Par Karine Bechet-Golovko

Les convictions sont parfois embarrassantes. Alors pourquoi s’embarrasser quand on peut tranquillement penser à soi, mener sa vie, s’occuper de son compte en banque et de ses applaudissements. Finalement, peu importe qui applaudit. Le bruit masque le malaise et fait taire la conscience. Anna Netrebko condamne encore une fois la guerre en Ukraine, mais cette fois-ci la Russie, et enchaîne sur une tournée en Europe. La prostitution est quand même une vocation dans ce beau monde, qui, il y a si peu, soutenait Poutine … et que les élites russes pensaient avoir conquis, alors qu’ils l’avaient simplement loué.

Anna Netrebko est né dans une famille de cosaques de Koubane (région de Krasnodar), où elle a commencé à apprendre à chanter, elle a été prise au conservatoire de Saint-Pétersbourg et a chanté au Marinsky dans les années 90. Au début des années 2000, elle commence sa carrière internationale et est prise au Metropolitan Opera, puis chante dans tous les grands opéras d’Europe. En 2006, elle demande et obtient la nationalité autrichienne et annonce décider vivre à Vienne. En 2014, elle chante l’hymne national pour les JO de Sotchi. 

Jusque-là, sa position était très claire : en 2008, elle a été décorée par Poutine du titre d’artiste national de Russie ; en 2012, elle était l’une des personnes de confiance mandatées pour la campagne présidentielle de Vladimir Poutine ; en 2014, elle condamnait la guerre menée par l’Ukraine contre le Donbass et a même participé financièrement à la reconstruction de l’Opéra de Donetsk. Comme se le rappelle Oleg Tsarev publiant cette photo de « l’ancienne vie » de Netrebko :

Mais ça, c’était avant. Quand le « patriotisme » ne gênait pas la carrière, bien au contraire. Au début de l’opération militaire, elle a déclaré faire une pause. Ensuite, elle a soutenu les Ukrainiens, mais sans condamner la Russie. Cela n’a pas été suffisant, les opéras de Bavières et la Scala ont rompu leurs liens, car, je cite « elle ne s’est pas suffisamment distanciée » de la Russie et de Poutine et en plus, elle a publié une photo d’elle avec le grand chef d’orchestre russe Guergiev, qui lui aussi a été démis de ses fonctions de l’Opéra de Bavières.
Maintenant tout est rentré dans l’ordre, elle a publiquement désavoué sa vie antérieure, France Inter est rassuré, nous aussi : »La soprano russe résidant à Vienne Anna Netrebko avait été jusqu’à présent critiquée pour ne pas avoir dénoncé la guerre en Ukraine. Ce mercredi 30 mars la chanteuse a exprimé « clairement » sa condamnation de l’invasion et annoncé reprendre ses concerts en Europe fin mai, sur Facebook. »

En effet, dans le monde global, il est normal de devoir faire acte de contrition publique, quand on est russe, pour pouvoir continuer à exercer ses fonctions. L’objet du délit est tel, qu’il ne se discute pas :

« Si elle n’a pas ouvertement clamé son soutien au président russe, il lui est reproché de s’être rendue à Donetsk en décembre 2015 pour y poser avec le drapeau des rebelles séparatistes prorusses. Elle a aussi suscité la controverse lorsqu’elle a remis un chèque d’un million de roubles (environ 15 000 euros) au dirigeant ukrainien prorusse Oleg Tsarev. »

Quelle honte ! Cela valait bien un correctif, surtout qu’elle perdait tous ses contrats, au Metropolitan, à la Philarmonie de l’Elbe, etc. Voici qui est fait, les points sont mis sur les i après sa publication sur Facebook : 

Vivre dans le monde global a un prix : il ne faut pas être Russe. Elle condamne la guerre (reprenant la condamnation non pas de l’armée ukrainienne, mais russe), elle soutient les Ukrainiens dans leur souffrance (cela ne concerne pas les habitants du Donbass), elle connaît à peine Poutine, elle n’a jamais eu d’aide financière du Gouvernement russe (elle travaillait gratuitement manifestement en Russie). A ce rythme-là, elle va bientôt pouvoir renoncer à sa nationalité russe, après avoir renoncé à son pays.
C’est étrange cette manie des élites politiques russes à toujours chercher les faveurs de ces personnalités qui veulent briller, et donc sont à vendre. Et ensuite d’oublier qu’ils n’ont fait que les louer, pas même les acheter. Pour un temps. Avant qu’une offre plus importante ne se présente.
Il est vrai aussi qu’il devient difficile de demander aux gens des sacrifices au nom du patriotisme, quand on voit des responsables russes négocier comme ils le font avec l’Ukraine, lancer un Abramovich faire son négoce post-patriotique et un Medinsky lancer un discours inacceptable, pour voir quelles seront les réactions. Les réactions furent à ce point mauvaises, que c’est vers Medinsky, la tête parlante, qu’est réorientée la vindicte populaire (alors que ses propos ont été hier toute la journée repris à tous les niveaux du pouvoir) et même Soleviev, lançant l’opprobre, est tout à coup choqué que l’on puisse (il parle de Medinsky) s’exprimer ainsi : »Soloviev a déclaré qu ‘ »il n’est pas nécessaire d’induire en erreur et d’essayer de démoraliser avec des messages aussi insensés » le peuple russe et le personnel militaire de la Fédération de Russie. Selon lui, la tâche fixée par le commandant en chef suprême « devrait être résolue dans son intégralité ». »

De l’art et de la politique, de l’art de la politique, de la beauté et de l’amoralité, Nietzsche parle mieux que quiconque. Voici une citation d’Humain, trop humain, « L’art des âmes laides » :

« On trace à l’art des limites trop étroites, si l’on exige que seules les âmes bien ordonnées, moralement équilibrées, puissent avoir en lui leur expression. De même que dans les arts plastiques, de même il y a en musique et en poésie un art des âmes laides, à côté de l’art des belles âmes »

Et en politique, qu’en pensez-vous, il y a une place pour les belles âmes ? 

Source : Russie politics
http://russiepolitics.blogspot.com/…

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