Par Ricardo Vaz

S’il est une couverture particulièrement tronquée des grands médias au cours des 20 dernières années, c’est sans conteste celle sur le Venezuela. Surtout lorsqu’il s’agit de rendre compte de ses processus électoraux (FAIR.org, 11/27/08, 5/23/18, 1/27/21).

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Titre du New York Times: « Dans le vote faussé du Venezuela, Maduro trouve un moyen de conserver le pouvoir. » Le principal « défaut » identifié par le New York Times (23/11/21) dans les récentes élections vénézuéliennes est que le mauvais parti a gagné…

Le dernier pic de désinformation s’est produit alors que les vénézuéliens votaient pour élire leurs nouveaux maires et gouverneurs, le 21 novembre 2021. Le chavisme a remporté une victoire éclatante, obtenant 19 des 23 gouvernorats et 212 des 335 mairies. Les observateurs internationaux, dans leur grande majorité, ont souligné « le pluralisme et la transparence » du processus. Mais les experts de plateaux, toujours si pressés d’assimiler la démocratie aux élections, perdent soudain leur enthousiasme lorsqu’une population décide de voter pour un parti ou un gouvernement « ennemi » de Washington (Washington Post, 11/22/21).

Il faut dire que, ces dernières années, la droite radicale du Venezuela avait facilité le travail de l’establishment médiatique en boycottant complètement les élections. Les médias pouvaient alors se contenter de reprendre les allégations de « fraude », même infondées, des responsables états-uniens pour passer à autre chose (NPR, 5/21/18 ; BBC, 5/21/18 ; Reuters, 5/20/18 ; Bloomberg, 5/7/18 ; New York Times, 5/17/18).

Le problème, cette fois-ci, est que la plupart des partis de droite, y compris de la droite putschiste, se sont présentés au scrutin. Les journalistes des grands médias, peu attentifs au Venezuela au cours des derniers mois alors que les efforts de changement de régime soutenus par les États-Unis vacillaient, ont dû se réveiller pour discréditer cet événement démocratique. Faute de pouvoir recycler l’étiquette « fraude », on a assisté au retour de classiques tels que « truqué » (CNN, 11/24/21) ou « imparfait » (New York Times, 11/23/21), mots d’ordre qui se sont avérés être également ceux du département d’État.

Des rapports « faussés »

Les sondages privés avaient déjà montré que les partis financés par les États-Unis ne feraient pas un bon score lors de leur retour dans le champ électoral. De fait, les reportages parlaient d’une opposition… « sceptique » (Al Jazeera, 11/19/21 ; AFP, 11/19/21) pour atténuer les espoirs, après avoir construit le mythe selon lequel les partis anti-gouvernementaux bénéficiaient d’un soutien écrasant dans le pays.

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Titre de Reuters : « Avec des jingles accrocheurs et un optimisme prudent, l’opposition vénézuélienne retourne voter« . L’agence ose ensuite une explication inattendue (22/11/21) : « Certains opposants à Maduro craignent que la liberté laissée à l’opposition de faire campagne fasse partie d’une stratégie gouvernementale visant à abaisser délibérément les tensions politiques et à décourager la participation. »

Au-delà de cette « gestion des attentes », on observe quelques efforts acrobatiques pour expliquer le changement de cap. Reuters (11/22/21) a affirmé que, pour justifier son boycott, la droite affirmait qu’un scrutin équitable était impossible en raison de l’ingérence du gouvernement du président Nicolas Maduro et des gangs violents qui lui sont fidèles. Mais le même article finit par mettre à mal cette thèse selon laquelle le boycott ne concernait que l’exigence de conditions « équitables ». En affirmant que le retour aux urnes s’est produit « dans un contexte de frustration liée à l’échec des sanctions états-uniennes pour déloger Maduro », l’article admet sans le vouloir que les partis de droite espéraient que l’intervention états-unienne les débarrasserait du gouvernement démocratiquement élu du Venezuela.

Ce n’est pas la première fois que Reuters tient ce discours « ingérence + gangs » (11/17/21). Mais son explication devient plus surprenante lorsqu’il s’agit d’expliquer comment les politiciens de l’opposition « prudemment optimistes » ont finalement pu faire campagne sans être intimidés : c’est parce que les barrios à flanc de colline de Caracas n’appartiendraient plus « au chavisme ». Au passage les journalistes Vivian Sequera et Mayela Armas ne cachent pas leur mépris de classe pour tous ces pauvres et cette classe ouvrière qui habitent dans ces quartier et s’identifient encore au processus bolivarien. Hélas pour elles, la candidate chaviste Carmen Meléndez, élue mairesse de Caracas avec 58 % des voix, a obtenu son score le plus élevé dans ces quartiers populaires…

Des bons usages de l’UE

La défaite électorale de l’opposition fragmentée a incité certains médias à publier des titres qui donnent à réfléchir, suggérant que l’opposition devait « se regrouper » (NPR, 11/25/21), « se reconstruire » (Reuters, 11/22/21) ou « panser ses plaies » (Financial Times, 11/25/21). Mais d’autres ont redoublé de propagande.

C’est le New York Times (11/23/21) qui a ouvert le bal. Isayen Herrera et Anatoly Kurmanaev affirment que le président vénézuélien Nicolás Maduro avait trouvé un « moyen de conserver le pouvoir » : gagner des élections. Sur un ton hyperbolique, le Times a accusé Maduro de « subvertir les vestiges des institutions démocratiques » et de « perfectionner un système politique » qui… garantit le succès.

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WAPO : « Les observateurs de l’UE déclarent que les élections vénézuéliennes montrent une amélioration importante, mais que les règles du jeu restent inégales. » Curieusement, les sanctions états-uniennes destinées à évincer le gouvernement vénézuélien en détruisant l’économie du pays, en générant des souffrances sociales et en limitant les transports et la mobilité, n’ont pas été mentionnées par le Washington Post (11/23/21) comme faisant partie des « règles du jeu inégales ».

Le journal de référence a déformé de manière flagrante les conclusions de la mission d’observation électorale de l’Union européenne alors que celle-ci, tout en exprimant des critiques, a reconnu que le Centre National Électoral était « le plus équilibré des 20 dernières années et qu’il avait amélioré le processus notamment via les audits du matériel électoral ». L’accroche de l’article indique que « les observateurs européens ont déclaré que les élections n’étaient ni libres ni équitables ». Mais ce n’est pas le cas. Au contraire, la chef de la mission, Isabel Santos, à qui on a posé la question à plusieurs reprises, a refusé de répondre, ce que d’autres rapports ont clairement indiqué (Reuters, 11/23/21). En tirer que la mission a considéré que les élections « n’étaient pas libres ou équitables » est donc, à tout le moins, malhonnête.

La plupart des grands médias se sont accrochés aux conclusions de l’UE selon lesquelles les candidats pro-gouvernementaux auraient dépensé des ressources de l’État pour faire campagne, ou auraient été favorisés dans les médias publics (Washington Post, 23/11/21 ; Financial Times, 25/11/21 ; Bloomberg, 23/11/21). Bien entendu, le fait que les forces d’opposition obtiennent des ressources étrangères (Financial Times, 18/07/19) ou soient favorisées dans les médias privés qui sont majoritaires au Venezuela (FAIR.org, 20/05/19) ne constitue pas une préoccupation.

Les journalistes de grands médias ont commodément minimisé l’approbation par la mission de la fiabilité du système de vote vénézuélien, car elle saperait les allégations de « fraude » passées et futures. Washington, comme l’admet le Post (11/8/21), n’a pas été « amusé » par le fait que ses partenaires européens aient voulu assister au processus. Les responsables états-uniens ont même voulu imposer les conclusions du rapport à l’avance.

La couverture médiatique suggère également que la présence européenne est en soi synonyme d’amélioration des conditions et d’un niveau de surveillance internationale auparavant absent, alors qu’en réalité l’UE avait été invitée à plusieurs reprises à envoyer des délégations électorales, et avait refusé. En outre, tous les scrutins vénézuéliens (29 en 22 ans) ont fait l’objet de nombreuses missions de surveillance internationales, mais pas de la part de proches alliés des États-Unis (Venezuelanalysis, 31/5/18, 9/12/20).

L’opposition « divisée

Un consensus dominant s’est dégagé pour dire que la désunion de l’opposition s’est avérée coûteuse. Les résultats parlent d’eux-mêmes, le PSUV ayant obtenu la plupart des postes, bien qu’il ait obtenu moins de 50 % des voix. Cependant, au lieu d’examiner les raisons pour lesquelles l’opposition est fragmentée entre factions très différentes et difficilement conciliables, de nombreux médias ont trouvé plus facile d’en accuser… Nicolas Maduro.

Le New York Times (23/11/21) a accusé le président vénézuélien, apparemment tout-puissant, de « diviser les partis d’opposition » pour qu’ils se mesurent à des « adversaires soigneusement calibrés ». Les journalistes du Times ont accusé les candidats qui ne sont pas de la ligne dure d’adopter « une ligne plus douce contre le président », alors qu’en fait la principale différence est que les secteurs modérés de l’opposition condamnent les sanctions états-uniennes et les tentatives de coup d’État approuvées par les États-Unis. Mais les journalistes des grands médias semblent préférer la loyauté aux desseins de Washington.

Reuters (23/09/21) avait donné le ton à l’approche des élections en qualifiant les personnalités non soutenues par les États-Unis de « candidats trouble-fête », avec de possibles « liens déguisés » avec le gouvernement. Le fait qu’ils aient été considérés une menace pour l’ »opposition » signifie que les journalistes Vivian Sequera et Brian Ellsworth ont pris sur eux de décider qui pouvait être qualifié d’ »opposition ». En fait, les « trouble-fête » avaient des candidats prometteurs dans un certain nombre de scrutins, et c’est la Table ronde de l’Unité Démocratique (connue en espagnol sous le nom de MUD), soutenue par les États-Unis, qui leur a ravi la victoire en présentant ses propres candidats contre eux.

L’un des cas les plus médiatisés de luttes intestines de l’opposition s’est produit dans l’État de Miranda, où les candidats Carlos Ocariz et David Uzcátegui se sont battus à coup d’insultes et d’accusations de toute sorte. Ocariz s’est finalement retiré mais après le délai légal, et comme le Washington Post (11/21/21, 11/23/21) l’a rapporté plus d’une fois, « le Conseil électoral a décidé qu’il était trop tard » pour retirer son nom du bulletin de vote. Le journal de Mr. Bezos a fait passer cela pour une décision arbitraire d’un organe pro-gouvernemental, alors que le calendrier électoral avait été publié des mois auparavant. Et Ocariz le savait, puisqu’il publiait des messages sur les médias sociaux annonçant « qu’il reste X temps pour parvenir à un accord unitaire. »

Un « président intérimaire » de carton-pâte

L’examen précipité des règles électorales et des candidats de l’opposition par les médias occidentaux contraste avec leur attitude de laisser-faire à l’égard du « président intérimaire » autoproclamé Juan Guaidó. Le mandat imaginaire inventé par les USA pour ce putschiste d’extrême droite, ni élu ni candidat à la présidence mais autoproclamé dans un quartier chic de Caracas, n’a jamais eu de fondement constitutionnel, mais le Washington Post (23/11/21) ne l’a jamais contredit lorsqu’il évoque son « mandat constitutionnel ».

De même, le Post (21/11/21) reste attaché à l’idée que « 50 pays » reconnaissent Guaidó, alors que le 6 décembre 2021, 177 des 193 pays membres de l’ONU ont reconnu la légitimité du président élu, Nicolas Maduro. En revanche, certains médias tombent le masque et considèrent carrément que c’est aux États-Unis de décider qui est le dirigeant légitime du Venezuela (Financial Times, 25/11/21 ; Bloomberg, 22/11/21).

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Le fake-président autoproclamé Juan Guaidó regarde son écu présidentiel tomber de son set en pleine conférence de presse (Twitter, 22/11/01).

Guaidó a récemment vécu un épisode malheureux lorsque son écu présidentiel a chuté de son set en pleine conférence de presse. On imaginer aisément qu’un tel symbole aurait fait les gros titres s’il avait concerné Maduro ou tout autre « ennemi officiel ». Mais les médias ont choisi de fermer les yeux, tout comme ils le font pour les scandales de corruption à répétition qui ont vu le leader de l’opposition puiser dans les milliards de dollars d’actifs publics sous son contrôle pour les offrir à des prédateurs industriels (Venezuelanalysis, 25/09/21 ; 4/10/21 ; 23/10/21) ou encore se faire lâcher le 5 décembre 2021 par son propre « ministre des affaires étrangères » Julio Borges à cause de sa « corruption inacceptable« .

Dans l’ensemble, les dernières élections ont montré qu’à l’instar du Département d’État sous Biden, les médias ne changeront pas leur discours sur le Venezuela. Plutôt que de corriger les vieux préjugés, les grands médias cherchent des moyens toujours plus créatifs de faire passer la ligne de la Maison Blanche, même si cela implique de soutenir un escroc aussi discrédité que Guaidó ou, pire, de blanchir un blocus et des sanctions qui ont tué des dizaines de milliers de personnes (FAIR.org, 6/4/21). Leur discours en faveur de la « démocratie » sonne décidément bien creux à côté de leurs efforts pour discréditer des élections au seul motif que leur résultat ne convient pas à l’empire états-unien.

Ricardo Vaz

Source : https://fair.org/home/western-media-venezuelan-elections-must-be-undemocratic-because-chavismo-won/

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

Source : le blog de Thierry Deronne
https://venezuelainfos.wordpress.com/…