une brève guerre civile contre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1970, et un traité de paix final avec Israël qui a suscité l’hostilité de son peuple mais lui a rapporté des millions de dollars en aide militaire annuelle des États-Unis. En Jordanie, on se souvient affectueusement du roi Hussein comme d’un homme du peuple et d’un vrai Jordanien. En revanche, Abdullah ressemble davantage à sa mère britannique qu’à son père populaire et, contrairement à feu Hussein, il préfère généralement apparaître en uniforme militaire plutôt qu’en tenue jordanienne traditionnelle.

Les Pandora Papers ne représentent que le dernier défi en date pour le roi jordanien en difficulté. La Covid a décimé la lucrative industrie touristique jordanienne, et le taux de chômage a grimpé en flèche. En mars, sept patients de la Covid sont morts dans un hôpital de la ville de Salt par manque d’oxygène, suscitant des protestations contre l’incapacité du gouvernement à fournir un service aussi élémentaire, dans un contexte de frustration générale face au ralentissement économique.

Au milieu des pressions exercées par la Covid, le mois d’avril 2021 a été marqué par une tentative de coup d’État présumée qui a entraîné l’assignation à résidence du demi-frère du roi, Hamzah, et la détention de deux personnalités proches du trône. Le prince Hamzah, qui était prince héritier jusqu’à ce qu’il soit remplacé par son neveu, Hussein, le fils d’Abdullah, âgé aujourd’hui de 27 ans, a envoyé une vidéo diffusée par la BBC, dans laquelle il fustige l’élite jordanienne pour sa corruption, sans nommer spécifiquement Abdullah. Dans la vidéo, Hamzah apparaît devant une image de son père, feu Hussein, auquel il ressemble, et déclare que « les Jordaniens ont perdu l’espoir ». Cependant, après son assignation à résidence, Hamzah n’a pas fait d’autres tentatives pour attirer l’attention des médias.

Il est révélateur que les médias jordaniens, dont la plupart sont contrôlés par la Couronne, n’aient pas fait état de la révélation concernant les biens immobiliers étrangers du roi. Au lieu de cela, selon le journal jordanien Al-Ghad, le roi a rencontré divers cheikhs et dignitaires lundi pour dire qu’il n’y a « rien à cacher » et qu’il y a « une campagne contre la Jordanie », faisant peut-être allusion aux allégations selon lesquelles l’Arabie saoudite aurait été impliquée dans le complot de sédition d’avril.

Le roi Abdallah n’est que l’un des nombreux dirigeants nationaux et élites mondiales dont des informations peu flatteuses ont été révélées par les Pandora Papers. Les documents publiés par le Consortium international des journalistes d’investigation représentent 2,94 téraoctets de données (un téraoctet peut stocker environ 4,5 millions de livres électroniques de 200 pages chacun). Ce trésor éclipse les Panama Papers de 2016 et les Paradise Papers de 2017, qui ont également révélé les tentatives des personnes riches et célèbres d’échapper à l’impôt et, dans le cas de personnes comme le roi Abdallah, d’éviter d’attirer l’ire de ses citoyens.

Les États-Unis restent la principale source d’aide étrangère de la Jordanie, suivis par la Banque mondiale, l’UE et divers pays riches du Golfe, qui comptent sur la Jordanie pour héberger les réfugiés et les empêcher d’essayer d’entrer en Europe ou dans le Golfe. Bien que le roi ait peut-être détourné une partie des fonds destinés à soutenir les populations déplacées, aucun de ces pays n’est susceptible de réduire son aide financière à la suite de la fuite de données. Cependant, la réputation d’Abdullah aux yeux de son peuple, déjà mise à mal, a subi un nouveau coup.

Source : Responsible Statecraft, Annelle Sheline, 04-10-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Source : Les Crises
https://www.les-crises.fr/…