Par René Naba

Pleinement engagée dans les débats de société de la France contemporaine, mais nullement impliquée dans le barnum nombriliste de la classe politico-médiatique, Nadia Henni-Moulaï creuse, livre après livre, son sillon pour surgir comme une parfaite incarnation de la France invisible, porteuse de la plus belle culture française.


Une langue maîtrisée, un phrasé ductile, un trait acéré, un regard pertinent, le mot juste traquent les angles morts des remugles de de la mémoire douloureuse française et de la pensée souffreteuse de son legs colonial.

Son dernier ouvrage «Un rêve, deux rives» – Slatkine and Cie Édition, 2021, dont le titre est emprunté à une chanson d’Idir, de son vrai nom El Hamid Cheriet, de surcroît élément déclencheur le Hirak algérien qui a abouti au dégagement du président Abdel Aziz Bouteflika, n’échappe pas à la règle. Il se présente comme une déambulation de l’auteure entre sa patrie d’origine et sa partie d’accueil, entre son passé et son avenir, nullement un balancement, mais un ressourcement en même temps qu’un dépassement. Du propre aveu de l’auteure, «son livre le plus abouti»

«Et comme la complexité est un préalable, “Un rêve, deux rives” déroule la trajectoire d’un homme colonisé et terriblement libre. A travers ce récit, c’est avant tout une histoire française que je dépeins», assure-t-elle.
Le récit n’épargne d’ailleurs ni notre société, ni notre époque. Il demande même des comptes à «cette société française, immobilisée dans les rets de l’Histoire et de ses passifs. En évitant, je le pense, l’écueil du ressassement. Comme pour mieux la tirer vers ses idéaux», ajoute Nadia Henni Moulai pour expliquer sa démarche…..

«Avec les années, la figure paternelle m’est apparue aussi mystérieuse que l’État français et son incapacité à assumer ses fautes. Dans “Un rêve, deux rives”, j’ai tenté d’empoigner ce passé. Avec une idée, saisir le point de jonction exact où l’intime se confond avec l’Histoire. Fouiller le passé familial est une activité ordinaire. Mais, voilà, parfois, l’histoire familiale croise celle de l’État. A ce moment-là, les choses se compliquent. Fureter dans le passé de la France n’est pas une sinécure. Vous en conviendrez. Surtout quand les ombres que vous recherchez ont l’allure des Algériens du début du 20e siècle, poursuit-elle.

Ahmed est né au début du 20e siècle et une bonne partie de son existence, il s’est efforcé de ne pas rester à la place intimée par le pouvoir colonial…..«Mais un jour, le père fut, comme d’autres, l’acteur d’une grande Histoire. Le protagoniste d’une Histoire silencieuse et populaire. Un objet historique à part entière», conclut-elle en guise de présentation de son ouvrage.

Revue de détails de la production de Nadia Henni-Moulaï


«Petit précis de l’islamophobie ordinaire» (Éditions le Points sur les I)

D’un trait de plume incisif, l’auteure fait un sort aux prophètes de malheur: «La deuxième religion de France est, régulièrement, l’objet non pas du désir mais du scandale. Burqa, viande halal, piscine non-mixte ou terrorisme, les polémiques se sont succédées, ces dernières années, à un rythme effréné, laissant pantois, les principaux concernés. Les musulmans de France sont devenus, “à l’insu de leur plein gré”, les acteurs d’un choc des civilisations à la française!

1954-1962 : La guerre d’Algérie. Portraits croisés. Éditions les points sur les I

Sujet tabou s’il en est, des pans entiers de cette histoire restent à explorer. Les portraits du livre proposent justement une plongée dans l’indicible.

A travers, une palette de récits, de portraits, l’auteur retrace des anecdotes de guerre d’Algériens, témoins ou acteurs du conflit. Et parce que la guerre frappe aveuglément, sans considération d’âge ou de sexe, elle fait parler ces observateurs privilégiés de l’Histoire. Enfants lors du conflit, mère de famille ou militant présent en métropole entre 1954 et 1962, l’ouvrage apporte des éclairages inédits sur la guerre d’Algérie.

Ce n’est pas innocent s’il accorde, aussi, une part à la transmission générationnelle de cette histoire. Parmi les témoignages, ceux des enfants d’Algériens, alors «enrôlés» dans le conflit. Une nécessité, à l’heure où l’on reconnaît au devoir de mémoire des vertus salvatrices.

Ouvrage engagé, ces portraits représentent un exercice à part entière pour l’auteur, elle-même fille d’un ancien militant du FLN. Convaincue que tout doit être dit, elle s’est attachée à dérouler les fils d’une Histoire, intrinsèquement liée à celle de sa famille.
Pendant plusieurs mois, Nadia Henni-Moulai a glané des témoignages auprès d’Algériens installés en France. Hommes ou femmes, tous se sont prêtés au jeu, avec enthousiasme parfois, avec pudeur souvent, avec peur aussi.

Portrait des musulmans de France : Une communauté plurielle (Éditions Fondation de l’Innovation Politique, 2016)

Régulièrement objets de polémique, les Français musulmans constituent pourtant une population hétéroclite. Qu’il s’agisse des courants, des trajectoires de vie ou même des liens avec les pays d’origine, l’islam en France est loin d’être un cadre uniforme et immuable.
Cette perception erronée des musulmans renvoie aussi à l’histoire entre l’Occident chrétien et l’Orient musulman, où les croisades ont marqué le début d’une relation tumultueuse.

Un effort de compréhension est indispensable tant les musulmans de France sont à l’image d’une religion où cohabitent plusieurs courants de pensées, estime-t-elle.
À l’heure où les crispations atteignent leur paroxysme, éclairer cette question reste un préalable pour combattre tous les obscurantismes et favoriser des relations plus harmonieuses au sein de notre communauté nationale.

Un rêve, deux rives – Slatkine and Cie Édition, 2021

Un récit symbiotique de l’auteure où à travers l’histoire de l’immigration algérienne, Nadia Henni Moulaï va tenter de résoudre l’énigme paternelle, et, en déconstruisant l’image du père, va découvrir le parcours d’un homme, ordinaire, qui finira combattant dans la fédération de France du FLN. A travers son histoire personnelle, elle raconte celle des rapports ambivalents entre Algérie et France. De familles françaises où l’Algérie reste omniprésente. 300 pages – Prix: 18€ ISBN : 978-2-88944-167-9

Nadia Henni-Moulaï est journaliste free-lance. Native de Seine-Saint-Denis, elle a grandi dans une cité populaire du Val d’Oise. Avec ses huit frères et sœurs, elle a évolué dans un milieu plutôt modeste. Son père, ouvrier retraité, ancien militant du FLN, et sa mère au foyer, leur transmettent des valeurs à la fois traditionnelles et ouvertes sur l’extérieur.

Au lycée, élève modèle, elle s’éveille au journalisme. Elle passera d’ailleurs un bac littéraire. L’un de ses professeurs lui reconnaît, même, un «vrai talent d’écriture».

Une fois la maîtrise de Lettres obtenue, elle se lance dans le journalisme. Elle a 21 ans quand ses premières publications paraissent. En 2008, elle rejoint la rédaction du Bondy Blog et pige pour divers médias comme Salam news et Yahoo. Elle est aussi l’une des rédactrices du blog Politicia, dédié aux femmes engagées. En 2010, elle lance Synopsis, une micro-agence de contenu rédactionnel et d’événementiel.

En avril 2011, elle crée le Melting Book, un site qui propose les portraits de ceux qui font bouger les lignes.

Si les tensions en France lui pèsent de plus en plus, elle veut aussi s’engager pour mettre en lumière cette France qui bouge! Un site, dont le mot d’ordre est «Be A Voice Not an Echo», qui propose à ses lecteurs un regard multi focal et dont l’objectif est de «faire émerger de nouvelles voix dans le débat public». Mission remplie. https://www.meltingbook.com/lequipe-2/

www.madaniya.info a souhaité soumettre à l’attention de ses lecteurs un texte du site www.meltingbook.com/ sans doute parmi les plus aigus dans l’analyse des mouvements sociaux en France et des phénomènes de mode, hors de tout formalisme, loin de tout dogmatisme. En témoignage d’estime pour la qualité de ce travail prospectif et à titre de solidarité confraternelle pour le décryptage du mouvement de protestation des «Gilets Jaunes», un mouvement total, social global.

Cf ce lien : https://www.madaniya.info/2019/06/12/france-macron-an-3/

Éclectique, NHM, telle une fine guêpe qui butine, s’est appliquée, méthodiquement à pointer –traquer?- les non dits de la douloureuse conscience française et de la non moins exacerbée conscience algérienne. Une œuvre salutaire

En un mot, cette mère de deux enfants est une perle. Non une perle de culture, mais une perle de la culture. Une perle rare, qu’il importe de cultiver avec soin. Avis aux lecteurs.

Pour le plaisir de la lecture, sa réplique à Eric Zemmour, cet ancien pied noir revanchard https://www.middleeasteye.net/fr/entretiens/france-algerie-nadia-henni-moulai-histoire-colonisation-immigration-eric-zemmour

Un rêve, deux rives

« Cette trajectoire moderne d’un colonisé enfiévré par la vie parisienne, par l’alcool et les femmes, ce roman d’un homme de main du FLN, Algérien libre, violent, ouvrier ordinaire, père torturé et époux coriace, charrie toute la complexité de l’Histoire. De mon histoire. Et si ses actes, commis sur le sentier de la liberté, sont aussi le prix à payer pour sa dignité, je les accepte. Peut-être atténueront-ils un peu la portée de ses fautes. »

À partir du silence d’un secret de famille confronté à la vérité crue d’archives d’État, la journaliste Nadia Henni-Moulaï déconstruit le parcours singulier d’Ahmed, son père.

Un récit intime et bouleversant, entre deux rives, qui éclaire d’un jour nouveau la dernière grande séquence coloniale française. Le roman d’un passif. L’Histoire, avec sa grande hache.

Le site de l’éditeur : https://www.slatkine.com/fr/slatkine-cie/75158-book-0744167-9782889441679.html


Illustration
https://www.meltingbook.com/

Source : Madaniya
https://www.madaniya.info/…

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