Par Bachar al-Jaafari

Bien que les Syriens ne soient pas seuls et demeurent au cœur même de l’axe de la Résistance à l’hégémonie dévastatrice, ils savent qu’ils ne peuvent décider ni de la fin de la guerre ni de la levée du blocus ou des mesures coercitives unilatérales et illégitimes, qualifiées de « sanctions ». En revanche, au bout de bientôt dix années d’une guerre féroce, laquelle s’inscrit clairement dans un jeu d’influences et d’intérêts qui dépasse la Syrie, il est devenu évident qu’ils disposent pleinement de deux décisions qui sont leur refus catégorique de se soumettre, en dépit des sanctions qui les étranglent de plus en plus, et leur volonté inébranlable de libérer leur terre du monstrueux terrorisme fabriqué par les joueurs impénitents ivres de leur puissance et insatiables.

C’est ce que nous inspire cette dernière intervention du Docteur Bachar al-Jaafari devant le Conseil de sécurité le jour même de l’investiture du 46ème Président des États-Unis, en réponse aux allégations habituelles [1][2] de ceux qui prétendent représenter, à eux seuls, la communauté internationale et affirment sans scrupule que les sanctions sont un instrument de lutte contre la répression en Syrie, moyennant certaines prétendues dérogations pour raisons humanitaires [3].

Devrions-nous les croire ? [NdT].

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Monsieur le Président,

Une fois de plus, la délégation de mon pays tient à vous remercier pour votre gestion remarquable et efficace des travaux du Conseil de sécurité du mois courant, lesquels ont remis à l’ordre du jour des questions importantes, telles celle intitulée «Menaces contre la paix et la sécurité internationales résultant d’actes terroristes» et celle de la Résolution 1373 adoptée par le Conseil de sécurité suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York.

À l’époque, nous avions espéré que l’adoption de cette résolution 1373 (2001) contribuerait à diriger la boussole dans le sens espéré par nous tous, à savoir le renforcement de la coopération et de la coordination internationales sous l’égide de l’ONU et via ses mécanismes, afin de lutter contre le terrorisme, d’assécher ses sources de financement, de combattre son idéologie extrémiste et d’empêcher sa propagation.

En effet, après l’adoption de cette importante résolution, le Conseil de sécurité a pris nombre de décisions liées à la lutte contre le terrorisme dont le but était -comme certains ont pu le croire- de combler les lacunes des résolutions antérieures et de les mettre en application, de résoudre le problème du paiement de rançons aux terroristes, de lutter contre Daech, le Front Al-Nosra et les combattants terroristes étrangers -autrement dit, les « terroristes sans frontières »- et d’assécher leurs sources de financement, y compris en travaillant à rompre leurs liens avec les réseaux criminels transnationaux.

Malheureusement, il est apparu que tous ces espoirs n’étaient qu’illusions, car la lutte contre le terrorisme a été exploitée par les États occidentaux eux-mêmes, tantôt pour détruire des États membres de l’ONU en pillant leurs richesses et en travaillant à démolir leur économie et leur culture, tantôt pour stigmatiser d’autres États membres par de fausses accusations de soutien au terrorisme comme celles portées il y a quelques jours  contre Cuba et l’Iran, tantôt pour couvrir l’exploitation avérée du terrorisme et son parrainage manifeste par des gouvernements de pays bien identifiés.

Désormais, politisation, parti pris, normes arbitraires et exploitation du terrorisme dominent cette question importante, les plus grands bénéficiaires étant les organisations terroristes et leurs chefs devenus fiers des appellations que certains leur attribuent, notamment dans les médias occidentaux : djihadistes, combattants de la liberté, opposition armée modérée non étatique ou État du califat islamique… Tout comme ils jouissent du soutien et de la liberté accordés afin de semer la mort, le chaos et la destruction dans beaucoup de nos pays sous des slogans prétendant répandre la démocratie, bien entendu, par des moyens civilisés tels que la décapitation, la consommation de foies humains, la destruction de monuments historiques, le rejet d’autrui et des symboles de toute foi religieuse.

Nous avions maintes fois prévenu que quiconque cherche à semer le chaos et la destruction, adopte des discours incitant à la haine et à régler ses comptes avec mon pays, promeut des slogans tels que celui du « chaos créateur » – comme nous l’a annoncé une ancienne secrétaire d’État américaine puis l’a peaufiné celle qui lui a succédé- ne sera pas à l’abri des effets et des conséquences de tels comportements.

À notre grand regret, nos avertissements ont été ignorés et nous voilà témoins de la concrétisation de ces politiques du chaos dans la capitale du pays hôte de notre organisation !

Naturellement, ces actes terroristes récemment vécus par Washington auraient été bien accueillis, soutenus et loués par les gouvernements occidentaux s’ils s’étaient produits dans certaines autres capitales de pays membres de notre organisation. Ils les auraient qualifiés de « printemps » ou de « révolutions de couleur… orangée ». Ils les auraient décrits comme l’une des plus belles expressions de la démocratie ou l’un des plus beaux exercices de la liberté. Mais le fait que ces actes terroristes aient eu lieu dans une capitale occidentale telle que Washington a suscité tout le contraire : un torrent de condamnations et de critiques, ainsi qu’un appel aux réseaux sociaux invitant à condamner cette inconduite et à censurer les pages des meneurs.

Nous ne sommes pas contre cette condamnation. Nous n’encourageons nulle part le chaos, la démagogie ou la violence. Mais nous constatons le comportement surprenant de certains milieux occidentaux qui continuent d’exploiter les mêmes réseaux sociaux pour semer la discorde, répandre la haine, attiser les conflits, promouvoir des pratiques destructrices similaires à celles qu’ils ont condamnées à Washington tout en encourageant le « terrorisme sans frontières » pour nuire à nombre de nos États membres en usant de slogans vides de toute moralité.

Monsieur le Président,

Nous renouvelons notre appel au renforcement d’une coopération internationale sérieuse et coordonnée sous l’égide des Nations Unies afin de combattre et d’extirper le terrorisme, de soutenir les efforts de l’État syrien et de ses alliés dans leur lutte contre les organisations terroristes de Daech, de Hay’at Tahrir al-Cham alias le Front al-Nosra, et des entités associées, lesquelles profitent toujours de la couverture occidentale pour perpétrer leurs crimes et continuer à tuer des Syriens.

C’est ce à quoi nous avons encore assisté, il y a quelques jours, lors des attaques terroristes ayant visé un bus dans la région de Kabajib sur la route Palmyre- Deir ez-Zor, puis des camions-citernes transportant du carburant et des voitures civiles sur la route Athria-Salamiya ; lesquelles attaques ont entraîné la mort de dizaines de civils et de militaires. Or, mis à part l’ambassadeur de la Fédération de Russie et l’ambassadeur de Chine, nul n’a évoqué ces attaques terroristes.

Des attaques menées par des éléments de Daech venus de la zone occupée par les États-Unis dans la région d’Al-Tanaf où se trouve le camp d’al-Roukbane. Les mêmes terroristes ayant précédemment lancé des attaques sanglantes contre des civils dans le gouvernorat de Sweida et ciblé l’Armée syrienne, ses alliés, ses gazoducs et oléoducs.

Par ailleurs, vous n’ignorez sans doute pas que les forces d’occupation étasuniennes présentes dans le nord-est de la Syrie ont suggéré aux milices séparatistes inféodées, désignées par le sigle « FDS », de libérer les éléments de Daech détenus dans leur secteur afin de revitaliser cette organisation et de l’exploiter à nouveau en Syrie et en Irak.

L’hypocrisie a atteint un niveau détestable, l’administration américaine prétendant avoir définitivement éliminé l’organisation terroriste Daech, alors qu’elle est soudainement et subrepticement en train de la reconfigurer et de l’exploiter depuis le camp d’al-Hol [au nord-est] et la région d’al-Tanaf [au sud] pour continuer à s’en prendre à mon pays.

Et dans le nord-ouest, des entités terroristes, au premier rang desquelles Hay’at Tahrir al-Cham alias Jabhat al-Nosra et associés, contrôlent toujours de larges zones du gouvernorat d’Idleb et environs, et détiennent des civils comme otages ou boucliers humains.

Ces dernières années, je vous ai adressé des centaines de lettres officielles détaillant les crimes de ces organisations terroristes ainsi que les identités de leurs sponsors et de leurs employeurs. La plus récente, adressée au Secrétaire général et à votre Conseil le 11 janvier courant, contient des informations sur les groupes terroristes baptisés : Brigade Sultan Mourad, Division Hamzat, Al-Mou’tassim Bil’lah, Ahrar al-Sharquiya, Bouclier d’al-Hassaka…

Des groupes qui opèrent sous les auspices et avec le soutien du régime turc, depuis la région de Ras al-Aïn jusque la frontière de la région de Tal Abyad et de Ain Issa dans le gouvernorat de Raqqa, et qui ne cessent de tuer, de turquifier, de déplacer tout en procédant à un changement démographique, d’user d’armes chimiques, de profiter de la contrebande et de piller les moissons de blé, d’orge et les semences des paysans et agriculteurs syriens, avant de les transporter vers la Turquie via les passages frontaliers de Ras al-Ain et de Tal Abyad. Et ce, en plus d’autres crimes qu’il est impossible de répertorier ici.

Des crimes auxquels des gouvernements influents dans cette organisation ne veulent pas mettre fin, ni demander des comptes aux auteurs ou aux employeurs.

Des crimes abominables sur lesquels nous n’avons malheureusement pas entendu un seul mot de la part de Monsieur Lowcock [Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires…].

Monsieur le Président,

En dépit de l’exacerbation de la pandémie Covid-19 et de ses effets catastrophiques sur l’économie et les secteurs vitaux dans la majorité des États membres de l’ONU, les États-Unis et l’Union européenne imposent des mesures coercitives supplémentaires à mon pays et à d’autres pays, ignorant les appels du Secrétaire général, de son envoyé spécial en Syrie, ici présent, et de dizaines de hauts représentants de notre organisation internationale, à mettre fin à ces mesures illégales. Ce qui n’empêche pas les représentants des pays occidentaux ayant adopté ces politiques de blocus et de punitions collectives des peuples de continuer à parler de dérogations à visées humanitaire et médicale, lesquelles dérogations n’existent absolument pas et ne sont que des allégations prouvées fausses sur le terrain. Ne vous ai-je pas informé à maintes reprises que même les fils chirurgicaux sont interdits d’expédition vers la Syrie, sans parler des équipements d’imagerie médicale ?

D’ailleurs, au cours de la session du Conseil de sécurité tenue selon la formule Arria le 25 novembre 2020, vous avez entendu un exposé du Secrétaire général du Croissant-Rouge arabe syrien, une organisation non gouvernementale, partenaire principal des Nations Unies, du Comité international de la Croix-Rouge et d’un certain nombre d’autres organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales. Il vous a expliqué que les fonds envoyés de l’étranger pour le financement du travail humanitaire mettent de longs mois à arriver et exigent un énorme volume de documents et de correspondances à cause des mesures coercitives, ce qui entrave l’achat de médicaments, d’éléments de base et la fourniture de paniers alimentaires à ceux qui en ont besoin. Il a également évoqué les difficultés imposées par l’interdiction de l’exportation de carburant à la circulation des camions et ambulances, au déploiement des travailleurs humanitaires et des équipes médicales et à la gestion des entrepôts. Mais voilà qu’au lieu d’étendre et de renforcer le noble travail humanitaire et de soutenir les efforts considérables de cette organisation de volontaires, dont 65 membres ont perdu la vie pendant la crise actuelle, l’absurdité s’est mise en marche pour tenter de ternir à sa réputation.

Ce n’est là que le sommet de l’iceberg des répercussions des mesures coercitives sur la vie de tous les Syriens. Devrions-nous croire les récits de mes collègues occidentaux sur les prétendues dérogations ou croire les faits quotidiennement constatés sur le terrain ?

Aujourd’hui, certains préviennent que les dommages économiques dus à la pandémie Covid-19 réduiront les aides humanitaires ainsi que leur financement et, par conséquent, diminueront le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire. Pourtant, au lieu de s’employer à relever ce grave défi susceptible d’entraîner des souffrances humaines dans de nombreux pays et de pousser davantage de leurs citoyens à émigrer et à chercher refuge là où ils le pourront, certains gouvernements occidentaux poursuivent leurs politiques fondées sur la domination, l’occupation et le pillage de la subsistance des peuples et de leurs richesses.

Ce à quoi nous assistons en permanence du fait des forces d’occupation étasuniennes qui continuent de piller les richesses de mon pays en pétrole, gaz, antiquités, cultures agricoles, brûlant et détruisant ce qu’ils ne peuvent pas voler.

Des crimes menés en harmonie avec l’occupant turc au nord et au nord-ouest de mon pays, le tout en association avec des organisations et entités terroristes et des milices séparatistes inféodées, comme je l’ai déjà mentionné. Qu’en pensent Monsieur Lowcock et l’OCHA [Bureau de la coordination des affaires humanitaires] ?

Ne serait-il pas plus urgent, plus efficace et plus juste que le Conseil assume ses responsabilités, en vertu de la Charte de notre organisation, en mettant fin à l’occupation et au pillage de la richesse des peuples et, par conséquent, à la destruction de leur potentiel de développement et de leurs acquis, au lieu de permettre à certains de les piller puis de couvrir leurs crimes en louant leur générosité pour avoir financer vos efforts humanitaires et avoir autorisé le passage de vos convois ? Car c’est ainsi que vous agissez avec la Turquie, vu les louanges auxquelles elle a eu droit de la part de Monsieur Lowcock dans sa déclaration d’aujourd’hui.

Monsieur le Président,

Aujourd’hui prend fin un mandat présidentiel aux États-Unis, lequel fut un symbole d’extrémisme, d’agression, de sanctions, de retrait des organisations des Nations Unies et de dérobade des obligations contractuelles internationales.

Nous espérons que la nouvelle administration sera empreinte de sagesse et qu’elle réalisera que sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité lui confère avant tout une énorme responsabilité, laquelle exige qu’elle respecte son engagement à préserver la paix et la sécurité internationales ainsi que les principes du droit international et les dispositions de la Charte, quelle mette fin au pillage des richesses de mon pays, qu’elle retire ses forces d’occupation, qu’elle cesse de soutenir les milices séparatistes et les entités illégitimes ainsi que ses tentatives menaçant la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale de la République arabe syrienne.

En conclusion, Monsieur le Président,

La cinquième série de réunions de la « Commission constitutionnelle » débutera dans quelques jours [25 janvier ; NdT] Comme nous l’avons affirmé à plusieurs reprises, la Constitution qui représente la loi suprême d’un pays est une affaire purement syrienne, tout comme les décisions concernant l’avenir du pays sont aussi une affaire purement syrienne.

En conséquence, ma délégation réaffirme que cette commission se tiendra sous la direction exclusive de la Syrie, seule maîtresse du processus politique facilité par l’ONU conformément à l’ensemble des résolutions du Conseil de sécurité, et souligne que le succès des travaux de cette commission passe par le respect des règles de procédures convenues, le refus de toute ingérence extérieure, de tout diktat étranger et de tout calendrier arbitraire que certains gouvernements pourraient tenter d’imposer.

Merci, Monsieur le Président

Dr. Bachar al-Jaafari
Vice-ministre des Affaires étrangères et des Expatriés
Envoyé permanent de la Syrie auprès des Nations Unies
20/01/2021

Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Source : Vidéo / The Syrian Mission to the United Nations
<https://www.youtube.com/watch?v=wnE99DNYNS0

Notes :

[1]Syrie: la Commission constitutionnelle devant se réunir la semaine prochaine à Genève, les membres du Conseil de sécurité espèrent des résultats
https://www.un.org/press/fr/2021/sc14417.doc.htm

[2] Vidéo / 20 Jan 2021 –  USG Mark Lowcock and Special Envoy Geir Pederson brief on the humanitarian and political situation in Syria.
http://webtv.un.org/watch/middle-east-syria-political-and-humanitarian-situation-security-council-open-vtc/6224667887001/?term=&lan=english

[3] European sanctions: an instrument for fighting repression in Syria
https://www.diplomatie.gouv.fr/en/country-files/syria/european-sanctions-an-instrument-for-fighting-repression-in-syria/

Source : Mouna Alno-Nakhal