Ramzy Baroud

Lundi 30 novembre 2020

« Si nous devons vivre encore quatre ans avec le président Trump, que Dieu nous aide, que Dieu vous aide et que Dieu aide le monde entier ».

Ce sont les mots du Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Mohammed Shtayyeh, lors d’une réunion virtuelle avec les députés européens le 3 novembre. Si certains peuvent être d’accord avec l’évaluation de Shtayyeh, de telles déclarations d’un haut responsable palestinien n’ont rien pour rassurer.

Ce n’était pas la première fois que M. Shtayyeh utilisait la phrase « Que Dieu nous aide » en référence au président américain Donald Trump. Ce ne sont pas non plus les seuls cas où la direction palestinienne a utilisé un discours politique aussi peu minimaliste pour contrer le parti pris pro-israélien de Trump tout au long de son premier mandat, permettant à Tel-Aviv d’ancrer son occupation militaire en Palestine tout en refusant aux Palestiniens les maigres aides financières obtenues dans le cadre d’accords politiques antérieurs.

En réponse à l’annonce par l’administration Trump de son intention de déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem le 6 décembre 2017, suivie d’une décision américaine d’annuler toute l’aide américaine à l’AP en août 2018, le président palestinien, Mahmoud Abbas, avait également fait appel à Dieu. « Que Dieu détruise votre maison », s’est exclamé Abbas dans un discours devant le Comité central de l’OLP, tout en faisant référence à Trump.

En janvier 2018, le Comité central avait été convoqué pour une réunion sous la bannière de « Jérusalem, capitale éternelle de l’État de Palestine ». L’urgence et le calendrier de cette réunion semblaient indiquer qu’Abbas était prêt à mettre en place une contre-stratégie en réponse aux violations continues par Israël et les États-Unis, non seulement du droit international mais aussi des accords d’Oslo et de tous les accords qui en découlent. Demander à Dieu de brûler la maison de Trump n’était guère la stratégie dont les Palestiniens avaient besoin à l’époque.

Près de deux ans se sont écoulés depuis cet absurde discours d’Abbas, mais aucune mesure concrète n’a été prise pour que Jérusalem devienne la « capitale éternelle de l’État de Palestine ».

Si l’on passe en revue la stratégie des dirigeants palestiniens depuis l’arrivée de Trump à la Maison Blanche il y a quatre ans, on se retrouve désorienté par la nature chaotique et improductive du discours politique palestinien.

Pourtant, quatre ans n’ont pas suffi pour que l’AP change de cap, produise et défende une nouvelle stratégie politique qui ne soit pas fondée sur la mendicité et la supplication auprès de Washington pour qu’il revienne au « processus de paix », depuis longtemps stoppé. Pourquoi ?

Le dilemme actuel d’Abbas est que son autorité et sa position même de « président » étaient elles-mêmes le résultat d’une « vision » politique soutenue par les États-Unis dans la région. Même les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne étaient en grande partie formées et financées par le gouvernement américain. Il ne serait pas exagéré de dire que tout le lexique politique selon lequel l’AP a fonctionné depuis 1994 – mais surtout depuis le début du leadership d’Abbas en 2005 – était basé sur des diktats américains et porté à bout de bras par les dollars américains. Par conséquent, on peut comprendre la position impossible dans laquelle Abbas et les élites politiques palestiniennes se sont retrouvés lorsque Washington leur a coupé les vivres, politiquement et financièrement.

Sans une alternative à l’implication politique et à la générosité de Washington – même si elle est totalement biaisée au profit d’Israël – l’AP a persisté a rester suspendue dans le vide. Par des discours et déclarations enflammés, Abbas voulait que les Palestiniens, et le reste du monde, soient persuadés que l’AP allait au-delà de Washington et de son processus de paix. En fin de compte, mais sans surprise, ils ne sont allés nulle part.

L’état de gel qui a affecté la politique palestinienne au cours des quatre dernières années peut également être attribué à un autre facteur : l’espoir qu’une présidence démocrate serait finalement rétablie, et qu’alors seulement, le jeu du « processus de paix » pourrait reprendre son cours normal. Mais la stratégie « attendons et voyons » n’était pas censée durer aussi longtemps. L’AP avait reçu l’assurance de hauts responsables du Parti démocrate que la présidence de Trump ne durerait pas longtemps.

En fait, au moment où Abbas appelait « Dieu à brûler la maison de Trump », le leader palestinien recevait l’assurance de l’ancien secrétaire d’État américain, John Kerry, que, bientôt, tout reviendrait à la normale. Un proche collaborateur de Abbas, Hussein Agha – qui a rencontré Kerry à Londres en janvier 2018 – a alors dit à Abbas de « tenir bon et d’être fort ».

« Dites au président Abbas », a dit Kerry à Agha, « qu’il doit garder le moral et jouer la montre, qu’il ne doit ni se briser ni céder aux exigences du président Trump », a rapporté à l’époque le journal israélien Maariv, un rapport qui a été confirmé par des responsables de l’AP.

Toutefois, l’ancien secrétaire d’État n’avait pas prévu que l’administration Trump durerait jusqu’à la fin de son mandat, que le président américain mettrait en œuvre toutes ses menaces et que le « pacte du siècle » tenterait de chambouler l’ensemble de la carte géopolitique du Moyen-Orient.

Pourtant, l’AP s’est accrochée… Non seulement elle n’a pas réussi à formuler une stratégie alternative, mais elle n’a même pas réussi à unifier le rang des groupes palestiniens ou à suivre une ligne politique cohérente suivie d’actions significatives. Elle s’est contentée de « condamner », « rejeter » et « critiquer », en répétant de vieux clichés et en insistant sur une « solution à deux États » qui n’a jamais été une option sérieuse ou réaliste.

L’AP est restée politiquement paralysée pendant quatre ans dans l’espoir qu’elle finisse par revenir à la paralysie précédente du processus de paix sous une administration du parti Démocrate. Un programme aussi confus expose en pleine lumière l’état tragique de la politique palestinienne sous la direction de Mahmoud Abbas.

Compte tenu de l’influence militaire et économique de Washington, il est compréhensible que la politique américaine soit importante sur la scène mondiale. Cependant, il est insensé qu’un gouvernement, quel qu’il soit, mette tout en jeu sur le résultat des élections américaines. Dans le cas de l’AP d’Abbas, une telle non-stratégie sent le désespoir, tout en reflétant faiblesse et faillite politique.

Pour en mériter le titre, les « dirigeants » palestiniens doivent se sevrer de leur dépendance totale à l’égard de l’aval et des aides américaines. À en juger par les nombreuses années de soutien aveugle et inconditionnel des États-Unis à Israël, quel que soit le parti qui s’installe à la Maison Blanche, Washington restera engagé envers Israël, finançant son occupation et le défendant à tout moment.

* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.

11 novembre 2020 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine.com – Lotfallah

Source : Chronique de Palestine
https://www.chroniquepalestine.com/…