Par Sylvain Ferreira

En compagnie de la Suède, la Finlande a fait acte de candidature auprès de l’OTAN pour intégrer l’Alliance Atlantique. Cette démarche acte une rupture de la neutralité finlandaise issue de la Seconde Guerre mondiale et interroge sur les motivations réelles d’Helsinki ainsi que sur les conséquences de cette décision. Notre incollable historien militaire Sylvain Ferreira décrit le cadre et les enjeux de ce qui constitue une résiliation unilatérale de plusieurs traités internationaux.

Je ne sais pas pourquoi mais cela me fait irrésistiblement penser à un jeu de mon enfance, une espèce de jeu de marelle, où l’on traçait le nom de pays à la craie et on déclarait la guerre aux autres. Sauf que ces guerres-là ne faisaient pas de morts.

Régis de Castelnau

Un lourd héritage historique

Entre 1939 et 1944, la Finlande a été par deux fois en guerre contre son voisin soviétique. Tout d’abord le 30 novembre 1939, l’URSS de Staline a agressé la Finlande – guerre d’hiver – car elle refusait un ajustement de ses frontières en faveur des Soviétiques. Après une résistance héroïque de sa modeste armée[1], Helsinki finit par céder face à l’Armée rouge. C’est le traité de Moscou, signé le 13 mars 1940, qui règle une première fois la situation entre les deux pays en faveur de l’URSS qui occupe alors près de 10% du territoire finlandais au nord de Leningrad. Quinze mois plus tard, le régime autoritaire finlandais se rapproche du IIIe Reich pour participer activement à l’opération « Barbarossa » afin de récupérer les territoires perdus à partir du 25 juin 1941. Pour la Finlande commence alors la guerre dite de continuation. L’engagement de l’armée finlandaise va être déterminant lors du terrible siège de Leningrad en fermant l’accès nord à la capitale de la révolution bolchevique. Ce siège de 872 jours, voulu par les Allemands pour affamer la population, fera plus d’un million de morts de faim parmi les civils. Il restera comme l’un des épisodes les plus emblématiques de la guerre d’anéantissement orchestrée par l’Allemagne contre les peuples d’Union Soviétique. A la fin de l’hiver 1944, la situation sur le front change radicalement en faveur de l’Armée rouge et la Finlande comprend qu’elle risque de perdre beaucoup plus de territoires qu’en 1940, voire carrément de disparaître, si elle se maintient dans son alliance avec Hitler. Lors des offensives d’été de l’Armée rouge, les Soviétiques occupent Vyborg le 4 juillet. En août, le gouvernement finlandais comprend qu’il n’a pas d’autre choix que de signer un armistice avec l’URSS pour éviter une cuisante défaite. Celui-ci est signé le 19 septembre à Moscou, avec, comme préalable, la rupture de l’alliance germano-finlandaise. Il faut attendre 1947 et le traité de Paris pour officialiser les gains territoriaux soviétiques relativement limités. En 1948, le traité YYA acte la neutralisation du pays sous la forme d’un accord d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle qui garantit à l’URSS la sécurité de sa frontière nord vis-à-vis de l’OTAN. Joseph Staline n’avait pas pour habitude de faire des cadeaux, et celui-ci en était incontestablement un.  La disparition de l’URSS n’a rien modifié à la validité de ces traités internationaux qui lient Moscou à Helsinski confirmés en 1992. Qui ont permis aux finlandais de vivre pendant près de 80 ans une neutralité confortable.

La candidature finlandaise à l’OTAN

À la suite de l’intervention russe en Ukraine le 14 février dernier, un vent de panique pour le moins artificiel souffle sur les chancelleries occidentales pour nous faire accroire l’idée qu’après l’Ukraine, Poutine serait prêt à attaquer qui les pays baltes, qui la Pologne ou encore la Finlande pour reconstituer l’ancien empire des tsars. Au-delà du caractère totalement délirant de cette affirmation, elle ne se fonde sur aucune déclaration ou écrit officiel du Kremlin avant ou après le déclenchement de « l’opération militaire spéciale ». Néanmoins, cela permet d’une part à l’OTAN de resserrer des rangs bien distendus depuis plusieurs années et d’autre part d’officialiser – enfin – la neutralité relative de la Suéde depuis des années. Jusque-là, rien de très surprenant malgré l’assise fragile de l’argumentaire déployé depuis Mons et Bruxelles pour justifier son discours. Mais le 15 mai dernier, nous avons été pour le moins surpris par l’annonce officielle du gouvernement social-démocrate dirigé par Mme Sanna Marin – membre des Global Young Leaders fondé par Klaus Schwab – quant à sa volonté de rejoindre officiellement l’OTAN pour se préserver d’une très hypothétique menace russe. Cette annonce a d’ailleurs été faite conjointement par madame Marin et le président finlandais  Sauli Niinisto qui a déclaré qu’il s’agissait « d’un jour historique » et « du début d’une nouvelle ère.[2] » La demande d’adhésion a été largement validée par le parlement finlandais le 16 mai alors qu’une délégation de sénateurs américains emmenés par le leader des Républicains Mitch McConnell étaient en visite à Helsinki[3].

Cette annonce a bien sûr fait réagir Moscou qui a qualifié cette initiative de « changement radical dans la politique étrangère finlandaise » et que la « Russie devra prendre des mesures de rétorsion, à la fois sur le plan technico-militaire et sur d’autres plans afin de stopper les nouvelles menaces sur sa sécurité nationale[4]« . La première mesure prise côté russe a été de nature économique puisque le fournisseur d’électricité ROA Nordic a annoncé la fin de ses livraisons à la Finlande car celle-ci, comme la Pologne pour le gaz, ne payait pas ses factures. Immédiatement, Helsinki a annoncé qu’elle se fournirait en Suède et qu’elle augmenterait sa production nationale[5]. Sur le plan diplomatique Vladimir Poutine a précisé que les mesures de retorsion russes ne menaceraient pas la sécurité de la Finlande, à condition bien sûr que l’adhésion à l’OTAN ne débouche pas sur l’installation de bases américaines dans le pays[6]. Par ailleurs, malgré l’assentiment du parlement finlandais et la volonté de l’OTAN d’accueillir la Finlande, l’adhésion d’un nouveau membre n’est pas un processus automatique et elle est soumise à l’approbation unanime des membres. C’est là qu’entre en scène le président turc Erdogan qui a annoncé le 16 mai qu’il opposera son veto à l’entrée de la Finlande – et aussi de la Suède – dans l’OTAN lorsque le vote formel qui exige l’unanimité, aura lieu[7]. Erdogan reproche en fait l’absence de condamnation du PKK par les deux pays candidats.

Une nouvelle provocation ?

Devant ce blocage diplomatique, on peut donc légitemement s’interroger sur les motivations profondes d’Helsinki pour annoncer un tel basculement diplomatique alors que l’URSS puis la Russie n’ont jamais remis en cause les traités signés il y a 75 ans. La rupture unilatérale des traités par la Finlande est en effet plus qu’un casus belli lancé à Moscou, puisque par un enchaînement juridique, Helsinki revient la situation de belligérance antérieure au 19 septembre 1944. À l’initiative de la partie finlandaise !

Pourtant comment un pays de 5 millions d’âmes pourrait-il faire face à une intervention militaire russe d’autant que la majorité de ses centres névralgiques se trouvent à un jet de pierre de la frontière russe ? La présence de sénateurs américains à Helsinki et l’empressement du secrétaire-général de l’OTAN Stoltenberg a accepter cette candidature ne constituent-ils pas une nouvelle tentative pour provoquer Vladimir Poutine et le forcer à ouvrir un nouveau front pour tendre encore un plus les capacités économiques et militaires de la Russie ? S’il est probable que la réponse reste encore longtemps impossible à formuler, cela ne relèvera pas d’un problème d’accès aux archives diplomatiques, mais étonnant paradoxe, à la posture raisonnable d’un homme : Recep Tayyip Erdoğan.

Sylvain Ferreira

Veille Stratégique (https://siteveillestrategique.blogspot.com/ https://t.me/veillestrategique )


[1]Ferreira, Sylvain, Un carnage en deux actes : la bataille de Suomussalmi, Batailles & Blindés n°77, Caraktère, 2017

      Ferreira, Sylvain, Un carnage en deux actes : la bataille de la route de Raate, Batailles & Blindés n°80, Caraktère, 2017

[2]https://www.npr.org/2022/05/15/1099003708/ukraine-war-finland-sweden-nato?t=1652787177356

[3]https://www.france24.com/en/live-news/20220516-swedish-finnish-mps-debate-nato-membership

[4]https://www.cnbc.com/2022/05/12/russia-threatens-retaliatory-steps-if-finland-joins-nato.html

[5]https://www.rfi.fr/en/international/20220514-russia-cuts-electricity-supply-to-finland-as-country-edges-near-nato-membership-war-ukraine

[6]https://www.ft.com/content/b3f29756-06e1-443d-8364-bd98c7cd19d4

[7]https://english.alarabiya.net/News/world/2022/05/16/Turkey-s-Erdogan-says-will-not-approve-Sweden-and-Finland-joining-NATO

Source : Vu du Droit
https://www.vududroit.com/…

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